Le 1er février 2013, par Geneviève Koubi,
Puisque "les droits des femmes (sont) au cœur des politiques publiques", la publication des deux circulaires du 23 août 2012 n’en formant qu’une mise en perspective initiale - bien que substantielle [1]-, d’autres mesures devaient intervenir [2].
C’est surtout en rapport avec la loi n° n° 2012-1189 du 26 octobre 2012 portant création des emplois d’avenir et le décret n° 2012-1408 du 18 décembre 2012 relatif à la mise en œuvre des obligations des entreprises pour l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes [3], que la Direction générale du travail (DGT) a produit une circulaire en date du 18 janvier 2013 pour une réelle application de ces textes. Son objet est d’expliciter leurs conséquences en insistant sur le dispositif relatif aux pénalités financières - entré en vigueur le 1er janvier 2012, mais d’application variable [4]. Il s’agit alors de suivre les indications des ’feuilles de route’ ministérielles élaborées à la suite de la conférence sociale de juillet 2012 [5]. La référence à la loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites insérée dans cette circulaire du 18 janvier 2013 s’explique par le fait que le titre IV de cette loi concerne directement la problématique de l’égalité professionnelle ; il est ainsi à noter que la circulaire modifie quelques paragraphes de la circulaire DGT/DGCS du 28 octobre 2011 relative au champ et aux conditions d’application de la pénalité financière prévue par l’article 99 de la loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites - ces paragraphes concernant directement la question des pénalités financières en matière d’égalité professionnelle.
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La circulaire DGT n°1 du 18 janvier 2013 concernant le renforcement de l’effectivité du droit en matière d’égalité professionnelle et salariale, mise en ligne le 30 janvier 2013, prétend donc « renforcer l’effectivité du droit en matière d’égalité professionnelle et salariale entre les femmes et les hommes » [6]. Or tel n’est pas la raison d’être des circulaires administratives. De plus, la question de l’effectivité en droit ne se réduit pas à des préconisations, incitations ou injonctions. Elle ne dépend pas plus des modalités contraignantes ou répressives qui pourraient être instituées dans des textes législatifs ou réglementaires. En l’espèce, il s’agirait plutôt d’évoquer le souci gouvernemental pour la mise en œuvre de "sanctions effectives".
Insistant sur les données de la feuille de route sociale [7], la circulaire s’évertue à rappeler l’importance à accorder à la négociation.
Le discours administratif étant de nos jours entièrement tourné vers la détermination de la "méthode", la mise au point d’un site "egapro" permet au gouvernement de s’assurer que ces appels au dialogue, à la concertation et à la négociation sont suivis par les entreprises privées. Ce site délivre un "guide méthodologique" aux entreprises (notamment aux PME, mais avec le soutien de grandes entreprises) pour effectuer un ’diagnostic’ en matière d’égalité professionnelle, rendre compte du rapport de situation comparée, et, plus généralement, « remplir leurs obligations de négociation en matière d’égalité professionnelle... ». Le formatage des négociations est sous-jacent aux propositions et engagements disposés dans la circulaire qui, plus que signifier le modèle d’une ’effectivité du droit’, se complait quelque peu dans l’annonce de prochaines mesures complémentaires en matière d’égalité professionnelle... avant d’expliciter son objet principal, centré sur le dispositif des pénalités financières.
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La rhétorique du ’dialogue social’ imprègne donc le discours administratif porté par la circulaire du 18 janvier 2013 : le dialogue social doit primer sur la démarche unilatérale de l’employeur. L’article 6 de la loi du 26 octobre 2012 portant création des emplois d’avenir projette d’intensifier l’efficacité du dispositif d’égalité professionnelle à l’aide de pénalités. La circulaire réitère ainsi la relation directe entre cet article et le décret n° 2012-1408 du 18 décembre 2012 relatif à la mise en œuvre des obligations des entreprises pour l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.
