Le 29 mars 2012, par Geneviève Koubi,
Les fichiers chantent d’autres moyens larvés de surveillance des comportements sociaux, sous le prétexte de la création du service à compétence nationale à caractère interministériel : Opérateur national de paye, par le décret n° 2007-903 du 15 mai 2007. L’ONP doit désormais assurer « la paie des traitements, salaires et indemnités accessoires servis par les ordonnateurs principaux et secondaires à l’ensemble des fonctionnaires et agents de l’Etat. » Pour cela, un ’dossier unique agent’, dit DUA, doit être composé pour toute personne gérée ou rémunérée sur un budget suivi dans le cadre de la LOLF. Cependant, la mise en place est progressive ; cela ne concernera que certaines catégories d’agents dès 2014 pour couvrir l’ensemble des agents dès 2016. Ainsi, parce qu’une bonne articulation avec le système d’information relatif à la paye s’impose, les différentes bases de gestion de données RH (Ressources humaines) existantes doivent être réunies en une seule application dénommée SIRHEN (système d’information RH de l’éducation nationale).
Or, il ne s’agit pas de ne rassembler que des chiffres. Sous les comptes, sont aussi traqués, tracés, les "comportements" grâce à ce "concept de dossier unique de l’agent" [1].
Le décret n° 2012-342 du 8 mars 2012 portant création d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé "SIRHEN" relatif à la gestion des ressources humaines du ministère de l’éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative et du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche cible les personnels dits ’agents publics’, - donc aussi, surtout, les enseignants, quels que soient les lieux et établissements d’affectation. SIRHEN a peut-être pour objet la gestion administrative et financière des personnels, la gestion des moyens (emplois, postes et heures) et le pilotage national et académique, par la production d’indicateurs statistiques [2] (art. 1er D. n° 2012-342 du 8 mars 2012), mais il recèle tant de potentialités tenant aussi bien aux politiques applicables - qu’il s’agisse de la mobilité des personnels ou du profilage des postes - que quant aux formes de suivi de ces personnels - dont ne peuvent être exclus les enseignants -, qu’il en apparait plus que tentaculaire. Et, si aucun garde-fou n’est établi, il risque de porter atteinte à la vie privée des agents comme à la liberté dont ils pourraient aussi disposer à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions [3].
Les catégories de données à caractère personnel et d’informations enregistrées dans le traitement forment l’annexe au décret ; elles sont si nombreuses qu’elles ne pourraient valablement en composer un article. La liste qui en est donnée laisse douter des finalités affichées à l’article 1er du décret du 8 mars 2012. Tout aussi générales soient-elles, ces données étaient déjà listées, bien que dépendantes de plusieurs fichiers [4]. En fait, et le raccordement des systèmes d’information de gestion des ressources humaines à l’ONP permet ce recentrage dans un seul et même traitement.
En sont les données classiques relatives à l’identification des personnes : Nom de famille, le cas échéant, nom marital ou d’usage, et prénoms. Sexe. Coordonnées personnelles (adresse, téléphone, courriel). Coordonnées des personnes à contacter en cas d’urgence. Date et lieu de naissance. Nationalité. Date de cessation de fonctions, et lieu de décès, le cas échéant. Numéro d’inscription au répertoire national d’identification des personnes physiques [5]. Identifiant ministériel de l’agent (matricule).
En sont inévitablement, celles relatives à la situation familiale. Toutefois, le fichage qui s’ensuit dépasse le périmètre annoncé. Le conjoint ou le "partenaire" de l’agent se trouve directement pris dans les filets du traitement par delà même des données utiles pour la gestion financière des personnels : - nom de famille, le cas échéant, nom marital ou d’usage, et prénoms, - sexe, - adresse, - date et lieu de naissance, - nationalité, - corps, grade, indice du conjoint (lorsqu’il est employé par le ministère chargé de l’éducation nationale, de la jeunesse, de la vie associative ou celui chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche), - coordonnées personnelles et professionnelles, - taux d’incapacité permanente ou taux d’invalidité, - situation professionnelle, - date de fin du lien matrimonial et, le cas échéant, nouvelle situation matrimoniale des ex-conjoints. Il en est de même pour les enfants : nom(s), prénoms, - sexe, - date et lieu de naissance, - numéro d’inscription au répertoire national d’identification des personnes physiques des enfants [6], - rang de l’enfant dans la fratrie, - lien de filiation, - adresse, - date, taux d’incapacité permanente ou taux d’invalidité et mode de garde, - date du décès, le cas échéant.
L’enregistrement des données relatives à la vie professionnelle semblerait alors plus logique. Cependant quelques éléments dessinent la tendance générale à un pistage débordant au-delà des positionnements professionnels : 1/ Formation. Diplômes. Distinctions : Études poursuivies, diplômes détenus et date d’obtention. Distinctions honorifiques. Actions de formation continue. Situation militaire : durée et date des services militaires ou dans la réserve opérationnelle ou du volontariat international. 2 / Carrière : Catégorie, corps, grade, échelon et chevron. Affectations et fonctions exercées. Compétences et aptitudes professionnelles. Positions statutaires et situations administratives. Données relatives au contrat. Modalités de service et d’exercice. Logement par nécessité absolue de service. Congés et absences. Compte épargne-temps. Évaluations et entretiens professionnels. Avancements et promotions. Réductions et majorations d’ancienneté. Services antérieurs. Coordonnées professionnelles (adresse, téléphone, courriel). Élections professionnelles. Décharge d’activité pour exercer les fonctions de représentant syndical. Date et type de cessation définitive de fonctions. Bonifications pour pension de retraite. Activités accessoires autorisées. 3/ Sanctions.
