Le 22 décembre 2012, par Geneviève Koubi,
Certain-e-s regretteront que le temps des vacances soit enfin venu, que les épreuves clôturant le 1er semestre de l’année universitaire 2012/2013 soient achevées ... tant ils/elles auraient apprécié de devoir commenter l’ordonnance du 22 décembre 2012, Section française de l’observatoire international des prisons et autres (req. n° 364584,364620,364621,364647) [1].
Il apparaît cependant que le communiqué, posté sur le site du Conseil d’État, dit l’essentiel - sous ce chapeau : Centre pénitentiaire des Baumettes : « Le juge des référés du Conseil d’État enjoint à l’administration pénitentiaire, outre les prescriptions déjà ordonnées par le juge des référés du tribunal administratif de Marseille, de prendre des mesures nécessaires à la dératisation et la désinsectisation des locaux. »
Sans nul doute, d’autres sites ou blogs s’empareront de cette ordonnance pour en proposer des lectures diversifiées, pour la disséquer et en tirer les leçons, plus que les conséquences, pour une réelle amélioration des conditions de vie des détenus [2]. Des rapports et études ont été commis à ce propos. Aussi pour organiser les arguments serait-il nécessaire de les relire.
Pour autant, outre les questions de procédure (contentieuse), l’objectif d’un tel devoir aurait été, non pas d’expliquer et de justifier la décision, mais de retrouver ses fondements, ses motifs afin d’en extraire la substance juridique, notamment suivant les orientations d’un enseignement en Droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Quelques extraits de cette ordonnance en indiquent le sens. Il conviendrait ainsi de retenir que des demandes présentées par les requérants, deux n’ont pas été ’distinctement’ retenues par le juge en tant que telles : "procéder à une inspection de l’ensemble des cellules en vue de retirer tout objet dangereux susceptible d’entraîner des blessures accidentelles ou volontaires" ; "garantir un accès régulier à l’eau potable à l’ensemble des personnes détenues". [3]
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2. Considérant qu’à la suite de la publication au Journal officiel de la République française du 6 décembre 2012 des recommandations du Contrôleur général des lieux de privation de liberté du 12 novembre 2012 relatives à la situation du centre pénitentiaire des Baumettes, qui a été inspecté du 8 au 19 octobre 2012, la Section française de l’observatoire international des prisons a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Marseille, sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, lui demandant de prendre toutes mesures utiles pour faire cesser les atteintes graves et manifestement illégales portées aux libertés fondamentales des détenus du centre pénitentiaire de Marseille ; que, par une ordonnance du 13 décembre 2012, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a partiellement fait droit à ses demandes, en enjoignant à l’administration pénitentiaire de s’assurer que chaque cellule dispose d’un éclairage artificiel et d’une fenêtre en état de fonctionnement, de faire procéder à l’enlèvement des détritus dans les parties collectives et les cellules et de modifier la méthode de distribution des repas ; qu’en revanche, il a rejeté les conclusions tendant à ce qu’il soit procédé, d’une part, à une inspection de l’ensemble des cellules en vue d’une sécurisation immédiate des installations électriques, d’y retirer tout objet dangereux susceptible d’entraîner des blessures accidentelles ou volontaires et d’y garantir un accès effectif à l’eau courante et, d’autre part, à la détermination et à la mise en œuvre de mesures d’éradication des espèces nuisibles présentes dans l’établissement ; que la Section française de l’observatoire international des prisons, le Syndicat des avocats de France, le Conseil national des barreaux et l’Ordre des avocats au barreau de Marseille relèvent appel, dans cette mesure, de cette ordonnance devant le juge des référés du Conseil d’État ;
Sur la recevabilité des appels formés.... (...)
