Le 21 mai 2019, par Geneviève Koubi,
Quelques quotidiens, tels entre autres Les échos [1], Le Figaro [2], en ont fait écho : « la grande mobilisation pour l’emploi et les transitions » souhaitée par le Président de la République se retrace dans une circulaire en date du 16 mai 2019 émanant du Premier ministre adressée aux préfets de région - seulement.
Cette circulaire doit être comprise comme une des suites de la réunion de lancement de la "Mobilisation nationale et territoriale autour de la formation, l’emploi, et des grandes transitions écologique et numérique" du 6 mai 2019 [3] - ce qui est confirmé dès la phrase introductive de ladite circulaire comme par la liste des organisations qui avaient été conviées à la réunion du 6 mai 2019 (associations d’élus, syndicats, acteurs associatifs).
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Dans ces comptes-rendus journalistiques, les mesures exposées dans la circulaire n’y sont pas détaillées, quelques-unes seulement sont relevées en termes d’objectifs et de résultats « tangibles » à atteindre. Dans les dix jours, les préfets sont ainsi sommés de réunir les « acteurs pertinents » [4] pour envisager une application rapide de ces mesures…
Si, dans le cadre de la mobilisation pour l’emploi, la première de ces mesures le plus souvent citée concerne les services de Pôle emploi, un déplacement des objectifs doit être retenu en ce que les préfets ne se trouvent là que réceptionnaires d’une circulaire dont l’application ne dépend pas d’eux. Sont directement impliquées, en tant qu’acteurs pertinents - acteurs économiques et sociaux -, les collectivités territoriales. Ainsi, ce ne sont pas les seuls services de Pôle emploi qui auront à se pencher sur les dispositifs d’insertion [5], sur les moyens de mettre en œuvre les formations professionnalisantes ou les stages de conversion professionnelle, mais surtout, à s’intéresser à l’apprentissage conçu à l’endroit des jeunes. Les administrations locales seront aussi mises à contribution. Les enjeux ne sont pas des moindres pour répondre au souhait présidentiel et à l’exigence gouvernementale : disséquer le marché de l’emploi pour trouver un employeur assurant d’un contrat d’apprentissage effectif ; adapter les trajets et les modes de transport [6], aider à la recherche d’un logement donc encourager le « bail mobilité » [7].
Cette dernière expression est tirée de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (dire loi ELAN) [8]. Le « bail mobilité » est désormais défini à l’article 25-12 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 : « Le bail mobilité est un contrat de location de courte durée d’un logement meublé au sens de l’article 25-4 [9] à un locataire justifiant, à la date de la prise d’effet du bail, être en formation professionnelle, en études supérieures, en contrat d’apprentissage, en stage, en engagement volontaire dans le cadre d’un service civique prévu au II de l’article L. 120-1 du code du service national, en mutation professionnelle ou en mission temporaire dans le cadre de son activité professionnelle. » [10]
S’ajoute à ces quelques mesures l’incitation à la création de garderies qui permettrait aux parents, apprentis ou travailleurs, d’y confier leurs enfants lors d’un entretien d’embauche ou durant leur période d’essai.
En ce qui concerne la mobilisation pour des transitions en matière d’environnement, pensées sous le label d’une « écologie de proximité » [11], les mesures semblent plus générales et d’effectivité lointaine mettant plus à contribution les citoyens, les entreprises et les collectivités territoriales que l’État. Les articles de presse n’insistent pas sur la convention citoyenne ou sur le conseil de défense écologique. Ils relèvent toutefois que les objectifs s’entendent surtout pour 2025, ces derniers concernent autant le traitement des déchets que (recyclage du plastique par exemple) que l’alimentation dans les cantines - des établissements publics. Quant aux mesures précisément relatives à la transition écologique et à l’économie circulaire, peu d’articles en retracent les données. Or, plutôt que s’en emparer, l’État les dédient aux territoires… il restera donc aux collectivités territoriales, aux entreprises privées, comme aux ONG, de le faire.