Parmi les données à caractère économique et financier, on trouve : Coordonnées bancaires. Éléments de rémunération (traitement, indemnités, primes, remboursement de frais, retenues éventuelles [7]). Droits à prestations familiales et sociales, droit au supplément familial de traitement, ressources déclarées à cette fin.
Des données relatives à la santé sont aussi recueillies : - Aptitude médicale et handicap éventuel : type de handicap, date de début, date de fin, taux d’incapacité, taux d’invalidité, adaptation du poste (oui ou non). - Accidents et maladies professionnelles. A ce propos, la CNIL retient que « les données relatives au handicap sont exclusivement accessibles par les médecins du ministère. Les gestionnaires de l’application ont uniquement connaissance du fait que l’agent concerné est en situation de handicap et n’ont pas accès au détail des données enregistrées, et notamment au type de handicap. Elle prend également acte du fait que les données de santé collectées suite à un accident ou une maladie professionnelle sont accessibles aux seuls personnels médico-sociaux du ministère... » La vérification du respect de ces consignes sera-t-elle réalisée ?
Il est à noter que, selon le décret, « le traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé "SIRHEN" fait l’objet d’une interconnexion avec le traitement automatisé opérateur national de paye portant exclusivement sur les seuls éléments nécessaires au calcul et à la liquidation de la paye. » (art. 3 D. n° 2012-342 du 8 mars 2012). Mais comment ne pas douter d’une utilisation autre ? Comment s’assurer des mises à jour indispensables ? Quelles seraient les garanties quant à l’alimentation ou la rectification des données inscrites dans ce fichier ? Etc.
Ces données à caractère personnel « sont conservées dans le traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé SIRHEN jusqu’à la cessation définitive des fonctions de l’agent, à l’exception des catégories de données suivantes : / 1° Données relatives aux absences, conservées pour une durée n’excédant pas deux ans à compter de la date de reprise de l’agent ; / 2° Données relatives aux sanctions disciplinaires, conservées jusqu’à leur effacement du dossier administratif de l’agent. » (art. 4 D. n° 2012-342 du 8 mars 2012).
La CNIL avait relevé que, selon le projet de décret, « "seules les données qui conservent une utilité administrative [devait être] versées dans une plate-forme d’archivage intermédiaire pour une durée de quatre-vingt-dix ans à compter de la date de naissance de l’agent". Le ministère [avait] précisé qu’une fois que l’agent atteint l’âge de quatre-vingt-dix ans, les données [étaient] supprimées, sauf celles présentant un intérêt historique ... versées aux Archives nationales. Par ailleurs, le ministère [avait] précisé que certaines données [étaient] conservées pendant une durée plus courte : "- les données relatives aux congés et aux absences sont conservées deux ans ; - les données relatives à la formation suivie par les agents sont conservées cinq ans ; - les données relatives aux formations dispensées par les agents sont conservées dix ans ; - les données relatives à l’utilisation du DIF (droit individuel à la formation) sont conservées deux ans ; - les données relatives aux remboursements de frais sont conservées cinq ans ; - les données relatives au compte épargne temps sont conservées dix ans ; - les données relatives aux sanctions disciplinaires sont conservées jusqu’à leur effacement du dossier de l’agent (les sanctions des deuxième et troisième groupe peuvent être effacées au terme d’un délai de dix ans à la demande de l’agent, les sanctions amnistiées sont effacées dès l’entrée en vigueur de la loi d’amnistie)." »
La CNIL avait ainsi noté que le ministère s’était « engagé à modifier le projet de décret de manière à mentionner ces durées de conservation spécifiques »... Or aucune mention n’apparaît sur ces différents points dans le décret du 8 mars 2012... (en guise de simplification ?)
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A l’ère numérique, ces changements semblent si évidents .... que personne, ou presque, ne s’en offusque ! Et pourtant, demain....
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[1] Selon l’expression de la CNIL, Délib. n° 2011-231 du 21 juillet 2011 portant avis sur un projet de décret en Conseil d’Etat portant création d’un traitement de données à caractère personnel relatif à la gestion des ressources humaines du ministère de l’éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative et du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche (SIRHEN).
[2] Pointent ainsi la mise en œuvre de la loi de 2009 sur la formation tout au long de la vie et les modélisations du compte individuel de retraite.
[3] V. Syndicat SUD : Les SIRHEN du décret n°2012-342 : le fichage des personnels de l’Education Nationale est en cours !.
[4] Sous forme "papier" le plus souvent... et d’autres encore y apparaissaient en toute illégalité : aucune mention du décret ne laisse penser qu’elles seront effacées.
[5] A ce propos, il est précisé que celui-ci n’est enregistré que « pour les seules opérations effectuées dans le cadre de la préparation de la liquidation de la paye ». Qui donc le vérifiera ?
[6] NB : La CNIL avait pris « acte de ce que le ministère a indiqué qu’il n’avait pas besoin de collecter le NIR des personnes à charge et de ce qu’il s’est engagé à supprimer cette donnée du projet de décret... », mais le ministère ne l’a pas retenu pour ce qui concerne les enfants à charge !
[7] - ce qui pourrait signifier une vérification quant aux journées de grève...