Sur le cadre juridique du litige :
6. Considérant qu’aux termes de l’article 22 de la loi du 24 novembre 2009 pénitentiaire : « L’administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits » ; qu’eu égard à la vulnérabilité des détenus et à leur situation d’entière dépendance vis à vis de l’administration, il appartient à celle-ci, et notamment aux directeurs des établissements pénitentiaires, en leur qualité de chefs de service, de prendre les mesures propres à protéger leur vie ainsi qu’à leur éviter tout traitement inhumain ou dégradant afin de garantir le respect effectif des exigences découlant des principes rappelés notamment par les articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; que le droit au respect de la vie ainsi que le droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants constituent des libertés fondamentales au sens des dispositions de l’article L. 521‑2 du code de justice administrative ; que, lorsque la carence de l’autorité publique crée un danger caractérisé et imminent pour la vie des personnes ou les expose à être soumises, de manière caractérisée, à un traitement inhumain ou dégradant, portant ainsi une atteinte grave et manifestement illégale à ces libertés fondamentales, et que la situation permet de prendre utilement des mesures de sauvegarde dans un délai de quarante-huit heures, le juge des référés peut, au titre de la procédure particulière prévue par l’article L. 521-2 précité, prescrire toutes les mesures de nature à faire cesser la situation résultant de cette carence ;
Sur les conclusions tendant à ce que soit ordonnée une inspection de l’ensemble des cellules individuelles du centre pénitentiaire des Baumettes :
(...)
8. Considérant, d’une part, qu’il résulte de l’instruction qu’après l’avis émis le 29 avril 2011 par la sous-commission départementale (incendie), qui a été versé au dossier par le garde des sceaux, ministre de la justice, et qui demandait la fermeture des locaux de l’établissement, des travaux ont été entrepris à compter du deuxième trimestre 2011, afin de rénover l’ensemble du système électrique de l’établissement conformément aux prescriptions de la sous-commission ; (...) ;
9. Considérant, d’autre part, qu’il résulte de l’instruction ainsi que des échanges à l’audience que, postérieurement aux recommandations du Contrôleur général du 12 novembre 2012, le chef d’établissement du centre pénitentiaire des Baumettes a fait procéder, par une équipe de surveillants, à l’inspection de l’ensemble des cellules individuelles que compte cet établissement ; (...) ; qu’à l’issue de ce contrôle systématique, il apparaît, au vu des éléments fournis par l’administration pénitentiaire, que 32 cellules présentent un problème lié à l’alimentation en eau courante, 131 comportent une chasse d’eau défectueuse et 121 présentent un problème au regard de l’équipement électrique, notamment en ce qui concerne l’éclairage intérieur ; qu’au vu de cet état des lieux, il a été décidé la fermeture immédiate de huit cellules eu égard à leur état incompatible avec l’hébergement des détenus ; qu’en ce qui concerne les autres cellules présentant des dysfonctionnements, le chef d’établissement a décidé la réalisation, dans les plus brefs délais, des travaux de réfection qu’appelle, sans attendre la mise en œuvre du programme de rénovation des cellules engagé par ailleurs, leur nécessaire remise en état, en particulier s’agissant de la sécurité des équipements électriques, de l’enlèvement de tout objet dangereux et de l’accès effectif à l’eau courante ; (...) ; que, dans ces conditions, tant les mesures effectivement entreprises afin de remédier à une situation qui était, ainsi que le relève le Contrôleur général dans ses recommandations publiques, de nature à porter une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales des détenus, ainsi d’ailleurs que, dans une certaine mesure, à celle des personnels pénitentiaires, que les engagements pris par l’administration pénitentiaire afin de rétablir, au plus vite, la sécurité de l’ensemble des détenus au regard des risques d’électrisation et d’électrocution ainsi que le fonctionnement normal de la distribution d’eau courante au sein de l’établissement rendent inutile la prescription, dans le bref délai prévu par l’article L. 521-2 du code de justice administrative, par le juge des référés du Conseil d’État de mesures supplémentaires ;
Sur les conclusions tendant à ce que soient ordonnées la détermination et la mise en œuvre des mesures permettant l’éradication des espèces nuisibles présentes dans les locaux de l’établissement :
