Le 4 mars 2009, par Geneviève Koubi,
En dépit des analyses développées dans le cadre du Comité de réflexion sur le Préambule de la Constitution, dont le rapport a trop vite été enterré, parce que le Président de la République "veut" enraciner dans la pensée politique et juridique, une idée de "diversité" dépourvue d’assises solides et de fondements fiables, les discours persistent à la présenter sour le couvert d’actions à mener en faveur de l’égalité des chances.
Ainsi, le Commissaire à la diversité et à l’égalité des chances a-t-il estimé, le 26 février 2009, que l’action positive telle que souhaitée par le Président de la République, était un des paliers substantiels pour la mise en oeuvre d’une politique sociale destinée à concrétiser la visée de "l’égalité des chances". Cette option dissimule toutefois, sous le terme de "diversité" [1], une forme d’adhésion aux techniques de la discrimination positive, laquelle, loin d’être envisagée sur le plan social et économique, prend prétexte des coïncidences relevées par les études statistiques et préalablement organisées par les modalités d’application des textes juridiques relatifs à la nationalité et par les modulations des politiques d’assimilation puis d’intégration, pour s’inscrire dans un champ ethno-racial — ce qui est particulièrement révélé dans l’expression, aujourd’hui pensée anodine, de "minorités visibles", oubliant que ce qui donne sens au terme de minorité n’est pas le nombre (quantitatif) mais la situation (qualitatif) : l’oppression ou la subordination.
Les mesures que le Commissaire à la diversité prépare, devront être annoncées lors de la Journée de la diversité, le 21 mars. La Journée de la diversité est fixée ce jour là, premier jour du printemps, parce que le 21 mars a été déclaré Journée internationale pour l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, le 21 mars est compris comme laJournée internationale pour l’élimination de la discrimination raciale, comme la Journée internationale contre le racisme, etc. Mais, parce que le "label diversité" s’implique sur un tout autre terrain, on pourrait objecter que, sous l’égide de l’UNESCO, la Journée mondiale de la diversité culturelle pour le dialogue et pour le développement a été fixée au 21 mai...
Reprenant le souhait déjà émis par l’Institut Montaigne, lieu de rencontre des "grands patrons", le Commissaire à la diversité et à l’égalité des chances voudrait rendre visible ce label "diversité" qui fait des individus embauchés par les entreprises privées et publiques des indicateurs de performance sociale de ces mêmes entreprises. En effet, cet institut [2] avait proposé dans un rapport sur "Les oubliés de l’égalité des chances", la création d’un « Prix annuel de l’Excellence pour distinguer la ou les entreprises qui ont conduit avec succès une politique de recrutement et de promotion professionnelle innovante et respectueuse de la diversité et de l’équité dans le milieu du travail » [3]. Les travailleurs, les salariés, quel que soit leur statut, quel que que soit l’emploi occupé, sont ainsi devenus le moyen d’attribuer aux entreprises, aux employeurs, aux patrons de nouvelles médailles, en forme de bonifications rutilantes, dans le but de les récompenser de l’appui donné aux politiques économiques, sociales et fiscales prises en leur faveur.
Le « label "diversité" » est pourtant exposé en termes d’incitation et d’invitation (pas de coercition). Il répond à une stratégie managérielle des emplois et des postes au sein des grandes entreprises du CAC 40. Sous une apparence de ’bonne volonté’, affichant résolument une ’bonne conscience’, ce label serait destiné à « promouvoir les ’bonnes pratiques’ de recrutement, d’évolution professionnelle et de gestion des ressources humaines des entreprises ou des employeurs de droit public ou privé, en vue de développer la diversité et de prévenir les discriminations ». Tels sont les termes de l’article 1er du décret n° 2008-1344 du 17 décembre 2008 qui, presque passé inaperçu, crée précisément ce "label".
L’attribution de ce label signifiera alors, à l’adresse des employeurs, selon le Commissaire, le respect de ’devoirs’ particuliers, exposés en tableaux statistiques : le label, conçu pour développer la diversité plus que pour prévenir les discriminations, devra « comporter l’obligation de publier dans le bilan social des entreprises l’ensemble des progrès réalisés en matière de diversité ». La mise en fiches des travailleurs — à partir de critères, pour l’heure, ’interdits’ —, se trouverait ainsi validée. Le Commissaire va jusqu’à indiquer que « la diversité est un enjeu de la négociation collective » — ce qui ferait perdre tout sens aux principes directeurs de telles négociations [4].
