Le 24 mars 2019, par Geneviève Koubi,
L’usage des verbes infinitifs à outrance dans les intitulés des titres et des chapitres dans les lois ou décrets est agaçant tant il révèle les jeux de suffisance et d’arrogance des pouvoirs publics : l’infinitif est impératif. Toutefois, l’infinitif peut retraduire un imparfait… désignant, en l’occurrence, ce qui serait à redresser. Appliqué surtout depuis 2018, lorsqu’il s’agissait pour les organes politiques décideurs d’acquérir un regain de séduction, de légitimité et, surtout, d’autorité, cet usage acquiert non pas une qualité persuasive mais plutôt un aspect rebutant.
Sans s’intéresser aux ordonnances prises sur le fondement de l’article 38 et ratifiées, quelques lois répondent à ce modèle. En forme une illustration, la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique avec un Titre Ier : « Construire plus, mieux et moins cher » et des chapitres : « - Ier : Dynamiser les opérations d’aménagement pour produire plus de foncier constructible ; - II : Favoriser la libération du foncier ; III : Favoriser la transformation de bureaux en logements ; - IV : Simplifier et améliorer les procédures d’urbanisme ; - V : Simplifier l’acte de construire ; - VI : Améliorer le traitement du contentieux de l’urbanisme »… Retient le même déroulement la loi n° 2018-957 du 7 novembre 2018 relative à l’accueil des gens du voyage et à la lutte contre les installations illicites en trois chapitres : « I : Clarifier le rôle de l’État, des collectivités territoriales et de leurs groupements ; - II : Moderniser les procédures d’évacuation des stationnements illicites ; - III : Renforcer les sanctions pénales ». La loi n° 2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude obéit aussi à cette tentation autoritaire avec des verbes ’force’ en un Titre Ier : « Renforcer les moyens alloués à la lutte contre la fraude fiscale, sociale et douanière » [1]. C’est suivant ces tournures que se construit la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie avec un Titre Ier : « Accélérer le traitement des demandes d’asile et améliorer les conditions d’accueil », un Titre II : « Adapter l’application du droit du sol pour l’accès à la nationalité à Mayotte », un Titre III : « Renforcer l’efficacité de la lutte contre l’immigration irrégulière » et un Titre IV : « Accompagner efficacement l’intégration et l’accueil des étrangers en situation régulière ».
La liste des lois employant ces infinitifs dans les intitulés des titres, chapitres, sections qu’elles contiennent s’allonge au fur et à mesure des récriminations sociales. On y range encore la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel [2], Cette utilisation récurrente du verbe infinitif est révélatrice des non-dits gouvernementaux sous la pression des sous-entendus présidentiels…
La longue loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice joue de ces mêmes gammes linguistiques.
*
La loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice présente ainsi un Titre II, « Simplifier la procédure civile et administrative », composé par des chapitres utilisant des formules d’infinitif de manière répétitive : – « Chapitre Ier : Redéfinir le rôle des acteurs du procès / Section 1 : Développer la culture du règlement alternatif des différends ; Section 2 : Étendre la représentation obligatoire ; Section 3 : Repenser l’office des juridictions » – Chapitre II : Assurer l’efficacité de l’instance : Section 1 : Simplifier pour mieux juger ; Section 2 : Simplifier pour mieux protéger ; Section 3 : Concilier la publicité des décisions de justice et le droit au respect de la vie privée ». La même stylisation se retrouve au Titre III : « – Chapitre Ier : Alléger la charge des juridictions administratives ; – Chapitre II : Renforcer l’efficacité de la justice administrative » tant que les principaux thèmes et organes concernés relèvent des institutions publiques. Le jeu sémiotique n’est plus de mise quand ce sont les particuliers qui se trouvent visés comme, en la matière, les victimes ou les agents exerçant des missions de police judiciaire.
On repère encore l’infinitif impératif dans l’intitulé du Titre V : « Renforcer l’efficacité et le sens de la peine » comme au chapitre VI « Favoriser la construction d’établissements pénitentiaires » du même Titre V. Le titre VI reprend la même technique : « Renforcer l’organisation des juridictions » avec en Chapitre Ier : « Améliorer l’efficacité en première instance », un chapitre II aux accents hasardeux : « Améliorer l’efficacité des juridictions en cas de crise » et un court Chapitre IV « Améliorer la cohérence du service public de la justice au niveau des cours d’appel » composé d’un seul article. On notera donc ainsi qu’il s’agit surtout de renforcer l’efficacité … en la matière des formes d’autorité policières, justicières et pénitentiaires insérées dans les Codes affectés par la loi.
*
Bien sûr, c’est surtout le Code de procédure pénale qui se trouve sérieusement chamboulé par les dispositions de cette loi dont on cherche les paliers véritables d’une « programmation ».
