Le 23 mars 2008, par Geneviève Koubi,
Le rapport de Jean-Pierre Duport (193 p.) et l’avis du Conseil économique et social qui s’ensuit (29 p.), sur « Aménagement du territoire : enseignement supérieur et recherche entre proximité et excellence » sont révélateurs de la dynamique « territorialisée » des modes d’approche aujourd’hui retenus de l’ensemble des services publics en France.
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Dans la perspective de « l’aménagement du territoire », ce ne sont plus les problématiques issues de la décentralisation (art. 1er de la Constitution) ou dérivées du principe de valeur constitutionnelle de libre administration des collectivités territoriales, voire des conséquences à tirer des différents lois relatives aux pouvoirs, attributions, compétences et responsabilités des organes locaux, qui sont mises en œuvre.
L’enjeu d’une combinaison entre les formes organisationnelles de l’« implantation locale des services publics nationaux » et la volonté politique du « redécoupage fonctionnel du territoire de la République », – qu’il s’agisse de la réforme de la carte judiciaire ou des révisions à venir de la carte sanitaire, qu’il s’agisse de la refonte recherchée des intercommunalités urbaines ou du « développement de la région capitale » [1], qu’il s’agisse encore du remodelage annoncé des « zones de défense » ou de la recomposition attendue des « circonscriptions départementales » –, serait-il de contourner les institutions de pouvoir local ? serait-il de redessiner la géographie des lieux et espaces d’intervention des pouvoirs publics au travers de quelques services publics spécifiques ? serait-il de briser leurs cadrages initiaux pour obliger leur entrée dans les sphères économiques de la compétitivité internationale ?...
Quelques éléments tirés du rapport sur « Aménagement du territoire : enseignement supérieur et recherche entre proximité et excellence » permettent de retracer ces enjeux – étant entendu que si l’État conserve « la responsabilité pleine et entière de l’enseignement supérieur et de la recherche », ces activités mobilisent un ensemble d’acteurs toujours plus vaste – collectivités territoriales, établissements publics, universités, organismes de recherche, enseignants et étudiants, entreprises privées, administrations centrales, déconcentrées, institutions locales, associations, etc. et doivent évoluer « dans un contexte de plus en plus ouvert où l’Union européenne a elle aussi ses exigences ».
C’est le cas, par exemple, des considérations relatives aux « antennes universitaires ».
Le relevé de « la dimension socio-territoriale » des universités et des organismes de recherche publique, enseignement supérieur et recherche étant ainsi d’emblée étroitement liés [2], permet d’envisager la définition d’une « stratégie territoriale » destinée à « valoriser l’enseignement supérieur et la recherche à l’échelle interrégionale, européenne, voire mondiale ». Et en usant des instruments des politiques d’aménagement du territoire, l’objectif serait de « coordonner et intégrer les actions des différents acteurs et en particulier des régions dans une politique cohérente, nationale et européenne ». La proposition d’une requalification des sites universitaires « au seul regard de l’excellence de la recherche » conduit ainsi à solliciter une refonte de « la répartition spatiale » des universités, la multiplication des sites universitaires étant pensée comme « un facteur de dispersion handicapant » sur le plan de la reconnaissance internationale des formations offertes et des recherches à réaliser.
En fait, on pourrait discerner dans le schéma préconisé par le rapport, une tendance lourde à la suppression de différents sites universitaires [3]. Est effectivement proposée « une mise à plat des formations au regard de la qualification des sites » ; est sollicitée une meilleure « identification des qualifications des sites d’enseignement supérieur, que ce soit au niveau de l’excellence de la recherche ou de filières de formations spécialisées » ; est recommandée la mise au point d’une « politique de sites » à un niveau régional et, sans coup férir, seront envisagées « des universités multi-campus ».
L’argument fallacieux de la baisse du nombre d’étudiants autorise la proposition d’une recomposition des antennes universitaires délocalisées – en passant sous silence le fait que celles-ci ont souvent pallié les carences en matière d’infrastructures (locaux et logements) et en ce qui concerne les moyens financiers et humains mis à la disposition des universités-mères. Le premier des conseil est de ne pas programmer de nouvelles implantations d’universités [4]. Le second qui répond à l’air des temps est d’évaluer toutes les universités et leurs antennes délocalisées en distinguant « les sites dédiés à l’enseignement professionnalisant » qui doivent être restructurés « en liaison avec le tissu économique local », et les antennes de premiers cycles délocalisés qui « doivent être complémentaires des seconds cycles proposés par l’université-mère » [5].
