Le 7 juillet 2012, par Geneviève Koubi,
Rares sont les circulaires administratives qui usent du mot "doctrine" - étant elles-mêmes l’expression d’une doctrine administrative ministérielle. Toutefois, au ministère des affaires sociales et de la santé, du côté de la Direction générale de l’offre de soins (DGOS), la formule utilisée dans le libellé de la circulaire n° DGOS/PF2/2012/251 du 22 juin 2012 semble être justifiée. Cette circulaire du 22 juin 2012 est, en effet, relative à la doctrine DGOS sur les centres de référence, la labellisation et les structures spécialisées.
Le point de départ est un constat : « une recrudescence des demandes de "labellisation" de "centres de référence", et une forte variabilité des modèles déjà existants, des financements, des missions et des terminologies. ». La réponse aux préoccupations que ce constat souligne est de rationaliser le traitement des demandes : « L’objectif de la présente doctrine est de proposer un cadrage des conditions de mise en place ou de renouvellement de telles structures (ainsi que des structures spécialisées de recours) et du modèle à suivre, afin d’éviter les risques d’inflation des demandes, de morcellement des prises en charges spécialisées et la multiplication des demandes financières associées. »
Soit. Il n’en reste pas moins que cette circulaire n’en est pas une ! Elle renvoie directement, dès sa première ligne [1] et dans son quatrième paragraphe [2] à un texte situé en annexe [3]. Or ce texte qui est présenté comme « une proposition de doctrine DGOS sur les centres de référence, la labellisation et les structures spécialisées » a été élaboré sous le sceau de la DGOS et déposé en avril 2012 puis retenu en mai 2012. Il s’agit donc d’une réflexion menée au sein d’un bureau qui accède ainsi par le truchement d’une circulaire au statut de doctrine administrative [4].
Ce texte qui pose les "éléments de doctrine DGOS" est composé suivant un modèle classique que l’on retrouve généralement dans les études internes engagées au sein d’un service donné : - la problématique ; - les textes-sources et les terminologies ; - les financements ; - le contexte européen ; les agendas et les évaluations ; - les analyses et propositions sectorielles.
En l’espèce, l’objectif est de donner aux labellisations qui s’attachent au domaine de l’offre de soins un sens technique - tout en tenant compte de « l’effet "labellisation" [qui] ne doit pas être sous-estimé, la labellisation d’une structure augment[ant] mécaniquement son attractivité et donc son activité. » [5] Ainsi, il s’agit de préciser les dénominations : Qu’est-ce qu’un centre de référence ? Quelles sont ses missions particulières ? Toutefois, il est à noter que la définition de ce terme de "référence" manque - même si dans un tableau (p. 9) situant le "grade de la structure", il est possible de relever que la reconnaissance d’un centre de référence suppose qu’il est de "haut grade (national ou interrégional)" [6].
En fait, cette "doctrine DGOS" s’entend plus sûrement comme d’une méthode de sélection des demandes de labellisation : « Les concepts de "labellisation" et de "centre de référence" sont fréquemment mis en avant par les usagers comme par les professionnels de santé, pour qui ils représentent la reconnaissance d’une excellence et la garantie d’une expertise, mais aussi la certitude d’un financement dédié récurrent. » La préoccupation première du travail effectué pour un cadrage des demandes est peut-être celle relevée en dernier lieu : le financement.
