Le 10 décembre 2013, par Geneviève Koubi,
La circulaire JUSF1328460C du 20 novembre 2013 relative à la mise en œuvre d’un dispositif de soutien et de valorisation des activités de recherche des agents publics exerçant leurs fonctions au sein des établissements et services relevant du secteur public de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) [1] revêt un intérêt certain. Même si elle suscite une interrogation sur les situations rencontrées par les agents publics dont les activités de recherches, exercées en toute objectivité, on pu indisposer leurs administrations, elle ne peut directement se comprendre comme une suite des rebondissements de quelques affaires qui firent couler beaucoup d’encre en leur temps [2]. Car, ces affaires touchaient à des domaines particuliers, mettant en jeu la notion de la "sécurité intérieure" à laquelle il était de bon ton d’être particulièrement attaché... Ainsi, à ces recherches qui avaient pu être effectuées et exposées par des agents relevant d’autres ministères que celui de la Justice, avait été opposée une certaine conception de l’obligation de réserve.
C’est un tout autre objectif que vise cette circulaire ; elle s’inscrit dans un secteur où l’activité de recherche n’est pas organisée par l’administration elle-même...
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La circulaire JUSF1328460C du 20 novembre 2013 reconnait, pour le moins, que « le cadre réglementaire actuel permet aux agents publics de mener des activités de recherche tout en demeurant dans une position administrative régulière ». Toutefois, elle nuance cette disposition en affirmant que « les agents peuvent mener des activités de recherche en dehors des heures de service ou bien solliciter le bénéfice de dispositions particulières ». La contradiction n’est pas seulement apparente. Ces formulations ont pour objectif d’instituer une dissociation substantielle entre les activités de recherche menées par ces agents et le service dans lequel ils sont affectés. Si les activités de recherche sont effectuées en dehors des heures de service, en tout état de cause, elles n’auraient pas à être signalées puisqu’elles relèveraient des temps libres ou libérés, elles se comprendraient ainsi d’un droit aux loisirs indissolublement lié à la vie privée et à la liberté individuelle. En revanche, si ces activités se réalisent en vertu de dispositions spécifiques décidées au sein de l’administration, elles devraient être intégrées au temps de travail réglementaire. C’est notamment le cas lorsque les recherches réalisées sont en relation avec les fonctions occupées ou en rapport avec les problématiques abordées par les services dans lesquels les agents concernés sont affectés.
En recadrant les études et les recherches des agents de la PJJ, par la référence à la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’État, la circulaire du du 20 novembre 2013 en modifie les enjeux. Si les dispositions particulières relatives à ces études et recherches s’entendent de l’octroi de congés ordinaires, de l’octroi d’un temps partiel, de l’octroi d’un congé de formation professionnel ou de la mobilisation de son droit individuel à la formation, la question présupposée dans l’intitulé de la circulaire perd de son sens. A peine la situation serait-elle différente lors de l’octroi d’une disponibilité. Aussi est-il signalé que « ces différentes options (...) peuvent se révéler inadaptées au regard du projet personnel de recherche et avoir un impact financier pour l’agent. En effet, les besoins éprouvés par l’agent dans le cadre de son travail de recherche peuvent être ponctuels (2 jours d’absence pour procéder à un entretien), matériels (accès à un fond documentaire ou à un service) ou bien financier. Les incidences notamment financières des congés susmentionnés peuvent avoir pour conséquence un renoncement de l’agent à son projet de recherche alors même que le sérieux de sa démarche est avéré et que son investissement personnel est important. » Ces observations ne sont pas anodines, ce d’autant plus que le dispositif de soutien et de valorisation des activités de recherche des agents publics exerçant leurs fonctions au sein des établissements et services relevant du secteur public de la protection judiciaire de la jeunesse prévu dans cette circulaire peut tout aussi bien s’entendre comme un moyen de développer la recherche en ces domaines que comme une méthode pour la comprimer en ces seuls domaines. Car, pour un agent désireux de réaliser des études, de faire des recherches en d’autres matières, un recadrage de son temps de service pourrait intervenir, au risque de comprimer son temps libre, ce temps qu’il pourrait consacrer à sa propre recherche...
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La circulaire du 20 novembre 2013 relative à la mise en œuvre d’un dispositif de soutien et de valorisation des activités de recherche des agents publics s’attache à prendre toute la mesure du profit que les établissements et services relevant du secteur public de la protection judiciaire de la jeunesse retireraient de cet investissement personnel des agents. Ainsi est-il énoncé que « consciente de la qualité des activités de recherche menées par certains de ses agents et des apports que peuvent constituer ces travaux au regard de la prise en charge éducative des mineurs, la direction de la protection judiciaire de la jeunesse a décidé de favoriser ce type d’initiative et de valoriser leur résultat. C’est la raison pour laquelle elle met en œuvre un dispositif de soutien et de valorisation des activités de recherche menées par les agents de la protection judiciaire de la jeunesse. »
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Il n’en demeure pas moins que cette valorisation peut susciter une instrumentalisation des recherches engagées puisque le dispositif prévu par la circulaire « vise à aider les agents publics désireux d’entreprendre des activités recherche, à condition que celles-ci concernent le domaine de compétence de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse et, plus généralement, le champ de la justice des mineurs. »
Car s’il n’est pas expressément sollicité de ces agents-chercheurs un appui aux actions menées dans le cadre de leur service, une adhésion aux valeurs développées par les discours ministériels, acceptation, acquiescement, assentiment, ratification sont nécessairement sous-entendus : le projet présenté par un agent qui demanderait à bénéficier du dispositif doit ainsi être élaboré « en rapport étroit avec la mission de la direction et conforme aux orientations nationales en matière de recherche ». Il ne s’agit pas pour un agent de solliciter des moyens, notamment en termes de ’temps’ pour se lancer librement dans des activités de recherche, celles-ci doivent avoir déjà été commencées [3], concerner exclusivement les questions traitées au sein de la PJJ et avoir été validées par une institution scientifique ou universitaire [4].