Au prétexte de l’aménagement du territoire, les objectifs essentiellement économiques s’insèrent dans le discours – par delà toute la force de cohésion sociale comme toute la qualité d’une formation de culture générale et d’ouverture de la pensée qui forment l’essence du service public de l’enseignement supérieur [6] : il s’agit alors de « conforter la performance économique d’un territoire par un réseau université-entreprise-collectivités territoriales » ; de « valoriser et capitaliser les liens avec les entreprises », d’encourager les enseignants-chercheurs au rapprochement avec les acteurs du développement local ». La conclusion paraît dès lors évidente : « cette proximité avec les milieux économiques peut être un enjeu majeur, pour les universités, de l’insertion professionnelle des personnes qu’elles forment et, pour les territoires, de l’anticipation des mutations économiques nécessaires ».
L’avis du Conseil économique et social du 27 février 2008 reprend logiquement ces considérations.
Partant du principe que « le territoire est un vecteur de cohérence et de coopération entre des disciplines et des activités (recherche, enseignement, professionnalisation) qui ne ressentent pas naturellement le besoin les unes des autres ni leur complémentarité », il propose :
1./ (d’) Instaurer un moratoire sur les nouvelles universités et les nouvelles implantations ;
2./ (de) Mettre en œuvre une politique de qualification des sites : a). Pour chaque site, rechercher l’excellence dans son ou ses domaines ; b). Évaluer les antennes délocalisées pour leur donner caractère et spécificité ; c). Pour éviter des suppressions de premiers cycles généralistes, repérer les bonnes pratiques ; d). Faire de certaines antennes, JUT ou STS des plateaux technologiques ancrés sur le monde économique local ;
3./ (d’) Inciter à la mise en place des PRES, en veillant à « ce qu’ils soient dotés d’un véritable contenu et ne se limitent pas à des regroupements formels ».
Serait-ce alors par cette voie d’une instrumentalisation politique de la notion « d’aménagement du territoire » que le Gouvernement [7] parviendrait à « liquider Mai 68 » ?
[1] Le secrétariat d’Etat en charge du « développement de la région capitale », créé par le décret du 18 mars 2008 relatif à la composition du gouvernement, est placé auprès du ministre d’Etat, ministre de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de l’aménagement du territoire.
[2] auquel doit être ajouté le constat de l’importance de leur rôle économique tant dans l’espace régional qu’au niveau national.
[3] or, dans cette configuration de l’analyse, l’université n’est pas pensée en direction de « l’étudiant » mais essentiellement pour « libérer la croissance »…
[4] Ce conseil est suivi d’une remarque révélatrice sur le plan des motivations politiques : « … les implantations universitaires en tant que fonction urbaine supérieure sont souvent l’objet de toutes les convoitises de la part des élus locaux. »
[5] et ces antennes sont là perçues comme le « premier lieu d’accueil des étudiants boursiers » – à l’occasion de la proposition de repérage des bonnes pratiques, il est également dit que « … ce sont aussi ces sites qui, au regard des objectifs sociaux, contribuent le plus à l’accueil des étudiants défavorisés. Aussi, il convient pour bien évaluer ces sites qui sont sans doute les plus menacés, de se donner les moyens de repérer les bonnes pratiques (...), d’en tirer les enseignements en matière d’innovation pédagogique ou d’orientation et d’en faire, dans ces domaines, des laboratoires vis-à-vis des universités-mères ».
[6] Il est à noter que pour les enseignements professionnalisant et les premiers cycles d’enseignement supérieur délocalisés « les perspectives d’évolution ici proposées se retrouvent dans le volet enseignement supérieur de l’appel à projet Villes moyennes, lancé par la DIACT en 2007. La manière dont les villes lauréates se saisiront du sujet et situeront leurs infrastructures d’enseignement supérieur et de recherche dans leur territoire, permettra sans doute d’affiner les préconisations »…
[7] ... après avoir annihilé la cohésion de l’université en son ensemble du fait d’une autonomisation des instances universitaires et des modes de financement des formations et avant de démanteler progressivement les structures de la recherche scientifique...