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On pourrait s’interroger sur les raisons pour lesquelles les quotidiens se sont intéressés à cette circulaire n° 6083/SG du 16 mai 2019 relative à la mobilisation nationale pour l’emploi et la transition écologique et numérique. Les comptes-rendus de la réunion du 6 mai 2019 en avaient auparavant dessiné les principaux axes [12]. La publicité qui lui a été accordée repose peut-être sur l’affirmation selon laquelle les chantiers ouverts s’inscrivent dans la ligne du discours du Président de la République du 25 avril 2019 [13]. Mais, en forme souterraine, ce serait plutôt suivant la formule relative à un « nouvel acte de décentralisation et de différenciation » que se comprendrait l’intérêt porté à cette circulaire car, si les mesures envisagées dans la circulaire impliquent l’État, sont évoqués « de nouvelles perspectives en matière d’organisation de l’action publique territoriale et de rénovation des outils de contractualisation entre l’État et les collectivités »…
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Pour chacun des six chantiers identifiés (formation professionnelle, recherche d’emploi, reprise d’emploi, territoires en transition, écologie du quotidien, rénovation thermique des logements), essentiellement composés en enfilade de questions, sont désignés, dans les fiches pratiques qui les concernent, les « acteurs pertinents ». Ainsi, par exemple, pour le développement de l’apprentissage, plusieurs compétences devant être croisées (formation, transport, logement) sont signalés le ministère du travail, le MEDEF, Pôle emploi, les rectorats, bailleurs sociaux, associations, et les collectivités territoriales.
La lecture des différentes fiches peut surprendre, ne serait que du fait de leur format bien trop proche du powerpoint. Néanmoins, en certaines matières quelques développements suscitent des questionnements. Par exemple, dans la fiche 4, cette phrase ne peut qu’intriguer : « en matière écologique comme industrielle, faire déboucher un projet peut être vécu comme un parcours d’obstacles par les porteurs de projets qui font face à niveaux de décisions multiples et à des règles parfois contradictoires. » (les caractères gras relevant du texte même de la circulaire) [14]...
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La série de questions « concrètes à traiter » et, par là, la multitude des points d’interrogations empêchent de considérer cette circulaire comme porteuse de mesures spécifiques dans les matières concernées par la « mobilisation » ...
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[1] « Retour à l’emploi, transition écologique : les pistes de Matignon », 20 mai 2019.
[2] « Emploi, écologie : les premières pistes qui émergent de la ’mobilisation générale’ », 20 mai 2019.
[3] V. « Avec la "mobilisation générale", ... un "changement de méthode" », 6 mai 2019 ; « Mobilisation pour l’emploi : P... change sa "méthode" avec les partenaires sociaux », 6 mai 2019.
[4] C-à-d : partenaires sociaux, élus locaux, représentants des opérateurs concernés, monde associatif.
[5] V. Sur ce point, circ. DGEFP/SDPAE/MIP/METH/MPP/2019/17 du 31 janvier 2019 relative au Fonds d’inclusion dans l’emploi en faveur des personnes les plus éloignées du marché du travail (parcours emploi compétences, insertion par l’activité économique, entreprises adaptées, groupements d’employeurs pour l’insertion et la qualification) ; circ. CABINET/2019/25 du 4 février 2019 relative au déploiement du plan 10 000 entreprises pour l’inclusion et l’insertion professionnelle.
[6] Des aides pourraient être attribuées pour aides passer le permis de conduire ou louer une voiture.
[7] Une étude sur les diverses acceptions de ce terme de « mobilité » dans les divers champ du droit ne serait pas sans intérêt...
[8] Modif. L. n° 89-462, 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs. Cf. L. n° 2018-1021, 23 nov. 2018, art. 107, 140.
[9] Qui dispose : « Un logement meublé est un logement décent équipé d’un mobilier en nombre et en qualité suffisants pour permettre au locataire d’y dormir, manger et vivre convenablement au regard des exigences de la vie courante. / ... »
[10] NB : ce bail - non renouvelable - s’inscrit dans un temps déterminé : d’un à dix mois.
[11] V. sur ce point, la fiche 5 de la circulaire n° 6083/SG.
[12] Qui sont répertoriés dans des ’fiches pratiques’ annexées et présentées comme des réponses aux questions soulevées dans la circulaire.
[13] Ou conférence ? v. (Re)voir la conférence de presse du Président Emmanuel Macron à l’issue du Grand Débat national.
[14] V. en ce qui concerne ces deux matières, insérées à la fiche 4, les annexes 1 - notamment sur les contrats territoriaux de transition écologique - et 2 - à propos des territoires d’industrie - de la circulaire du 16 mai 2019.