Peut-être se love-t-elle derrière un recours supplémentaire aux ordonnances de l’article 38 envisagé à l’article 106 de la loi : « I. - Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à prendre par voie d’ordonnance les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour : 1° Tirer les conséquences, dans les textes et codes en vigueur ainsi que dans les dispositions introduites ou modifiées par la présente loi, de la substitution du tribunal judiciaire au tribunal de grande instance et au tribunal d’instance ainsi que de la création du juge des contentieux de la protection prévues par l’article 95 de la présente loi, y compris en apportant les modifications nécessaires pour remédier aux éventuelles erreurs et omissions de la présente loi, et abroger les dispositions devenues sans objet ; 2° Aménager, mettre en cohérence ou modifier les dispositions des textes et codes en vigueur relatives à la compétence du tribunal judiciaire ainsi que celles relatives à l’institution, la compétence, l’organisation, le fonctionnement et les règles de procédure de toute juridiction lorsque celles-ci sont définies par référence au tribunal de grande instance, au tribunal d’instance ou au juge du tribunal d’instance ; 3° Tirer les conséquences de la substitution du tribunal judiciaire au tribunal de grande instance et au tribunal d’instance ainsi que de la création du juge des contentieux de la protection dans les textes et codes en vigueur régissant les juridictions de Saint-Pierre-et-Miquelon, la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française et les îles Wallis et Futuna, y compris en apportant les modifications nécessaires pour remédier aux éventuelles erreurs et omissions de la présente loi, et abroger les dispositions devenues sans objet. II. - L’ordonnance prévue au I est prise dans un délai de douze mois à compter de la promulgation de la présente loi. III. - Un projet de loi de ratification est déposé devant le Parlement dans un délai de quatre mois à compter de la publication de l’ordonnance mentionnée au I. »
Au XIX de l’article 71, on pourrait encore détecter une idée de programmation à travers une expérimentation … profitant aux entreprises privées : « A titre expérimental et pour une durée de trois ans à compter de la publication du décret prévu au quatrième alinéa du présent XIX, le travail d’intérêt général prévu à l’article 131-8 du code pénal peut également être effectué : 1° Au profit d’une personne morale de droit privé remplissant les conditions définies à l’article 1er de la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire et poursuivant un but d’utilité sociale au sens de l’article 2 de la même loi ; 2° Au profit d’une société dont les statuts définissent une mission qui assigne à la société la poursuite d’objectifs sociaux et environnementaux. Les conditions spécifiques d’habilitation de ces personnes morales de droit privé et d’inscription des travaux qu’elles proposent sur la liste des travaux d’intérêt général ainsi que les obligations particulières mises à leur charge dans la mise en œuvre de ces travaux sont précisées par décret en Conseil d’État. Les départements dans lesquels cette mesure peut être prononcée pendant la durée de l’expérimentation, dont le nombre ne peut excéder vingt, sont déterminés par arrêté du ministre de la justice. Six mois au moins avant le terme de l’expérimentation, le Gouvernement adresse au Parlement un rapport procédant à son évaluation. »
Mais, de toute évidence, cette programmation se trouve bien plus exposée dans le rapport annexé … rapport qui, de par la jurisprudence, acquiert de facto une valeur législative. Cependant, subsiste un lourd doute quant à la signification à donner à la première mention du rapport annexé à la loi : « 1. Vers une justice simple, efficace, moderne, proche des gens »…
Et, dans ce rapport, la tendance à l’usage des infinitifs y est, peut-être de façon plus adéquate, aussi appliquée : « 1.2.1. Simplifier la procédure pénale pour faciliter l’action des services enquêteurs et de la justice, tout en veillant au respect des libertés fondamentales » ; « 1.2.2. Harmoniser la procédure civile et la rendre plus accessible pour le justiciable » ; « 1.2.3. Un recentrage de la justice sur ses missions premières : trancher les conflits et protéger les droits et libertés des citoyens » ; « 1.4. Améliorer la qualité et l’efficacité de la justice administrative » ; « 2.1. Promouvoir l’accès au droit » ; « 2.3. Accompagner les victimes » ; « 3.1. Mieux prévenir la radicalisation dans les établissements pénitentiaires » ; « 3.2. Renforcer la prise en charge éducative des jeunes radicalisés et des mineurs de retour de Syrie » ; « 3.3. Améliorer encore l’efficacité de la justice antiterroriste » ; « 3.4. Simplifier et améliorer le parcours procédural des victimes d’actes de terrorisme » ; « 4.1. Renforcer l’efficacité des peines » ; « 4.2. Conforter la sécurité et l’autorité des personnels et mieux reconnaître leurs métiers et leurs missions » ; « 4.3. Donner aux détenus des conditions d’emprisonnement dignes » ; « 4.4. Développer des alternatives à l’incarcération et favoriser le suivi des PPSMJ ».
*
Par ailleurs, ...