Le texte portant doctrine DGOS aligne alors les critères d’identification des structures concernées afin d’éviter la dispersion : « Les centres de référence et les structures spécialisées doivent s’inscrire dans une logique de gradation des soins et ne doivent pas générer une excessive segmentation de patientèle. Celle-ci nuirait à la qualité des prises en charge (qui doivent rester globales et pluridisciplinaires) et des parcours de soin. » La tâche n’est pas aisée tant les textes réglementaires (arrêtés ministériels notamment) ont usé et abusé de ces labels et des désignations de "référence". Le texte annexé à la circulaire en relève quelques-uns et en tire comme conclusion la nécessité de resserrer le vocabulaire autour de certaines structures : « A la variabilité de missions (...) répond une diversité des appellations disponibles pour ces structures, qu’il convient d’unifier. »
Pour ce qui est de ces critères, les uns sont d’ordre géographique alors même qu’il est précisé que « les centres de référence n’ont pas vocation à assurer le maillage territorial des prises en charge, celle-ci doit être réalisée si nécessaire par des structures de recours intermédiaires, de proximité et plus simples, elles-mêmes éventuellement rattachées à un centre de référence lorsqu’il existe. » [7] ; les autres sont de fonction médicale, ce notamment si « un plan de santé est dédié à la pathologie ou la prise en charge concernée » [8] ; d’autres sont de qualités administrative et financière [9] - ou bien ils sont de facture particulièrement marquée par le discours RGPP-iste [10].
La création d’un centre de référence semble ainsi n’être justifiée qu’en certains cas : « - l’expertise correspondante est rare, une errance des patients (et des professionnels) est constatée ; - la prise en charge concernée est complexe ; - de plus les compétences et les équipements techniques préexistent (un centre de référence ne doit pas être une création de novo). » De plus, puisque l’enjeu est national, « le nombre de centres de référence est par nature restreint (entre un et une dizaine, répartis en inter-régions). »
En final, l’usage même du terme de "doctrine" dans cette circulaire et dans le texte qu’elle porte en annexe, invite à repenser la notion. La "doctrine DGOS" est bel et bien "un ensemble de dogmes" ; elle se présente indéniablement comme un "guide" pour une action donnée. Mais en aucun cas elle peut se poser en "système intellectuel". Sa remise en cause comme sa critique peut s’avérer utile... mais elle conduirait inévitablement à une révision des vocables insérés dans les textes juridiques sur lesquels elle s’appuie. En quelque sorte, la force du droit réside aussi dans la force de ses mots (de ses maux ?).
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Il n’en demeure pas moins que la qualification elle-même comme "centre de référence" n’est, en dépit de discours lénifiants, nullement lisible. La bataille autour des "éléments de langage" commencera-t-elle un jour ?
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[1] « Vous trouverez en annexe une proposition de doctrine DGOS sur les centres de référence, la labellisation et les structures spécialisées. »
[2] La circulaire en comporte cinq.
[3] « Le texte en annexe aborde les différentes problématiques ci-dessus et présente un processus-type de mise en place pour les structures visées. »
[4] En fin du document, est signalé le principal auteur du texte (chargé de mission) et en guise de remerciements, il est signifié que « les principaux éléments de doctrine, présentés ici, ont été élaborés en 2010 et 2011 par un groupe de travail DGOS-DGS-DAEI... ».
[5] Doc. pdf en lien p. 10.
[6] Et dès lors les missions qui lui sont dévolues sont déclinées en 5 points : Mission de prise en charge de recours ; Mission de coordination ; Mission d’expertise ; Mission d’enseignement ; Mission de recherche. (p. 5)
[7] Ex. : « Lorsque le maillage du dispositif comporte plus d’une dizaine de structures au plan national (cas notamment pour les structures spécialisées), son organisation est déclinée régionalement par les ARS... » (p. 8)
[8] Ex. : « des types de pathologie et des parcours de soin, de la complexité des prises en charge, des aspects populationnels » (p. 7)
[9] Ex. : « établir et caractériser les besoins en proximité et en densité, les besoins en recours polyvalent ou au contraire hyperspécialisé » (p. 8)
[10] Ex. : « Les outils du pilotage comprennent le recueil d’informations existantes (statistique annuelle d’activité de la DREES, données PMSI, retraitement comptable…), idéalement agrégées pour dresser un bilan national d’activité automatisé. Lorsque les structures sont peu nombreuses et lorsque leur mise en place est récente, leur évolution est suivie grâce à un rapport d’activité standardisé dont la collecte annuelle passe par les ARS, qui en prennent connaissance et le commentent. » (p. 9) V. le § relatif à la mise en place et au pilotage du dispositif, p. 8-9.