Le 21 mars 2019, par Geneviève Koubi,
« Ils » n’auront pas attendu pour l’émettre, le décret n° 2019-208 du 20 mars 2019 instituant une contravention pour participation à une manifestation interdite sur la voie publique… en affirmant l’immédiateté de son entrée en vigueur.
Il reviendra à chacun de s’informer seul de la qualité de la manifestation qu’il rencontrerait par hasard sur son chemin piétonnant - ou même, comme c’est déjà arrivé tragiquement, qu’il aborderait involontairement à la sortie d’un commerce quelconque … Comme le clampin lambda n’est pas obligatoirement connecté ou membre d’un réseau social aux indications instantanées, donc non nécessairement au fait des annonces gouvernementales, préfectorales, municipales relatives au défilé qu’il croise lors de ses déambulations, il se trouvera bien malgré lui, même en ne s’y incorporant pas, considéré comme un manifestant - susceptible d’être pénalisé... Ceux qui applaudissent l’édiction d’un tel décret qui ne résout rien en termes de pacification sociale, devraient donc songer à ne pas sortir dans les rues les jours de manif’.
Dans les visas de ce décret d’application immédiate est « notamment » cité l’article L. 211-4 du Code de la sécurité intérieure. Cet article dispose : « Si l’autorité investie des pouvoirs de police estime que la manifestation projetée est de nature à troubler l’ordre public, elle l’interdit par un arrêté qu’elle notifie immédiatement aux signataires de la déclaration au domicile élu./ Le maire transmet, dans les vingt-quatre heures, la déclaration au représentant de l’État dans le département. Il y joint, le cas échéant, une copie de son arrêté d’interdiction. / Si le maire, compétent pour prendre un arrêté d’interdiction, s’est abstenu de le faire, le représentant de l’État dans le département peut y pourvoir dans les conditions prévues à l’article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales. » C’est sur le fondement de cet article que se comprennent donc les dispositions du décret. Il n’en demeure pas moins qu’il n’est nullement spécifié quelle est la procédure puisqu’il est fait mention d’une manifestation projetée - toute manifestation devant être déclarée au préalable. Une manifestation spontanée, - donc de ce seul fait, non déclarée au préalable -, ne peut faire alors l’objet d’un tel arrêté d’interdiction... Le contournement de cet article s’avère donc envisageable... ce, sans préjuger de ce que l’on peut entendre par le terme "projetée"...
Outre le fait qu’inévitablement toute manifestation de rue « est de nature à troubler l’ordre public », ne serait-ce qu’au vu des parcours empruntés, lesquels comportent des couloirs de circulation des véhicules motorisés ou non, la question reste posée de la trop grande généralité de l’expression « ordre public ». L’appréciation extensive de ce concept conduirait peu à peu à des interdictions générales de manifestation sur la voie publique - quel qu’en serait l’objet… Ce qui, indéniablement, est contraire aux principes d’une société démocratique. La dérive policière plus que sécuritaire des pouvoirs publics s’affirme de plus en plus, - et bien trop !
Quoiqu’il en soit, ce décret n° 2019-208 du 20 mars 2019 instituant une contravention pour participation à une manifestation interdite sur la voie publique a surtout pour objet d’insérer dans le Code pénal une disposition spécifique quant à une nouvelle contravention. Ainsi, un nouvel article R. 644-4 dispose : « Le fait de participer à une manifestation sur la voie publique interdite sur le fondement des dispositions de l’article L. 211-4 du code de la sécurité intérieure est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe. » Parallèlement, dans le Code de procédure pénale, est introduit à l’article R. 48-1 - qui établit la liste des « contraventions des quatre premières classes pour lesquelles l’action publique est éteinte par le paiement d’une amende forfaitaire »- un alinéa supplémentaire : « 13° Contraventions réprimées par l’article R. 644-4 du code pénal relatif à la participation à une manifestation interdite sur la voie publique. » En conséquence, le Code de la sécurité intérieure est ajouré d’un article R. 211-26-1 selon lequel « La participation à une manifestation sur la voie publique interdite sur le fondement des dispositions de l’article L. 211-4 est réprimée dans les conditions prévues à l’article R. 644-4 du code pénal. » [1].
Or, on peut penser que l’institution d’une amende de ce montant n’est guère pertinente dans un tel cadre. Les manifestations ne sont que rarement le fait des nantis ou bons bourgeois, seuls à même de s’acquitter d’amendes de ce taux. Si les revendications portées par les manifestations sont axées sur le pouvoir d’achat ou sur les rémunérations, la menace incluse dans une amende d’un tel montant n’est que peu d’effet dissuasif pour ceux qui vivent déjà des fins de mois difficiles...
*
Ceci étant posé, les réactions médiatiques et les analyses doctrinales sont désormais attendues [2]...
*
[1] Il est à noter en sus que ces dispositions nouvelles « sont » – puisque le futur n’est pas de mise - applicables en Nouvelle-Calédonie et dans les territoires de la Polynésie française et des îles Wallis et Futuna…
[2] ajout au 22 mars 2019 : La LDH dépose un recours en référé-liberté : Stop aux atteintes au droit de manifester.