Le 18 juillet 2009, par Geneviève Koubi,
.
La Cour européenne des droits de l’homme a déclaré irrecevables des plaintes contre la France concernant l’exclusion d’élèves d’établissements scolaires en raison du port de signes ostensibles d’appartenance religieuse.
Dès lors qu’il y a ‘résonance religieuse’, ni chapeau, ni capuchon, ni béret, ni cagoule, ni écharpe, ni châle, ni bonnet ne peuvent être admis dans les écoles publiques en France. De plus, si l’obstination à les arborer conduit jusque devant les tribunaux, que ce soit au nom de la liberté de conscience ou pour faire état d’une appartenance à une communauté religieuse, envisager porter l’affaire devant la Cour européenne des droits de l’homme n’a plus de sens.
.
En effet, comme l’indique un Communiqué du greffier du 17 juillet 2009, une chambre de la Cour européenne des droits de l’homme a déclaré irrecevables six requêtes qui contestaient le bien-fondé de l’application de l’alinéa 1 de l’article L. 141-5-1 du Code de l’éducation [1].
Dans les affaires Aktas c. France (requête n° 43563/08), Bayrak c. France (n° 14308/08), Gamaleddyn c. France (n° 18527/08), Ghazal c. France (n° 29134/08), J. Singh c. France (n° 25463/08) et R. Singh c. France (n° 27561/08), c’est au jour de la rentrée que, venus les unes les cheveux couverts d’un foulard, les autres coiffés d’un turban, il leur a été demandé de retirer ces couvre-chefs et de se conformer aux règlements intérieurs lesquels reposent sur les dispositions législatives insérées dans le Code de l’éducation.
Des jeunes filles ont choisi remplacer le voile par le bonnet. Mais c’était encore afficher visiblement l’appartenance à une communauté religieuse. Quant au port du “keski” sikh, bien que moins ostentatoire que le turban traditionnel, il ne pouvait être qualifié de ‘discret’ et restait ’ostensible’ [2].
Devant leurs refus respectifs de se séparer de ces objets symboliques, réitérés lors de la procédure de conciliation, comme il ne pouvait être envisagé de laisser ces élèves suivre les enseignements dans un établissement public alors qu’ils en refusaient la logique sociale, la sanction de l’exclusion est tombée... pour les orienter vers les structures d’enseignement à distance. En ces espèces donc, la sanction d’exclusion « n’est pas disproportionnée, les élèves ayant eu la possibilité de poursuivre leur scolarité au sein d’établissements d’enseignement à distance ».
.
Les familles des élèves concernés dénonçaient une atteinte disproportionnée à la vie privée (art. 8 CEDH), une violation de leur liberté de pensée et de religion et relevaient une différence de traitement fondée sur leur religion.
Invoquer une combinaison entre l’article 9 [3] et l’article 14 [4] de la Convention européenne des droits de l’homme n’a pas servi leur cause.
En effet, « si la liberté de religion relève d’abord du for intérieur, elle implique également celle de manifester sa religion individuellement et en privé, ou de manière collective, en public et dans le cercle de ceux dont on partage la foi. L’article 9 énumère les diverses formes que peut prendre la manifestation d’une religion ou conviction, à savoir le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites. Il ne protège toutefois pas n’importe quel acte motivé ou inspiré par une religion ou conviction et ne garantit pas toujours le droit de se comporter d’une manière dictée par une conviction religieuse ». Les individus doivent alors admettre « des concessions diverses qui se justifient aux fins de la sauvegarde et de la promotion des idéaux et valeurs d’une société démocratique ».
.
Dans une dépêche AFP de ce jour, il est affirmé que la Cour aurait jugé que « ce sont ces impératifs de protection des droits d’autrui et de l’ordre public qui ont motivé l’exclusion, et non des objections aux convictions religieuses des élèves ».
L’argumentation de la Cour est plus élaborée.
En un premier temps, elle « constate … que dans une société démocratique, où plusieurs religions coexistent au sein d’une même population, il peut se révéler nécessaire d’assortir cette liberté de limitations propres à concilier les intérêts des divers groupes et à assurer le respect des convictions de chacun [5] ». L’Etat doit, dans une société démocratique, être un « organisateur neutre et impartial de l’exercice des diverses religions, cultes et croyances ». En conséquence, « le devoir de neutralité et d’impartialité de l’Etat est incompatible avec un quelconque pouvoir d’appréciation de la part de celui-ci quant à la légitimité des croyances religieuses ou des modalités d’expression de celles-ci ».
En un second mouvement, la prise en considération des rapports entre l’Etat et les religions, invite à accorder « une importance particulière au rôle du décideur national », notamment lorsqu’existeraient ou pourraient exister des divergences entre les unes, entre les unes et l’autre. La Cour estime que « tel est notamment le cas lorsqu’il s’agit de la réglementation du port de symboles religieux dans les établissements d’enseignement ». Elle rappelle aussi que « l’Etat peut limiter la liberté de manifester une religion, par exemple le port du foulard islamique, si l’usage de cette liberté nuit à l’objectif visé de protection des droits et libertés d’autrui, de l’ordre et de la sécurité publique ».
Elle confirme ainsi sa propre jurisprudence issue des arrêts Dogru et Kervanci c. France (n°s 31645/04 et 27058/05, 4 décembre 2008) [6] : « la Cour ne voit aucun motif susceptible de la convaincre de s’éloigner de cette jurisprudence. Elle constate en effet que l’interdiction de tous les signes religieux ostensibles dans les écoles, collèges et lycées publics a été motivée uniquement par la sauvegarde du principe constitutionnel de laïcité (Dogru et Kervanci, précités, §§ 17 à 22) et que cet objectif est conforme aux valeurs sous-jacentes à la Convention … ».
.
[1] « Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit. ») et, par cela, l’exclusion d’élèves concernés de leur établissement scolaire « en raison du port de signes ostensibles d’appartenance religieuse ».
[2] La circulaire ministérielle du 18 mai 2004 avait clairement signifié que « la loi interdit à un élève de se prévaloir du caractère religieux qu’il y attacherait, par exemple, pour refuser de se conformer aux règles applicables à la tenue des élèves dans l’établissement ».
[3] « 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites. /2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
[4] « La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
[5] Réf. CEDH 2005-XI Leyla Şahin c. Turquie [GC], n° 44774/98
[6] … à propos de l’interdiction faite à deux élèves de porter le foulard islamique en cours d’éducation physique.