Ce qui est attendu de la part de l’agent est de "valoriser ces recherches au sein de la PJJ", la rhétorique de l’intérêt du service détenant une qualité distinctive. Ainsi, il lui est proposé de déposer "un dossier de candidature auprès d’un comité de sélection et de valorisation des activités de recherches", ce dossier devant être composé suivant des consignes détaillées. Le dossier retenu, cet agent pourra se voir accorder « le bénéfice de certaines des modalités [telles] : • possible aménagement des horaires de travail ; • facilitation d’octroi de congés ordinaire afin de mener les travaux de recherche ; • octroi éventuel d’autorisation d’absence ; • facilitation des accès aux terrains de recherche ; • facilitation des accès aux données détenues par l’institution et aux fonds documentaires ; • aide à l’organisation de rencontres avec des professionnels, des institutions, des personnalités avec lesquels la direction entretient des relations ; • prise en charge financière de certains frais de déplacement dans le cadre des travaux de recherche ; • éventuel soutien financier ; • aide à la valorisation et la diffusion des résultats de la recherche. »
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De telles facilités ne sont pas des moindres. Tout étudiant-chercheur en des matières qui associent le droit pénal, la justice des mineurs, les systèmes éducatifs, la prévention de la délinquance, etc. se sent nécessairement concerné et sans doute se voit-il là incité à solliciter une embauche au sein des services de la PJJ. Car, ainsi que le précise la circulaire du 20 novembre 2013, « pour être éligible au dispositif, l’agent devra (...) : • appartenir à l’un des corps exerçant son activité à la PJJ ; • disposer d’une expérience professionnelle suffisante dans le domaine de la protection judiciaire de la jeunesse ; • avoir démontré un intérêt marqué pour l’analyse en profondeur et la recherche expressément orientées sur la compréhension d’aspects généraux ou spécifiques de la mission de la protection judiciaire de la jeunesse et, plus généralement, de la justice des mineurs ».
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Il faudrait pourtant retenir le mouvement de valorisation de activités de recherches scientifiques dans les espaces administratifs.
A l’attention des étudiants-chercheurs, notamment des doctorants, il apparaît alors utile de s’intéresser aux consignes contenues dans cette circulaire pour la présentation du dossier de candidature au dispositif. Elles rejoignent certaines des recommandations qui peuvent leur être adressées dans le cadre universitaire : « A l’appui de sa demande le candidat devra déposer (...) un dossier de candidature qui devra comporter une présentation rédigée du projet précisant notamment : • l’objet de la recherche ; • la problématique - Il s’agit des interrogations de l’objet qui font apparaître un ou plusieurs problèmes et les moyens et les instruments nécessaires pour y apporter des réponses. Cette partie du dossier est l’occasion de faire une revue des travaux antérieurs dans le domaine nourrie d’une bibliographie. Cette revue est utile pour préciser l’état récent du débat sur ces questions et les données empiriques d’ores et déjà disponibles. C’est également l’occasion de rendre explicite la valeur ajoutée du projet proposé par le candidat ; • les aspects méthodologiques de la recherche ; • les effets attendus de la recherche ; • l’institution scientifique encadrant le travail (intitulé, coordonnées, travaux réalisés récemment, nom et qualité du responsable, nom et qualité du chercheur encadrant le projet présenté) ; • le calendrier de la recherche ; ... » [5]. Et un suivi est organisé tout au long de la recherche...
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Toutefois, aussi généreuse que semble être la proposition portée par la circulaire, le dispositif de soutien et de valorisation des activités de recherche des agents publics apparaît comme un moyen de mettre au service de l’administration les capacités et aptitudes à la recherche de ses propres agents, et, corrélativement, de brider la liberté de la recherche...
[1] BOMJ 29 nov. 2013.
[2] V. par ex., J. Piednoir, L’obligation de réserve d’un officier chercheur entre les énervements de la hiérarchie et les évitements du juge : l’affaire Matelly, AJFP 2011, p. 108.
[3] Il est en effet signifié que « le dossier de candidature est l’occasion d’exposer un travail qui bien qu’il ne soit pas encore finalisé démontre d’ores et déjà un fort investissement personnel ».
[4] Ce qui est relevé dans les conditions exigées pour prétendre au dispositif en tant que le candidat doit « présenter une aptitude à la recherche reconnue par une institution scientifique acceptant d’encadrer le projet et le travail de recherche ». De même, dans le dossier de candidature il est demandé au candidat de préciser « les enjeux et l’intérêt pour la direction de la protection judiciaire de la jeunesse que représente cette recherche ». Plus encore, doit être joint au dossier, « un courrier de l’institution scientifique adressé à la sous-direction des ressources humaines mentionnant son engagement au coté du chercheur et vis-à-vis de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse, relativement au projet et à l’accompagnement de sa réalisation ».
[5] Le détail de la procédure d’examen de la candidature renforce cette impression : examen du dossier de candidature par un ’comité de sélection’ qui doit relever "la qualité et la pertinence du projet" ainsi que "la motivation du candidat", au regard de son parcours professionnel. Le candidat peut être convoqué pour une présentation orale (une heure) devant le comité afin d’apporter un éclairage "sur la recherche entreprise, ses modalités ainsi que sa finalité". A l’issue de cet exposé oral, le comité rend un avis consultatif ...