10. Considérant qu’il résulte de l’instruction, (...), que les locaux du centre pénitentiaire des Baumettes sont infestés d’animaux nuisibles ; que les rats y prolifèrent et y circulent, en particulier la nuit ; que de nombreux insectes, tels des cafards, cloportes et moucherons, colonisent les espaces communs ainsi que certaines cellules, y compris les réfrigérateurs des détenus ; qu’en raison d’une carence du service d’entretien général, il apparaît que des cadavres de rats peuvent rester plusieurs jours consécutifs sur place avant d’être prélevés ; qu’une telle situation, que l’administration pénitentiaire ne conteste pas, affecte la dignité des détenus et est de nature à engendrer un risque sanitaire pour l’ensemble des personnes fréquentant l’établissement, constituant par là même une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ;
11. Considérant, il est vrai, que l’administration pénitentiaire, qui a pris la mesure de cette situation, a commencé d’y porter remède ; (...) ; que, toutefois, il résulte de l’instruction que ces modalités d’action restent, en dépit des progrès qu’elles constituent, et ainsi que l’ont reconnu l’ensemble des parties à l’audience, insuffisantes pour remédier de manière efficace à cette situation d’atteinte caractérisée à une liberté fondamentale ; qu’il y a donc lieu, eu égard à l’urgence qui s’attache au prononcé de mesures de sauvegarde sur ce point, de prescrire à l’administration de prendre, dans un délai de dix jours à compter de la notification de la présente ordonnance, toutes les mesures utiles susceptibles de faire cesser au plus vite une telle situation, sans qu’il y ait lieu d’assortir cette injonction d’une astreinte ; que ces mesures doivent, en premier lieu, permettre la réalisation, au vu de la situation actuelle, d’un diagnostic des prestations appropriées à la lutte contre les animaux nuisibles, dans la perspective de la définition d’un nouveau cahier des charges pour la conclusion d’un nouveau contrat, après l’expiration, en mars 2013, de celui actuellement en vigueur ; qu’en effet, ce contrat devra prévoir des modalités et une fréquence des interventions préventives comme curatives adéquates à la situation effectivement observée au sein de l’établissement des Baumettes ; que ces mesures doivent, en second lieu, permettre d’identifier une solution de court terme proportionnée à l’ampleur des difficultés constatées, sans attendre la définition du nouveau cahier des charges et sans préjudice des interventions devant être effectuées dans le cadre du contrat actuellement en vigueur ; qu’en effet, il appartient à l’administration pénitentiaire de faire procéder, dans les plus brefs délais, selon les modalités juridiques et techniques les plus appropriées, et dans toute la mesure compatible avec la protection de la santé des détenus et des autres personnes fréquentant l’établissement ainsi qu’avec la nécessité de garantir la continuité du service public pénitentiaire, à une opération d’envergure susceptible de permettre la dératisation et la désinsectisation de l’ensemble des locaux du centre pénitentiaire des Baumettes ;
O R D O N N E : Article 1er : Les requêtes du Syndicat des avocats de France et du Conseil national des barreaux sont rejetées. /Article 2 : Les interventions du Syndicat des avocats de France, du Conseil national des barreaux et du Syndicat de la magistrature sont admises. / Article 3 : Conformément aux motifs de la présente ordonnance et dans un délai de dix jours à compter de sa notification, il est enjoint à l’administration pénitentiaire de procéder à la détermination des mesures nécessaires à l’éradication des animaux nuisibles présents dans les locaux du centre pénitentiaire des Baumettes. / Article 4 : Le surplus des conclusions des requêtes de la Section française de l’observatoire international des prisons et de l’Ordre des avocats au barreau de Marseille est rejeté. Article 5 : L’ordonnance du 13 décembre 2012 du juge des référés du tribunal administratif de Marseille est réformée en ce qu’elle a de contraire à la présente ordonnance. / Article 6 : La présente ordonnance sera notifiée à la Section française de l’observatoire international des prisons, à l’Ordre des avocats au barreau de Marseille, au Syndicat des avocats de France, au Conseil national des barreaux, au Syndicat de la magistrature et à la garde des sceaux, ministre de la justice. // Copie pour information en sera délivrée au Contrôleur général des lieux de privation de liberté.
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