Ces propositions supposent nécessairement de « mesurer la diversité ». Par là, le Commissaire, tout à son désir de satisfaire son mentor, ne craint pas contredire les principes dégagés par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2007-557 DC du 15 novembre 2007, à propos de la Loi relative à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile, quant à l’interdiction d’user de "statistiques ethniques" : « ... si les traitements nécessaires à la conduite d’études sur la mesure de la diversité des origines des personnes, de la discrimination et de l’intégration peuvent porter sur des données objectives, ils ne sauraient, sans méconnaître le principe énoncé par l’article 1er de la Constitution, reposer sur l’origine ethnique ou la race » [5]. De fait, à l’occasion d’un entretien avec l’AFP et relaté par l’hebdomadaire Le Point, le Commissaire s’exclame à l’adresse des opposants à l’établissement de ce type de statistiques ’ethniques’ : « Personne ne veut porter atteinte ni à la dignité des personnes, ni au droit. Tous ceux qui en contestent la validité au nom des principes républicains, se fourvoient » [6].
Le 26 février 2009, le Commissaire à la diversité et à l’égalité des chances a donc évoqué la mise en place de la commission de labellisation prévue par le décret du 17 décembre 2008. Il annonce quel en sera le "président" [7]. Mais il ne dit pas grand chose de l’organisme de labellisation lui aussi prévu par le décret. Car la commission est curieusement conçue à la fois comme la ’chambre d’instruction’ pour examiner les dossiers déposés par les entreprises ou employeurs de droit public ou privé désirant le label "diversité", ces dossiers étant au préalable sélectionnés par l’organisme de labellisation, et comme émetteur d’avis sur les rapports ainsi choisis par l’organisme de labellisation, avis qu’elle doit envoyer à l’organisme de labellisation [8]. Cet organisme de labellisation n’est pas tenu de suivre l’avis de la commission même s’il est obligé « d’intégrer l’avis donné par la commission dans ses conclusions définitives qui sont adressées au candidat ».
D’autres projections ont été soulignées par le Commissaire à la diversité et à l’égalité des chances ce 26 février 2009. Il propose, dans les secteurs socio-éducatifs, "d’élargir les possibilités d’accéder aux filières d’alternance", précisant que « cette dynamique sera menée avec les entreprises, ainsi 5 % des effectifs devraient être constitués par "la formation en alternance" » [9]. Ce qui importe à l’heure actuelle, dans ce champ dit de la "diversité", c’est d’assurer aux entreprises les moyens d’une gestion des ressources humaines en phase avec l’obtention d’un label sans avoir à risquer de poursuites judiciaires ou autres types de sanction (par le biais de la Halde) fondées sur l’existence d’une discrimination [10]... Les entreprises devraient pouvoir opérer les recrutements de jeunes travailleurs suivant des parcours scolaires et universitaires balisés par elles-mêmes : c’est ainsi que le Commissaire souhaite « développer "la professionnalisation des missions locales" afin de "bien articuler le monde de l’éducation et de la formation" ».
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Il reste à attendre le 21 mars 2009 pour connaître la suite...
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[1] V. par ailleurs, le rapport de E. Keslassy, « 0uvrir la politique à la diversité », et le billet d’humeur « L’injonction aux juristes : la diversité sans la controverse ! ».
[2] ... dont l’objectif affiché est d’influencer les politiques sociales, v. « Les essais de l’Institut Montaigne pour imposer la discrimination positive ».
[3] V. sur le site de l’Observatoire du communautarisme, le rapport "Les oubliés de l’égalité des chances" en pdf.
[4] V. la simple indication à ce propos sur le site du Premier ministre, dans le communiqué concernant les actions en matière de solidarité à propos de l’égalité des chances.
[5] La question ’sociale’ n’est donc pas là abordée, ce qui permettrait aux pouvoirs publics de contourner l’interdiction en usant de critères dits ’objectifs’ relatifs au domicile, aux ressources, à la situation socio-professionnelle, au statut civil, etc.
[6] Le Conseil constitutionnel aurait-il donc tout faux ? Le Comité de réflexion sur le Préambule de la Constitution se serait-il égaré dans des considérations oiseuses ?
[7] Ce serait le directeur général de l’Institut national des études démographiques (Ined)... Cet institut n’est-il pas aussi le lieu où professent la plupart des partisans d’un développement des statistiques ’ethniques’ ?
[8] On pourrait appeler ce modèle : faire la ronde...
[9] Noter l’exclusive qui contredit les politiques d’intégration initialement recherchées : « Les mesures touchant à l’éducation et à la formation seront des "mesures de droit commun qui concerneront tous les jeunes Français ».
[10] Le Commissaire préconise ainsi "un élargissement de la pratique du CV anonyme", mais "sans coercition".