Le 21 novembre 2008, par Geneviève Koubi,
Les scanners qui mettent à nu virtuellement le passager, permettent peut-être d’éviter les fouilles corporelles mais ces dispositifs qui se dissimulent sous un portique ou dans un sas, permettent aussi à ceux qui sont perchés sur leur tabouret pivotant, derrière les écrans, de fouiller l’intimité du passant (du passager, en l’occurence) plus que simplement de discerner les contours du corps. Dits aussi « body scanners », ces machineries ingénieuses quasi-invisibles ne se réduisent pas à une technique ; les conséquences de leur utilisation sur le droit à la vie privée, le droit à la protection des données et sur le droit à la dignité ne sont pas des moindres.
Cette intrusion dans l’intimité de la personne a fait l’objet de plusieurs contestations qui ont été relayées par le Parlement européen [1]. En effet, se refusant à valider la mise en place d’une fouille au corps virtuelle, les eurodéputés avaient, le jeudi 23 octobre 2008, rejeté une proposition de la Commission européenne visant à faire de ces scanners corporels une des méthodes "autorisées" destinées à assurer la sécurité dans les aéroports européens. La résolution fut adoptée par 361 voix contre 16 et 181 abstentions.
En même temps, le Parlement européen demandait à ce que soit menée une étude sur l’impact de ces appareils en matière économique, sur le plan éthique et surtout, pour ce qui concerne la santé humaine. Car rien ne prouve que ce dispositif n’est pas nocif.
De même, rien ne prouve qu’il est absolument nécessaire pour la sécurité. Si certains estiment ce dispositif efficace parce qu’il accélère les démarches et réduit les files d’attente, s’ils prétendent cette méthode d’inspection « confortable pour le passager », s’ils insistent sur son caractère facultatif puisque la fouille virtuelle devrait être opérée uniquement avec son consentement, l’idée d’une « mise à nu » du passager au prétexte de sécurité est indéniablement sujette à caution.
De tels scanners, dits aussi « scanners voyeurs », sont peut-être déjà utilisés aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne [2], aux Pays-Bas, en Suisse, etc., mais cet état de fait ne peut constituer une justification valide : l’imitation atteint ses limites dès lors que la question que ces dispositifs soulèvent entre dans le champ du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, droits et libertés qui constituent le socle d’une Europe encore à la recherche d’une unité [3].
L’institution de cette technologie voudrait compléter la panoplie des systèmes de contrôle mis en place dans les aéroports — et dont le passeport biométrique n’est qu’un élément parmi d’autres. Auscultant les passagers, prétendument choisis au hasard [4], ces scanners sont mis en fonction avec, en toile de fond, une arrière-pensée constante : ajouter au profil identifiant d’autres données personnelles, des données intimes que les vêtements s’obstinent à cacher. Comme, déjà, les appareils électroniques, téléphones et ordinateurs portables, sont susceptibles d’être inspectés, fouillés et, le cas échéant, interdits, comme déjà la petite bouteille d’eau n’est admise dans les aéronefs que si elle a été achetée dans la zone d’embarquement [5], faudra-t-il un jour arriver nu au comptoir d’enregistrement, puis devoir attendre l’autorisation d’entrer dans cette zone pour s’y vêtir ?
La Commission Européenne qui envisageait généraliser les scanners corporels, dits « de fouille virtuelle », d’ici le mois d’avril 2010, y a finalement, pour un temps, renoncé (dépêches : Reuters du 19 nov. 2008, AFP du 20 novembre 2008).
L’opposition à "une mise à nu virtuelle dans les aéroports" au sein du Parlement européen risquait de compromettre un plan de sécurité plus général [6]. Ainsi, sans dissimuler le fait que la solution d’un recours aux scanners voyeurs n’est pas définitivement abandonnée, pour l’heure, la Commission admet ne pas devoir imposer cet outillage dans les aéroports européens…
Or, cette mise en instance revêt un caractère insidieux : les expérimentations du système de contrôle par scanners corporels sont déjà en cours et ce renoncement n’a pas pour objet de les faire cesser. Or, de toute évidence, « l’expérimentation des scanners corporels dans le secteur aérien n’est qu’un prélude, avant l’extension à d’autres modes de transport » [7]. De plus, la protection de la confidentialité des données qui seraient ainsi recueillies [8], en dépit des affirmations selon lesquelles les "images" ne seraient pas stockées [9], ne constitue en aucun cas une garantie [10] contre la prolifération de ces modalités de surveillance et de contrôle...
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[1] V. par ex. : « Aéroports : les "scanners corporels" scandalisent le Parlement européen » ; « Scanners corporels dans les aéroports, dont un à Nice : les parlementaires européens réagissent »
[2] Selon certaines informations picorées sur le site du journal Le Monde, « à l’aéroport londonien d’Heathrow, le système d’embarquement automatisé "miSense" a été testé, en 2007, auprès de 4 000 volontaires pour accélérer l’accès aux avions en comparant les données contenues sur un document biométrique et les empreintes de la personne ».
[3] V cependant, Sûreté aérienne : règles communes dans le domaine de la sûreté de l’aviation civile.
[4] En passe d’être testés à l’aéroport de Nice, ces dispositifs qui ont été largement contestés par les élus de la ville n’ont pas été mis en oeuvre... mais le seront sans doute un jour quand la décision sera prise au niveau européen.
[5] Soutenir les commerçants des zones de transit serait-il un des buts de la mesure ?
[6] Qui, selon le porte-parole du commissaire aux Transports, prévoyait « d’abandonner l’interdiction frappant dans l’Union européenne les substances liquides dans les bagages à main ».
[7] cf. American Civil Liberties Union. De fait, les couloirs de circulation envisagés pour faciliter le passage des frontières en automobile en Europe, distinguant, selon les "vignettes" détenues, la fréquence des passages en constituent une illustration. V. aussi Règlement (CE) n° 1100/2008 du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2008 concernant l’élimination de contrôles aux frontières des États membres dans le domaine des transports par route et par voies navigables (version codifiée).
[8] Masse corporelle ?, stature osseuse ?, séquelles d’opérations chirurgicales ?, etc.
[9] Vraiment ?
[10] V. aussi, sur un tout autre plan, Réglement (CE, EURATOM) n° 1101/2008 du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2008 relatif à la transmission à l’Office statistique des Communautés européennes d’informations statistiques couvertes par le secret (version codifiée).