Le 22 janvier 2017, par Geneviève Koubi,
Souvent, plus que le décret ou l’arrêté lui-même, c’est son ou ses annexes qui importent.
Tel est le cas de l’arrêté du 5 janvier 2017 fixant les orientations générales pour l’exercice par les médecins de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, de leurs missions, prévues à l’article L. 313-11 (11°) du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
Si l’article 1er de cet arrêté indique fixer « les orientations générales du ministre chargé de la santé mentionnées au 11° de l’article L. 313-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) », les annexes qui y sont jointes rappellent en premier lieu les règles professionnelles auxquelles sont soumis « les médecins de l’Office d’immigration et d’intégration (OFII) [qui] émettent des avis relatifs à la délivrance de cartes de séjour aux étrangers dont l’état de santé nécessite une prise en charge médicale et qui, eu égard à l’offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont ils sont originaires, ne pourraient pas y bénéficier effectivement d’un traitement approprié » - dont, notamment, le secret professionnel. Pourtant, les avis médicaux qu’ils rendent sont adressés aux préfets.
Cependant, ce qui retient l’attention c’est l’annexe II relative aux différents outils et références documentaires qui peuvent être mobilisés pour l’émission de l’avis.
Sont là répertoriés les sites web à partir desquels sont glanées les « informations utiles pour connaître la situation de l’accès aux soins dans les pays d’origine ». Si sont cités les sites officiels de l’OIT, de l’UNICEF, de la Banque mondiale et de l’OCDE, est également mentionné un rapport sur L’admission au séjour des étrangers malades de l’inspection générale des affaires sociales présenté en 2013. Comme « l’objectif est de pouvoir disposer d’informations fiables pour harmoniser l’évaluation de l’offre de soins dans les pays d’origine », d’autres sources d’informations sont proposées comme les compléments d’information pouvant être obtenus auprès de sites associatifs.
Cette propension à se reporter aux sites internet, tant officiels qu’associatifs, peut laisser dubitatif. Ces sites, dont les mises à jour régulières s’avèrent alors indispensables, endossent désormais une forte responsabilité dans l’acquisition des connaissances à propos de la situation sanitaire des pays concernés.
En cette annexe II quelques points particuliers sont signalés. Ils concernent les cancers, les pathologies lourdes, les pathologies chroniques, les hépatites virales B et C, le VIH, les troubles psychiques et les pathologies psychiatriques.
Pour ce qui concerne les troubles psychiques et les pathologies psychiatriques, « les informations [... qui] doivent en principe être recueillies [sont] : description du tableau clinique, critères diagnostiques, en référence à des classifications reconnues (classification internationale des maladies : CIM10, ou manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux : DSM 5) ». La référence au DSM 5 ne peut que provoquer de fortes interrogations.
En effet, la cinquième version ce Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux [1] - dit DSM 5 [2] - proposé par l’association américaine de psychiatrie suscite de vives oppositions [3] parmi les psychiatres, psychologues, psychanalystes en France dans la mesure où, préconisant d’autres modèles que l’institution d’un lien entre patient et médecin, il semble bien être conçu pour servir les intérêts des industries pharmaceutiques [4].
L’annexe II précise encore sur ce point que, « lorsque ces éléments sont disponibles, la gravité des troubles, son suivi et les modalités de prise en charge mises en place » doivent être énoncées dans l’avis émis par le médecin. Ainsi, « l’importance dans ce domaine de la continuité du lien thérapeutique (lien patient-médecin) et du besoin d’un environnement/entourage psycho social familial stable (eu égard notamment à la vulnérabilité particulière du patient) doit être soulignée ». Néanmoins, quelques réflexions s’imposent devant les « états de stress post-traumatique (ESPT) » qui se révèlent inévitablement au vu des drames vécus par les demandeurs d’asile, plus que fréquents. Sont d’ailleurs désignés les « violences, tortures, persécutions, traitements inhumains ou dégradants subis dans le pays d’origine ». Mais ce ne sont pas les demandeurs d’asile qui se voient concernés par cet arrêté.
L’arrêté du 5 janvier 2017 fixant les orientations générales pour l’exercice par les médecins de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, est construit essentiellement en référence à l’article L. 313-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile qui prévoit que, « sauf si sa présence constitue une menace pour l’ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit » à quelques-uns des étrangers la sollicitant.
