Le 5 novembre 2013, par Geneviève Koubi,
Depuis la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008, l’article 11 de la Constitution dispose :
« Le Président de la République, sur proposition du Gouvernement pendant la durée des sessions ou sur proposition conjointe des deux assemblées, publiées au Journal officiel, peut soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions. / Lorsque le référendum est organisé sur proposition du Gouvernement, celui-ci fait, devant chaque assemblée, une déclaration qui est suivie d’un débat. / Un référendum portant sur un objet mentionné au premier alinéa peut être organisé à l’initiative d’un cinquième des membres du Parlement, soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales. Cette initiative prend la forme d’une proposition de loi et ne peut avoir pour objet l’abrogation d’une disposition législative promulguée depuis moins d’un an. /Les conditions de sa présentation et celles dans lesquelles le Conseil constitutionnel contrôle le respect des dispositions de l’alinéa précédent sont déterminées par une loi organique. /Si la proposition de loi n’a pas été examinée par les deux assemblées dans un délai fixé par la loi organique, le Président de la République la soumet au référendum. / Lorsque la proposition de loi n’est pas adoptée par le peuple français, aucune nouvelle proposition de référendum portant sur le même sujet ne peut être présentée avant l’expiration d’un délai de deux ans suivant la date du scrutin. /Lorsque le référendum a conclu à l’adoption du projet ou de la proposition de loi, le Président de la République promulgue la loi dans les quinze jours qui suivent la proclamation des résultats de la consultation. »
Sur Légifrance, un "nota" en italique précise que cet article ne peut entrer en vigueur que "dans les conditions fixées par les lois et lois organiques nécessaires à (son) application" [1].
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C’est donc tout l’enjeu des débats parlementaires, aussi bien à l’Assemblée nationale qu’au Sénat [2]. Ces derniers rendent compte de cette préoccupation spécifique.
Présenté devant le Sénat le 30 octobre 2014, le rapport au nom de la commission mixte paritaire permet de situer quelques-unes des divergences entre les deux assemblées [3]. Au-delà ce ces variations, la perspective adoptée par les parlementaires semble surtout conduire à un déclassement de l’interférence du citoyen dans le processus législatif.
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D’emblée, lors de la séance de la CMP, le rapporteur pour le Sénat, J.-P. Sueur, reprenant les termes du rapport, avertit que « le référendum que crée l’article 11 est, contrairement à ce que croient certains, d’initiative partagée, et non populaire [4]. De nombreuses conditions, qui plus est cumulatives, devront être remplies pour que le président de la République l’organise : une proposition de loi présentée par au moins un cinquième des parlementaires, une vérification du Conseil constitutionnel et le soutien de près de 4,5 millions de nos compatriotes, ainsi que l’absence d’examen de la proposition de loi par chacune des assemblées dans les six mois ». Il rappelle que « deux points principaux faisaient l’objet de divergences entre nos deux assemblées. D’abord, le Conseil constitutionnel. Le contrôle lui revient, cela est prévu par la Constitution. Toutefois, ses membres ne peuvent évidemment vérifier seuls la validité des 4,5 millions de soutiens. Nous sommes convenus de retenir le principe d’une formation sur laquelle le Conseil peut s’appuyer pour remplir cette tâche. Tel est le cas de la première proposition de rédaction commune que nous vous soumettrons. Ensuite, le recueil des soutiens. Doit-il se faire uniquement sous forme électronique ou également sur papier ? Nous vous suggérons de trancher pour la première solution avec au moins un point d’accès qui serait situé dans chaque canton - des dispositions spécifiques étant prévues pour les collectivités à statut particulier. Néanmoins, nous proposons qu’un citoyen pourra présenter à ce point d’accès une attestation écrite qu’enregistrera aussitôt un agent public. »
De ce fait, la collecte des soutiens sous forme électronique étant privilégiée, le dépôt de l’attestation écrite est pensé pour « tenir compte des incidences de la fracture numérique ». L’article 5 du projet de loi organique portant application de l’article 11 de la Constitution (CMP) est ainsi rédigé : « Des points d’accès à un service de communication au public en ligne permettant aux électeurs d’apporter leur soutien à la proposition de loi présentée en application de l’article 11 de la Constitution par voie électronique sont mis à leur disposition au moins dans la commune la plus peuplée de chaque canton ou au niveau d’une circonscription administrative équivalente et dans les consulats. / Pour l’application du premier alinéa, tout électeur peut, à sa demande, faire enregistrer électroniquement par un agent de la commune ou du consulat son soutien présenté sur papier. »
Néanmoins, rien n’est dit à propos des traitements automatisés de données à caractère personnel que suppose la mise en application de ’la forme électronique’ retenue pour la vérification des "soutiens". Les listes électorales [5] en étant à la base, ne serait-il pas aussi utile d’empêcher toute possibilité de consultation des soutiens exprimés par l’administration, le risque étant qu’une disposition législative interfère en précisant qu’un citoyen ne serait admis à faire part de son soutien à une proposition de loi qu’un nombre limité de fois durant une législature [6]...
Resterait aussi à comprendre pourquoi le terme de "soutien" est celui retenu plutôt que celui de "signature". Ce terme de "soutien" préfigure un ’engagement politique’ même s’il ne s’agit que d’une simple prise de position publique. Le terme de "signature" semble dépourvu de ces attributs, il est moins connoté politiquement, plus neutre socialement, mais peut-être paraît-il trop chargé juridiquement. S’agit-il de signifier que tout introduction dans le processus législatif revient à s’immiscer dans le jeu politique [7] ?
