Le 8 avril 2008, par Geneviève Koubi,
A ceux qui s’empêtreraient dans la recherche d’une réponse concrète à la question posée : mais où donc faire du droit ?, réponse qui ne sera pas donnée, au moins en trouveront-ils l’origine en allant directement à la fin de ce petit texte...
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Un détour vers droitpublic.net peut permettre d’évaluer la considération que certains députés ont à l’égard du "Droit".
Sous le titre « Constitution. Comment la majorité des députés ignore la Constitution et des principes les plus élémentaires de notre charte fondamentale. Atteinte caractérisée au droit au recours », Pascal Jan propose la lecture édifiante du compte rendu de la séance du jeudi 3 avril 2008 à l’Assemblée nationale (1re séance - 130ème séance de la session sous la présidence de M. Marc Laffineur, Vice-Président). Il met clairement en valeur (en caractère gras) les élements essentiels de la discussion relative à l’article unique de la proposition de loi complétant l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires dont le but est d’assurer la protection des témoins entendus par la commission d’enquête. En voici la teneur :
« I. – Après le troisième alinéa du II de l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, il est inséré un alinéa ainsi rédigé : /« Ne donneront lieu à aucune action en diffamation, pour injure ou outrage, ni les propos tenus ou les écrits produits par la personne tenue de déposer devant une commission d’enquête, sauf s’ils sont étrangers à l’objet de l’enquête, ni le compte rendu des réunions publiques de cette commission fait de bonne foi. » »
Cette proposition retient en premier lieu le fait que « la récente commission d’enquête sur l’influence des sectes et leurs conséquences sur la santé physique et mentale des mineurs a donné lieu à de nombreuses actions en diffamation engagées contre des personnes ayant témoigné devant elle » ; l’enjeu est « d’accorder aux témoins des commissions d’enquête – dont la situation est désormais très proche de celle des témoins judiciaires – une immunité partielle ayant valeur législative ».
Plutôt que reprendre les phases de la discussion retenues, bien que des recoupements avec les paragraphes soulignés par Pascal Jan soient inévitables, au-delà de la question d’une immunité relative accordée aux temoins concernés, quelques bribes d’un débat pourraient être soulignées à propos de la perception du droit et des juridictions par les participants à la discussion en s’appuyant sur le compte rendu intégral de la séance qui y fut consacrée [1] :
Jean-Jacques Urvoas [2] – ..... L’arrêt rendu par la Cour de cassation le 23 novembre 2004 soulignant que le droit commun de la diffamation s’appliquait à tout individu auditionné par une commission d’enquête parlementaire, il était légitime de réfléchir à partir de son contenu. (…/…) Dans le souci légitime de mettre fin à des travers assurément répréhensibles, la proposition de loi emprunte des chemins tortueux dont le juge constitutionnel, s’il était saisi (…) pourrait considérer qu’ils posent des difficultés sur le plan du droit. Pour tout dire, je ne trouve pas la proposition aussi équilibrée que notre rapporteur a bien voulu la présenter. D’abord, elle vise à étendre par une loi ordinaire aux témoins des commissions d’enquête un principe de valeur constitutionnelle, qui, depuis 1789, n’a jamais été remis en cause, écorné tout au plus. Loin de nous l’idée (…) d’en réclamer la jouissance exclusive : l’immunité parlementaire n’est pas un privilège, mais un moyen de placer le pouvoir législatif à l’abri des atteintes de l’exécutif. Le législateur s’est déjà aventuré sur ce terrain et mal lui en a pris. Le Conseil constitutionnel, dans une décision du 7 novembre 1989, a en effet considéré que la mission confiée par le Gouvernement à un parlementaire ne pouvait exonérer celui-ci de façon absolue de toute responsabilité pénale et civile, les actes en question étant distincts de ceux accomplis dans l’exercice de ses fonctions. Un parlementaire en mission n’est pas couvert par l’immunité parlementaire
Alain Gest - On s’en est rendu compte !
J.-J. Urvoas - Dès lors, on voit mal pourquoi ce qui a été refusé hier au législateur pour le parlementaire en mission serait aujourd’hui admis pour le simple témoin devant une commission d’enquête, même si cette immunité est relative. (.../...) Au demeurant, il est logique de penser que si la Cour de cassation développe aussi une interprétation très stricte de l’immunité parlementaire, c’est bien parce que celle-ci ne peut être autorisée que par la Constitution.
Henri Emmanuelli – La Cour de cassation a tort ! (…)
J.-J. Urvoas – Autre interrogation, votre texte pourrait être perçu comme contraire à l’égalité devant la loi et la justice, si l’on se réfère à la décision du Conseil constitutionnel du 7 novembre 1989.
Jean-Pierre Brard - C’est nous qui décidons, pas le Conseil constitutionnel !
J.-J. Urvoas - S’appuyant sur l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et sur l’article 2 de la Constitution, le Conseil avait considéré que la mise en œuvre, au profit de quiconque, d’une exonération de responsabilité à caractère absolu, portait atteinte à ce principe d’égalité devant la loi.
Jacques Myard - C’est faux !
J.-P. Brard - Juridisme !
J.-J. Urvoas - J’ai bien précisé que je me plaçais sur le plan du droit.
H. Emmanuelli - Summum jus…
J.-P. Brard - Le droit doit aller de pair avec la morale ! [3]
J.-J. Urvoas – (…) Toutefois, pardonnez-moi de le redire, je demeure convaincu que la solution retenue dans cette proposition de loi pose des problèmes de droit. (…/…) Je n’ignore pas ce que cette justification du secret, même mesurée, peut avoir d’anachronique et de politiquement incorrect en ces temps marqués par une exigence de transparence qui n’admet nulle entrave, mais, comme l’excès de silence ou d’opacité, je crois que l’excès de transparence peut porter atteinte au fonctionnement de la démocratie et accentuer l’affaiblissement du politique. En conclusion, ce que nous vous proposons, c’est de résoudre le problème que vous avez justement souligné en recourant plus aux possibilités offertes par l’ordonnance de 1958.
Puis, la discussion générale étant close, lors de la discussion sur l’article unique :
J.-J. Urvoas - Étant novice, mes propos seront nécessairement prudents. Il n’en demeure pas moins que je suis gêné par les échanges que nous venons d’avoir et sur la focalisation sur un seul type de commission d’enquête. Certes, je reconnais le travail remarquable effectué par les commissions d’enquête sur les sectes et je comprends qu’il soit nécessaire de protéger les témoins. Toutefois, j’ai du mal à me prononcer sur un texte qui ne prend en compte qu’une seule situation. Je le répète, des possibilités sont offertes par l’ordonnance de 1958 pour protéger les témoins, afin qu’ils puissent nourrir la réflexion de la commission et l’éclairer le plus largement possible. Je propose donc, par l’amendement n° 1, de substituer aux alinéas 2 et 3 de l’article unique de la proposition de loi présentée par le président Accoyer un alinéa soulignant les possibilités de huis clos, notion qui me parait parfaitement fondée en droit. Pardonnez-moi de faire du juridisme,
J. Myard - Ce n’est pas du juridisme, c’est de la naïveté !
J.-J. Urvoas - … mais si on ne fait pas de droit dans cet hémicycle où en fera-t-on ? ...
Car, en effet, telle serait la question !