Plus précisément, cet arrêté s’attache au 11° de cet article : la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit, « 11°. A l’étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l’offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d’un traitement approprié. La condition prévue à l’article L. 313-2 n’est pas exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l’autorité administrative après avis d’un collège de médecins du service médical de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d’État. Les médecins de l’office accomplissent cette mission dans le respect des orientations générales fixées par le ministre chargé de la santé. Chaque année, un rapport présente au Parlement l’activité réalisée au titre du présent 11° par le service médical de l’Office français de l’immigration et de l’intégration ainsi que les données générales en matière de santé publique recueillies dans ce cadre. »
Sans doute pour accentuer le caractère humanitaire des notifications médicales, doit être évalué le risque d’une « réactivation d’un ESPT, notamment par le retour dans le pays d’origine », ceci étant entendu « au cas par cas ».
Pour le traitement des ESPT, l’annexe II renvoie à la publication par la Haute Autorité de santé des recommandations aux médecins concernant les affections psychiatriques de longue durée et les troubles anxieux graves de 2007. Sans même prendre en considération les particularités des situations en cause devant l’OFII, il est fait référence à la définition de l’ESPT et la prise en charge qui y figurent [5]
Là encore, parce désormais les sources d’informations sont celles proposées sur internet, sont mentionnés d’autres « sites de référence », tels le site de l’Association de langue française pour l’étude du stress et du trauma ; International Society for Traumatic Stress Studies Treatment Guidelines ; US Department of Veterans Affairs/Department of Defense Clinical Practice Guidelines ; National Center for PTSD.
Ainsi, faut-il croire qu’à part des rapports officiels, parfois datés, seuls les sites web seraient à même de proposer des informations fiables sur la situation sanitaire des pays d’origine comme sur les traitements envisageables des pathologies rencontrées ? L’expérience personnelle du médecin, ses connaissances acquises par-delà ces rapports et ces sites n’auraient-elles aucune valeur ?
Mais encore, comme l’annexe III de l’arrêté fait état des « données statistiques relatives à l’activité "étrangers malades", collectées auprès des agences régionales de santé (ARS) à l’aide d’un masque de saisie élaboré par la direction générale de la santé (DGS) et auprès de la préfecture de police pour Paris », il se trouve que les principaux motifs médicaux pour lesquels un titre de séjour a été demandé pour raison de santé sont « les maladies psychiatriques, l’infection par le virus de l’immunodéficience humaine, les hépatites, le diabète et la cancérologie », s’y ajoutent « les pathologies cardiovasculaires », lesquelles, selon le ministre, pourraient « s’accroître avec la transition nutritionnelle observée sur le plan mondial, et pour lesquels la prise en charge est très inégale. » Aucun éclaircissement n’est là annexé….
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ajout au 23 janv. 2017 :
Lire en parallèle la circulaire dite instruction n° DGS/SP1/2016/394 du 16 décembre 2016 (mise en ligne sur le site www.circulaires....gouv.fr le 20 janvier 2017) relative au transfert de la procédure dite "étranger malade" des ARS au service médical de l’OFII au 1er janvier 2017.
[1] Autant critiquée que les précédentes.
[2] Sa traduction en français, coordonnée par M.-A. Crocq et J.-D. Guelfi, est parue en 2015 aux éditions Elsevier-masson.
[3] V. par ex. sur lemonde.fr, S. Cabut, « Psychiatrie : DSM-5, le manuel qui rend fou ».
[4] V. entre autres, A. Frances, Sommes-nous tous des malades mentaux ? Le normal et le pathologique, Odile Jacob, 2013 ; S. Demazeux, « Le DSM-5, une inquiétude française », Esprit, 2013/7, p. 113 ; J.-D. Ghelfi, « Critères de sélection des types de troubles de la personnalité : la réflexion du DSM-5 », in J.-D. Guelfi, P. Hardy, Les personnalités pathologiques, Lavoisier, coll. Psychiatrie, 2013, p. 105 ; F. Advenier, V. Kapsambelis, « Le diagnostic psychiatrique à l’ère de la médecine industrielle », Topiques, n° 123, 2013, p. 7 ; F. Drossart, « Suspendre le DSM », Topiques, n° 123, 2013, p. 69...
[5] Pour preuve, v. p. 17 et suiv. dudit guide.