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Le texte élaboré par la CMP comporte plusieurs séries de dispositions.
Les modifications de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ont pour objet d’introduire un chapitre intitulé : De l’examen d’une proposition de loi déposée en application du troisième alinéa de l’article 11 de la Constitution. La mention relative à ce type de proposition de loi ne fait pas référence à son objet ainsi qu’on aurait pu le supposer à la lecture de l’article 11 de la Constitution. La distinction entre proposition de loi et projet de loi acquiert une nouvelle ampleur. Il apparaît ainsi que le « projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions » bénéficie d’un a priori plus favorable que la proposition de loi qui porterait sur des objets similaires dans la mesure où elle émanerait des représentants de la Nation avec le soutien d’un certain nombre d’électeurs. Ainsi, il est prévu que la Conseil constitutionnel s’assure « qu’aucune disposition de la proposition de loi n’est contraire à la Constitution », sans même qu’il soit précisé que la proposition se réfère à un accord ou traité international...
Même si un chapitre du projet de loi organique est consacré aux "soutiens", la question que ces derniers soulèvent est aussi traitée devant le Conseil constitutionnel. Le projet de la CMP précise ainsi que « Le Conseil constitutionnel peut ordonner toute enquête et se faire communiquer tout document ayant trait aux opérations de recueil des soutiens à une proposition de loi. Le ministre de l’intérieur communique au Conseil constitutionnel, à sa demande, la liste des soutiens d’électeurs recueillis. / Le Conseil constitutionnel fait appel, pour l’exercice de ses fonctions, aux services compétents de l’État. / Il peut désigner des rapporteurs adjoints choisis parmi les maîtres des requêtes du Conseil d’État et les conseillers référendaires à la Cour des comptes. Les rapporteurs adjoints n’ont pas voix délibérative. / Il peut désigner des délégués parmi les magistrats de l’ordre judiciaire ou les membres des juridictions administratives, y compris honoraires, ainsi que des experts, afin de l’assister dans ses fonctions. / Il peut commettre un de ses membres ou un délégué pour recevoir sous serment les déclarations des témoins ou pour diligenter sur place d’autres mesures d’instruction. »
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Quant au projet de loi (ordinaire), il introduirait un article L. 558-37 dans le code électoral afin de réguler les "dons" que des personnes physiques [8] pourraient accorder pour avantager ou discréditer les soutiens éventuels [9] : « Les dons consentis par une personne physique dûment identifiée pour le financement d’actions tendant à favoriser ou défavoriser le recueil des soutiens à une proposition de loi présentée en application de l’article 11 de la Constitution ne peuvent excéder 4 600 €. / Tout don de plus de 150 € consenti à un parti ou groupement politique en vue du financement d’actions tendant à favoriser ou défavoriser le recueil des soutiens doit être versé par chèque, virement, prélèvement automatique ou carte bancaire. Le parti ou groupement politique délivre un reçu pour chaque don. / Le montant global des dons en espèces faits au parti ou groupement politique en vue du financement d’actions tendant à favoriser ou défavoriser le recueil des soutiens ne peut excéder 20 % du total des fonds récoltés. / L’ensemble des opérations financières conduites par un parti ou groupement en vue de la campagne de collecte de soutiens fait l’objet d’une comptabilité annexe et détaillée dans les comptes de ce parti ou groupement politique. / À l’exception des partis ou groupements politiques, les personnes morales ne peuvent participer au financement d’actions tendant à favoriser ou défavoriser le recueil des soutiens à une proposition de loi présentée en application de l’article 11 de la Constitution ni en consentant des dons sous quelque forme que ce soit, ni en fournissant des biens, services ou autres avantages, directs ou indirects, à des prix inférieurs à ceux qui sont habituellement pratiqués. / Aucun État étranger ou personne morale de droit étranger ne peut participer, directement ou indirectement, au financement de telles actions. / La violation des six premiers alinéas du présent article est passible des peines prévues au II de l’article L. 113-1. »
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Quoiqu’il en soit, même si ces questions ne font pas la "une", il est nécessaire de se tenir informé...
[1] - cours concerné : Droit(s) constitutionnel(s).
[2] V. le dossier mis en ligne sur le site du Sénat : Projet de loi organique portant application de l’article 11 de la Constitution.
[3] La première lecture du projet de loi organique portant application de l’article 11 de la Constitution devant l’Assemblée nationale remonte au 22 décembre 2010 et, sur le texte voté par l’Assemblée, devant le Sénat au 10 janvier 2012.
[4] C’est là une manière de signifier que les discours énoncés par le Gouvernement au moment du dépôt du texte initial étaient quelque peu trompeurs. En rétablissant les données, la CMP s’appuie clairement sur le texte de la Constitution.
[5] Donc les étrangers, même résidents de longue date, ne sont point admis à s’associer à une telle initiative.
[6] L’article 4 du projet CMP dispose : « Les électeurs inscrits sur les listes électorales peuvent apporter leur soutien à une proposition de loi présentée en application de l’article 11 de la Constitution. / Ce soutien est recueilli sous forme électronique. /Un soutien ne peut être retiré. /Les électeurs sont réputés consentir à l’enregistrement de leur soutien aux seules fins définies par la présente loi organique ».
[7] Suivant cette piste, la question relative à l’enregistrement du soutien apporté à une proposition de loi revêt une nouvelle acuité.
[8] ... et non, des personnes morales, lesquelles ne sauraient intervenir dans ces dispositifs.
[9] Faut-il croire que tout s’achète, que tout se vend ??