Le 7 octobre 2010, par Geneviève Koubi,
Le Conseil constitutionnel [1] a validé, dans une décision n° 2010-613 DC du 7 octobre 2010, la loi interdisant la dissimulation du visage dans les espaces publics, — ce que chacun s’accorde à penser qu’elle interdirait principalement le port du voile dit intégral, c’est à dire de la burqa ou du niqab, alors qu’elle concerne toute les manières de couvrir, cacher, camoufler, masquer son visage en des lieux "ouverts au public". En effet, la notion d’espace public s’entend comme regroupant les voies publiques, les divers locaux ouverts au public et les lieux affectés à un service public.
Curieusement, le Conseil constitutionnel s’est aussi attaché à préciser que cette interdiction ne pouvait s’appliquer dans les lieux de culte ouverts au public...
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En un considérant, le Conseil constitutionnel offre au législateur un très large champ d’application des politiques sécuritaires et, de ce fait même, liberticides.
En effet, pointant « l’apparition de pratiques, jusqu’alors exceptionnelles, consistant à dissimuler son visage dans l’espace public » pour justifier l’intervention du législateur en ce domaine particulier qui ne visait que quelques centaines de personnes, le Conseil constitutionnel estime que le législateur est en droit d’apprécier si des pratiques, pacifiques (vestimentaires en l’occurrence), « peuvent constituer un danger pour la sécurité publique et méconnaissent les exigences minimales de la vie en société ». En situant sur un même plan la question de la sécurité et celle de la convivialité, il déconstruit les trames essentielles de la dynamique républicaine des libertés publiques.
Plus encore, reprenant la rhétorique occultante des tenants de l’interdiction du port du voile intégral, il remarque que le législateur détient le pouvoir d’estimer « que les femmes dissimulant leur visage, volontairement ou non, se trouvent placées dans une situation d’exclusion et d’infériorité manifestement incompatible avec les principes constitutionnels de liberté et d’égalité ». Cette observation fait directement référence aux pratiques prétendument religieuses qu’il s’agissait alors d’empêcher. Mais en même temps, elle ouvre un terrain de réflexion : par delà les perruques, les foulards (de marque), les chapeaux, les lunettes de soleil, etc. qui ombreraient le visage (seulement des femmes ?), les casques de motard pourraient-ils être aussi de ces accessoires marqueurs d’une infériorité ?
Le Conseil constitutionnel admet que le législateur puisse « compléter et généraliser des règles jusque là réservées à des situations ponctuelles à des fins de protection de l’ordre public ». Cette incursion sur le terrain des attitudes et comportements "ponctuels" est lourde de dangers pour l’avenir des libertés et des droits fondamentaux ; elle relativise singulièrement le principe de la généralité de la loi.
Si, dans sa décision du 7 octobre 2010, le Conseil constitutionnel la présente comme une "réserve d’interprétation", son observation relative à « l’exercice de la liberté religieuse dans les lieux de culte ouverts au public », montre combien l’extensibilité de la notion d’espace public est préoccupante.
Mais il ne s’aventure guère vers d’autres modèles qui, de la même manière, reviennent à interdire la dissimulation du visage dans cet espace, notamment pour ce qui concerne les écharpes et les cagoules dans les cortèges des manifestations de rue — étant exclu que le port de ces tenues pourrait être, pour la personne concernée, un moyen de se protéger (des gaz lacrymogènes par exemple), donc étant présupposé que toute personne dissimulant volontairement en tout ou partie son visage le ferait "afin de ne pas être identifiée" [2]. Il est donc intéressant de noter que la question de l’identification de la personne et celle de sa visibilité sociale, primordiales pour le gouvernement et sous-jacentes à la problématique de l’interdiction du port d’un voile dit ’intégral’, n’ont pas été soulevées... Elles sont toujours en suspends.
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Sans aucun doute, la promulgation de cette loi interviendra rapidement. Toutefois, oeuvre pédagogique préalable étant nécessaire, l’interdiction n’entrera en vigueur qu’au printemps 2011.
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