L’article L. 2242-5-1 du Code du travail prévoit une pénalité à la charge des entreprises de 50 salariés au moins qui n’ont pas passé un accord ou n’ont pas établi un plan d’action relatif à l’égalité professionnelle ; or, selon cet article, « en cas d’échec des négociations sur l’égalité entre femmes et hommes dans les entreprises d’au moins 300 salariés, ce défaut d’accord est attesté par un procès-verbal de désaccord ». Ce procès-verbal est la seule assise d’un plan d’action décidé unilatéralement par l’employeur, le seul canal par lequel il échapperait à une sanction financière. De ce fait, si l’objectif est d’inciter à la négociation - notamment dans les grandes entreprises - la circulaire du 18 janvier 2013 voudrait que la même dynamique soit appliquée dans des domaines qui débordent celui couvert par la seule question de l’égalité femmes/hommes.
Cependant, puisque le thème de l’égalité professionnelle est au cœur de la circulaire, l’un des enjeux de la circulaire est de rappeler la détermination du gouvernement quant à l’application des sanctions. Toutefois, tout est en nuances. Pour lui éviter d’apparaître trop restrictif, la DGT décompose les stades de cette mise en application tout en cherchant à attribuer au procès-verbal d’échec de la négociation une qualité juridique substantielle - même lors de dépôt de bilan.
Aussi, dans les entreprises de plus de 300 salariés, le recours au plan d’actions unilatéral n’exonère pas l’employeur de la pénalité financière. S’il assure de l’échec des négociations sur l’égalité entre femmes et hommes, les raisons de ce fiasco devraient lui être demandées. Un plan d’actions déposé sans procès-verbal de désaccord ne peut donc être recevable. Pourtant, les données des rapports de force ne sont guère favorables aux travailleurs dans une société ultra-libérale. La demande d’égalité professionnelle ne pouvant faire une impasse sur la détermination des salaires, les négociations peuvent être ardues ! Or, comme la pénalité financière est établie à partir de la masse salariale, l’objectif des négociations reste indéfiniment mesuré [8]...
Quoiqu’il en soit, le défaut d’accord doit être attesté par un procès-verbal de désaccord, ou bien, en cas de défaut de représentation syndicale, par un procès-verbal de carence attestant de l’impossibilité d’engager une négociation. Cette dernière précision - tirée de la loi - laisse donc aux employeurs dans les PME une plus grande latitude pour décider seuls de leur plan d’action...
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La mise en relation entre deux circulaires, celle du 18 janvier 2013 et celle du 28 octobre 2011, se comprend dans ce cadre.
Les corrections de la circulaire DGT/DGCS du 28 octobre 2011 relative au champ et aux conditions d’application de la pénalité financière... sont alors resserrées autour de la procédure. La circulaire du 18 janvier 2013 indique que le point 2-1 de cette circulaire est modifié et que le point 3-3 est abrogé ; elle précise aussi que, pour ce qui concerne les modalités de mise en œuvre de la pénalité financière en matière d’égalité entre les femmes et les hommes, les données de la circulaire de 2011 restent inchangées.
Outre le fait que ces remarques ont pour conséquence de rappeler que les circulaires antérieures demeurent applicables tant qu’elles n’ont pas été abrogées (explicitement ou implicitement), comme les éléments qui sont ainsi désignés relèvent en fait de l’annexe à la circulaire du 28 octobre 2011, ce renvoi permettrait-il de confirmer que les annexes à une circulaire ne peuvent en être séparés ? Par delà ce questionnement, les corrections de la circulaire de 2011 par la circulaire du 18 janvier 2013 n’ont que pour effet de rappeler la priorité donnée à la négociation collective [9], ce qui outrepasse le champ interprétatif et suscite des précisions spécifiques relatives aux procédures [10].
Et dès lors, plus que renforcer l’effectivité du droit, cette circulaire du 18 janvier 2013 rend compte principalement de questions méthodologiques et procédurales... - notant que, même en ce domaine, le verbe comptabilisateur prédomine (en termes d’indicateur, de diagnostic, de grille d’analyse, d’objectif de progression, etc.).
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La question proprement dite de l’effectivité du droit est ainsi abordée essentiellement par rapport aux DIRECCTE (Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi) [11]. S’il s’agit, bien évidemment, d’évoquer l’effectivité du droit en matière d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes - et non du droit du travail en général -, la circulaire laisse planer un doute quant à l’application des textes en cause depuis le 1er janvier 2012, date de l’entrée en vigueur du dispositif. En même temps, elle révèle une préoccupation quant aux moyens pour faire en sorte que l’égalité se transforme en "parité". Car, qu’on le veuille ou non, la parité ne retraduit nullement l’égalité...
