Le 9 décembre 2008, par Geneviève Koubi,
A l’occasion d’une brève, il avait déjà été fait état d’une interrogation à mener à propos de l’usage du terme ’exemplarité’ dans les discours politiques.
Une circulaire du Premier ministre n° 5351/SG du 3 décembre 2008 évoque « l’exemplarité de l’Etat au regard du développement durable dans le fonctionnement de ses services et de ses établissements publics ».
En fait, à lire cette circulaire, tout doit être désormais éco-labellisé dans la (re)définition de la « stratégie nationale de développement durable » [1].
Il s’agit là de prendre en considération les prolongements à donner à ce qui constituait le Grenelle de l’Environnement.
Cette circulaire insiste encore une fois, en quatre pages, sur les ‘économies’ à réaliser ; elle comporte en sus des précisions techniques dans de longues annexes établies à partir de ‘fiches’ [2] concernant aussi bien les fournitures de bureau que les vêtements (de travail [3]), les biens alimentaires [4] que les matériels informatiques, le mobilier [5] que les produits d’entretien, les voitures particulières [6] que la gestion des déchets, les espaces verts que l’éclairage, etc.
Ces fiches établissent des objectifs chiffrés de réduction de la consommation d’énergie [7], de limitation de la production de déchets [8], de restriction quant à l’usage de certaines ressources, d’incitation au recyclage [9], de mutualisation des achats ‘éco-responsables’ et de formation des agents, ou à tout le moins, de sensibilisation des agents à la nécessité d’opérer de telles économies … Les déplacements professionnels des agents devront être restreints afin de contribuer à la réduction des émissions de gaz à effet de serre [10] ; le recours à la messagerie électronique est fortement encouragé. Les réseaux internet permettront donc que soient validés en droit les déplacements professionnels virtuels ! Mais, plus surprenant est la demande d’un déploiement du télé-travail et des télé-activités. Ces formes de délocalisation des fonctions administratives ne seront pas sans conséquence sur la nature même du travail administratif et des relations des citoyens avec les administrations [11] !
Le souci de la dématérialisation de tous les moyens de paiement des services rendus par les administrations ou entreprises chargées de missions de service public est constant. La vie à l’heure d’internet conduit à supprimer tous les intermédiaires, tous les supports relationnels, toutes les voies de communication ‘physique’. Ni guichet, ni téléphone… et, évidemment, au nom de l’exemplarité de l’Etat en matière de développement durable, bien des emplois devront être supprimés parce que source de déperdition d’énergie —à tous les sens du terme [12]. En quelque sorte, pourquoi demander à un agent qui travaille sur dossiers numérisés de se déplacer puisque, pourvu d’un poste de travail à son domicile, il serait à même de réaliser les mêmes tâches ? — les économies réalisées sont là calculées en faveur de l’Etat et au détriment de l’identité sociale de l’agent...
Dans toutes les administrations, services et établissements publics devront désormais être entreposés des containers destinés à recueillir papiers, piles, équipements électroniques, etc. La collecte sélective des déchets par les agents publics devient effectivement essentielle. Reste à savoir si un manquement à ces méthodes de sélection et de tri des ordures, rebuts et résidus serait passible de sanctions disciplinaires…
.
Mais, car il y a un mais....
La fiche n° 20 revêt une coloration particulière dans ce détail des propositions, objectifs et obligations pour un développement durable éco-étatisé. Bien que directement liée aux propositions émises dans la circulaire, cette fiche qui concerne la responsabilité sociale de l’Etat et évoque les questions toujours serinées de l’égalité des chances et de la parité en instituant de nouvelles données relatives au ‘recrutement’, est bizarrement justifiée.
Dans sa circulaire du 3 décembre 2008, le Premier ministre énonce :
« L’Etat doit se fixer des objectifs élevés en ce qui concerne le respect des droits fondamentaux de la personne au travail, l’intégration des personnes handicapées, l’insertion des personnes éloignées de l’emploi et la parité professionnelle. A cet égard, je vous rappelle qu’il a été décidé, lors du Conseil des ministres du 9 avril 2008, que les achats publics socialement responsables doivent représenter au minimum 10% des achats courants de l’Etat et de ses établissements publics d’ici 2012 dans les secteur comportant au moins 50% de main d’œuvre ».
Le connecteur marqueur à cet égard n’est-il pas quelque peu incongru ? La position curieuse de la fiche n° 20 ne peut donc que retenir l’attention des juristes concernés par les remises en cause que connaît le statut de la fonction publique. Les quelques éléments qui y sont insérés relatifs à l’emploi des travailleurs handicapés, des jeunes sans qualification, des jeunes issus de divers milieux socioprofessionnels par le biais de dispositifs de parrainage… ne concernent en rien l’objet annoncé de la circulaire et reflètent mal les expressions du ministre. Quelle est donc la raison de cette insertion ? Sans doute se préparent là les prochaines mesures relatives à une application de la discrimination positive dans les cadres de la fonction publique…
.
[1] La définition des stratégies nationales répond aux logiques de ce type de texte de nature administrative : v. G. Koubi, Les circulaires administratives, Economica 2003.
[2] On croirait presque que le modèle de classement par fiches – et fichiers — devient la norme dans les administrations centrales !
[3] Vêtements qui ne sont pas à chaque fois de la propriété des agents, d’où les spécifications techniques relatives aux modes de nettoyage…
[4] Cette circulaire reprend là en fait le modèle de la circulaire du Premier ministre du 2 mai 2008 relative à « l’exemplarité de l’Etat en matière d’utilisation des produits issus de l’agriculture biologique dans la restauration collective »…
[5] dit ‘éco-conçu’…
[6] D’où la formation à l’éco-conduite des agents exposée dans la fiche n° 13.
[7] En rappel des dispositifs de la circulaire du 28 septembre 2005 relative au rôle exemplaire de l’Etat en matière d’économie d’énergie.
[8] Ainsi, par exemple, est prévue la suppression des imprimantes à jet d’encre et est sollicitée un développement de l’utilisation des cartouches laser.
[9] Ce qui emporte l’obligation d’usage de papier recyclé.
[10] La consigne ne vaut pas pour le Président de la République, le Premier ministre et les membres du gouvernement…
[11] V. fiche n° 14.
[12] V. fiche n° 18 sur la formation à une culture partagée du développement durable.