Le 4 juin 2011, par Geneviève Koubi,
L’article 1er du décret n° 2010-1274 du 25 octobre 2010 portant création d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé PARAFE [1] dispose : « Le ministre de l’intérieur et le ministre chargé de l’immigration sont autorisés à mettre en œuvre un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé PARAFE (passage rapide aux frontières extérieures) et destiné, pour les voyageurs aériens, maritimes et ferroviaires volontairement inscrits, à améliorer et faciliter les contrôles de police aux frontières extérieures. / Peuvent être inscrites au programme PARAFE les personnes majeures, citoyens de l’Union européenne ou ressortissants d’un autre État partie à l’accord sur l’Espace économique européen ou de la Confédération suisse ainsi que leurs conjoints ressortissants d’un pays tiers. L’inscription et le maintien au programme PARAFE nécessitent la détention d’un passeport en cours de validité. Un arrêté du ministre de l’intérieur et du ministre chargé de l’immigration fixe la liste des titres et documents permettant aux personnes de s’inscrire et de bénéficier des modalités de contrôle prévues par ce programme. »
L’arrêté du 25 octobre 2010 pris pour l’application de ce décret, retenant ces déterminations quant aux personnes acceptant se soumettre au système de vérification des documents [2] prévoyait alors, en son article 2, que : « Pour l’entrée dans le sas PARAFE, la personne inscrite au programme PARAFE présente son passeport si celui-ci est doté d’une bande de lecture optique conforme aux recommandations du document 9303 de l’Organisation de l’aviation civile internationale. /Dans le cas où le passeport ne dispose pas d’une bande de lecture optique ou lorsque celle-ci n’est pas lisible par le système PARAFE, une carte de passage PARAFE peut être délivrée par le service ayant procédé à l’inscription au programme. La validité de cette carte expire à la même date que celle du passeport ayant permis l’inscription. Son porteur est informé que cette carte ne peut être utilisée que pour le franchissement du sas PARAFE et ne le dispense pas, le cas échéant, de produire le titre ou document qui peut être exigé pour le franchissement des frontières de l’Etat de départ ou de destination. »
C’est cet article 2 qui vient d’être modifié par l’arrêté du 20 mai 2011 publié au Journal officiel du 4 juin 2011 [3].
Cet article 2 est désormais ramassé en ces quelques phrases : « Les personnes éligibles au programme PARAFE telles que mentionnées au second alinéa de l’article 1er du décret n° 2010-1274 du 25 octobre 2010 et titulaires d’un passeport en cours de validité doté d’une bande de lecture optique conforme aux recommandations du document 9309 de l’Organisation de l’aviation civile internationale, doivent s’inscrire préalablement au programme pour avoir accès au sas PARAFE. Pour l’entrée dans le sas PARAFE, elles présentent ce passeport. /Les personnes éligibles au programme titulaires d’un passeport dit "biométrique” sont dispensées de toute inscription préalable. »
● C’est donc la proposition de la « carte de passage PARAFE » qui est supprimée...
Plusieurs raisons pourraient expliquer cette suppression : - le prétendu « service rendu aux voyageurs » que PARAFE devait remplir, n’a pas eu suffisamment de ‛succès’ auprès des personnes éventuellement concernées ; - les passeports présentés par les citoyens européens sont (doivent être) désormais tous des passeports biométriques ; - la délivrance d’une carte biométrique spécifique génère des coûts importants ; il s’agit de faire en sorte que l’inscription au programme PARAFE ne soit proposée qu’aux titulaires du passeport et donc que le conjoint d’un ressortissant d’un autre Etat partie à l’accord sur l’Espace économique européen ou de la Confédération suisse, ressortissant de pays tiers, qui devait aussi présenter, en plus du passeport, « la carte de séjour de membre de famille d’un citoyen de l’Union » (art. L. 121-3 CESEDA) ou, conjoint de Français, « la carte de séjour temporaire portant la mention ‛vie privée et familiale’ » (art. L. 313-11 4° CESEDA) ou la carte de résident (art. L. 314-9 CESEDA) ne puisse plus passer les frontières par le sas PARAFE et subisse ainsi les contrôles ‛classiques’ au ‛guichet’. Quoiqu’il en soit, l’objectif est bien de faire en sorte que tous les voyageurs disposent un jour d’un passeport biométrique [4].
● En même temps, l’utilisation de l’expression « personnes éligibles au programme PARAFE » doit être relevée [5]. Cette expression est employée dans certains textes juridiques lorsque des ‛sélections’ sont nécessaires.