Les accords et les plans d’action destinés à assurer l’égalité professionnelle doivent ainsi être déposés auprès de l’autorité administrative compétente [12]. La circulaire rappelle donc le rôle des DIRECCTE [13]. En quelque sorte, il est possible de penser que le « dépôt devrait permettre à l’administration d’en assurer un certain contrôle. » [14]. Ce contrôle serait alors à double détente : d’une part, il s’agirait de vérifier que les accords et plans d’action répondent au but des dispositions législatives et réglementaires en matière d’égalité professionnelle entre femmes et hommes ; d’autre part, il apparaîtrait nécessaire de vérifier la réalité des fiasco dans les négociations lors du dépôt d’un plan d’action par l’employeur.
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Toutefois, ainsi qu’il est noté dans la circulaire DGT n° 1 du 18 janvier 2013, « si la mise en œuvre d’une sanction peut s’avérer nécessaire, elle ne peut suffire à impulser le changement attendu en matière d’égalité professionnelle. Il faut pour cela l’utilisation déterminée et coordonnée de tous les leviers disponibles au niveau des territoires pour accompagner, sensibiliser et conseiller. »
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[1] Circ. 23 août 2012 relative à la prise en compte dans la préparation des textes législatifs et réglementaires de leur impact en termes d’égalité entre les femmes et les hommes et circ. 23 août 2012 relative à la mise en œuvre de la politique interministérielle en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes. V. Gk, « Égaliser ? Neutraliser ! Des circulaires pour freiner les critiques à venir ? ».
[2] Dont relève le Haut Conseil à l’égalité des droits entre les femmes et les hommes mis en place le 8 janvier 2013 : « Bâtir une société de l’égalité réelle avec le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes » ; y est aussi rattachée la "charte pour l’égalité entre femmes et hommes dans les établissements d’enseignement supérieur et de recherche : « L’égalité à l’Université et dans les Grandes Écoles, c’est maintenant ! ».
[3] Cf. art. L. 5134-119 du Code du travail.
[4] V. entre autres. : « Le ministère s’engage pour les droits des femmes et l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes » ; « Les PME devront agir sur l’égalité salariale ».
[5] En effet, « la grande conférence sociale a permis d’établir une feuille de route partagée entre l’État, les organisations syndicales représentatives de salariés et les organisations patronales afin de tendre enfin vers l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, notamment dans le monde de l’entreprise. » : « Une ambition tripartite pour l’égalité entre les femmes et les hommes dans l’entreprise ».
[6] V. sur Liaisons sociales Quotidien : « Égalité hommes-femmes : la DGT précise les nouvelles obligations des entreprises » ; sur Le Monde du droit : « De nouvelles mesures pour l’égalité hommes-femmes ».
[7] V. par ex., la feuille de route du ministère du travail.
[8] V. par ailleurs, à propos des mesures relatives à la pénibilité concernant les pénalités financières : « Égalité professionnelle : comment éviter la pénalité de 1 % ». Le contrôle permet de vérifier que les 2 ou 3 domaines d’action imposés par le décret n° 2011-823 du 7 juillet 2011 relatif à la pénalité pour défaut d’accord ou de plan d’action relatif à la prévention de la pénibilité mentionnée à l’article L. 138-29 du code de la sécurité sociale sont respectés.
[9] Objet du point 1 - de la circulaire du 18 janvier 2013.
[10] V. sur lexis-nexis : « Égalité hommes-femmes : le dispositif législatif et réglementaire est complété par circulaire ».
[11] Cf. point 3 - de la circulaire du 18 janvier 2013 : "la forte mobilisation des DIRECCTE en faveur de l’effectivité du droit".
[12] Art. L. 2323-47 et L. 2323-57 du Code du travail.
[13] V. par ailleurs, le site des DIRRECTE.
[14] Cf. sur juritravail.com : « Égalité professionnelle : renforcement du contrôle ! ».