Jusqu’alors, sans s’appesantir sur les questions économiques relatives aux entreprises, cette expression permettait des distinctions parmi les administrés en créant les catégories : personnes ‛défavorisées’, personnes prioritaires, personnes démunies, etc., afin de leur octroyer certaines aides ou allocations ; ainsi parle-t-on de « personne éligible au revenu de solidarité active ».
D’autres exemples confirment cette perception. L’arrêté du 10 mars 2011 relatif au contenu de la convention de réservation de logements par l’Etat mentionnée à l’avant-dernier alinéa de l’article R.* 441-5 du code de la construction et de l’habitation comporte un article 1er qui, concernant la réservation de logements par l’Etat au bénéfice de personnes prioritaires, précise en son 3° que la convention fixe « Dans le respect du plan départemental d’action pour le logement des personnes défavorisées, les catégories de personnes prioritaires qui, en sus de celles qui ont été reconnues prioritaires par la commission de médiation, sont éligibles aux logements réservés par le préfet et la procédure de reconnaissance de l’éligibilité de ces personnes ». De même, le décret n° 2010-1424 du 18 novembre 2010 fixant les conditions d’application des II, III, IV et V de l’article 50 de la loi n° 2009-594 du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer et les limites apportées au cumul des aides au cours d’une même année prévoit en son article 2, en relation avec une notion de continuité territoriale, que : « Les résidents de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Guyane, de La Réunion, de Saint-Pierre-et-Miquelon, de Mayotte, des îles Wallis et Futuna, de la Polynésie française, de la Nouvelle-Calédonie, de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin répondant aux conditions d’éligibilité fixées en application du II de l’article 50 de la loi du 27 mai 2009 susvisée peuvent obtenir une aide pour financer une partie du coût du déplacement aller-retour en transport aérien au départ de leur collectivité vers la France métropolitaine. /Le montant de l’aide versée aux personnes éligibles varie en fonction des ressources de celles-ci ».
Dans le cadre de PARAFE, alors que le décret n° 2010-1274 du 25 octobre 2010 vise, de manière générale, « les personnes majeures, citoyens de l’Union européenne ou ressortissants d’un autre Etat partie à l’accord sur l’Espace économique européen ou de la Confédération suisse ainsi que leurs conjoints ressortissants d’un pays tiers », cette notion de personne éligible peut servir de base à de futures politiques discriminantes ou discriminatoires pour l’entrée sur le territoire... Et cette fois-ci, ce ne serait pas sur le fondement d’une politique sociale ciblée, mais sur celui d’une politique sécuritaire aux accents ‛nationalitaires’.
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[1] V. G. Koubi, sur Droit cri-TIC, « Fichier PARAFE. Par affres ? »
[2] ... et, non pas, ‛bénéficiant de ce service’, ce que voudrait faire croire les publicités diffusées à ce propos en dépit du des enjeux consignés à l’article 1er al. 1 du décret selon lesquels ce système est destiné à « améliorer et faciliter les contrôles de police aux frontières extérieure » ; v. G. Koubi, sur Droit cri-TIC, « A la frontière entre le fichier et le service ? L’S en plus ou en moins ».
[3] Lien : Arr. du 20 mai 2011 modifiant l’arrêté du 25 octobre 2010 pris pour l’application du décret n° 2010-1274 du 25 octobre 2010 portant création d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé PARAFE.
[4] Ce qui exigerait de maintenir une veille quant aux débats (et à leurs suites) relatifs à la proposition de loi relative à la protection de l’identité (Sénat n° 682) en tant que, selon l’exposé des motifs, l’article 3 envisagé initialement apporterait de nouvelles fonctionnalités à la carte nationale d’identité qui pourraient être librement choisies par son titulaire : « Si son titulaire le souhaite, la carte est en effet pourvue d’un second composant électronique, distinct de celui contenant les données évoquées à l’article 2, qui lui permet de s’identifier à distance sur les réseaux de communications électroniques et de mettre en œuvre sa signature électronique. La carte devient donc un instrument d’authentification lors de démarches administratives ou de transactions commerciales sur internet. La sécurité de ces démarches et transactions s’en trouve améliorée. Cette possibilité d’identification ouvre par ailleurs de nouvelles perspectives de simplifications administratives. »
[5] Dans les visas du décret du 25 octobre 2010 on notera la mention du décret n° 2010-569 du 28 mai 2010 relatif au fichier des personnes recherchées.