. - A la suite d’une liste peu explicite d’articles désormais abrogés, se trouve cette mention : « Au second alinéa de l’article 3 de la loi n° 2010-1192 du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public, les mots : "de citoyenneté mentionné au 8° de l’article 131-16" sont remplacés par les mots : "mentionné au 1° de l’article 131-35-1" ». Le mot citoyenneté étant là effacé, la référence à cet article paraît inadaptée puisque cet article 131-35-1 du Code pénal est, selon le XIV de l’article 71 de la loi, abrogé. Pourtant, le III de ce même article indique : « L’article 131-5-1 du code pénal est ainsi rédigé : "Art. 131-5-1. - Lorsqu’un délit est puni d’une peine d’emprisonnement, la juridiction peut, à la place ou en même temps que l’emprisonnement, prescrire que le condamné devra accomplir, pendant une durée ne pouvant excéder un mois, un stage dont elle précise la nature, les modalités et le contenu eu égard à la nature du délit et aux circonstances dans lesquelles il a été commis. / Sauf décision contraire de la juridiction, le stage, dont le coût ne peut excéder celui des amendes contraventionnelles de la 3e classe, est effectué aux frais du condamné. / Le stage est exécuté dans un délai de six mois à compter de la date à laquelle la condamnation est définitive, sauf impossibilité résultant du comportement ou de la situation du condamné. / Les stages que peut prononcer la juridiction sont : 1° Le stage de citoyenneté, tendant à l’apprentissage des valeurs de la République et des devoirs du citoyen ; 2° Le stage de sensibilisation à la sécurité routière ; 3° Le stage de sensibilisation aux dangers de l’usage de produits stupéfiants ; 4° Le stage de responsabilisation pour la prévention et la lutte contre les violences au sein du couple et sexistes ; 5° Le stage de sensibilisation à la lutte contre l’achat d’actes sexuels ; 6° Le stage de responsabilité parentale ; 7° Le stage de lutte contre le sexisme et de sensibilisation à l’égalité entre les femmes et les hommes. »… Comprenne qui pourra. . . - La numérisation y trouve évidemment place dans la loi comme dans le rapport annexé. L’article 801-1 du code de procédure pénale est ainsi réécrit : « - I. - Tous les actes mentionnés au présent code, qu’il s’agisse d’actes d’enquête ou d’instruction ou de décisions juridictionnelles ou de toute autre pièce de la procédure, peuvent être établis ou convertis sous format numérique. / Le dossier de la procédure peut être intégralement conservé sous format numérique, dans des conditions sécurisées, sans nécessité d’un support papier. / Lorsque ces actes sont établis sous format numérique et que les dispositions du présent code exigent qu’ils soient signés, ils font l’objet, quel qu’en soit le nombre de pages et pour chaque signataire, d’une signature unique sous forme numérique, selon des modalités techniques qui garantissent que l’acte ne peut plus ensuite être modifié. Ces actes n’ont pas à être revêtus d’un sceau. // II. - Ne sont pas applicables au dossier de procédure numérique les dispositions du présent code : 1° Procédant à une distinction entre les actes originaux et leurs copies ; 2° Prévoyant la certification conforme des copies ; 3° Relatives au placement sous scellés, y compris sous scellés fermés, des documents, contenus multimédia ou données dès lors qu’ils sont versés au sein de ce dossier... ».
Dans le rapport annexé, le § 1.2.5. évoque « une transformation numérique de la justice » pour « bâtir, avant 2022, un véritable service public numérique de la justice, qui permette à l’ensemble des usagers de gérer en ligne leurs procédures et leurs démarches, et aux magistrats et agents du ministère de bénéficier d’applicatifs et d’outils de travail adaptés, réduisant les tâches répétitives et de faible valeur ajoutée, un effort inégalé sera engagé, qui portera sur trois axes indissociables. » Les observations du Défenseur des droits quant aux excès de la dématérialisation n’ont donc pas été prises en considération.
Selon le Gouvernement, « la transformation numérique offre l’opportunité unique de rendre notre justice accessible très simplement, à tous, de rendre des décisions plus rapidement, de réduire les distances géographiques, d’introduire de la transparence sur l’avancée des procédures. » L’idée est de développer et de renforcer la sécurisation des réseaux du ministère de la Justice : « les magistrats et agents bénéficieront d’outils répondant aux exigences de leur métier, en matière de téléphonie sécurisée ou d’outils de communication mobiles, en veillant désormais à homogénéiser le parc d’équipements et ses modalités de renouvellement ; les juridictions et services du ministère seront dotés d’outils permettant le développement d’échanges sécurisés (mise en service dès 2018 d’une plateforme d’échange de documents volumineux, dispositif permettant l’envoi de LRAR par voie électronique, consolidation du dispositif de visio-conférence) et facilitant le travail quotidien au profit des magistrats et agents comme des justiciables eux-mêmes (poursuite du déploiement des centres d’appel permanence parquet, outils de prise de rendez-vous en ligne et de signalétique dynamique dans les juridictions…). » L’objectif est la « généralisation de la communication électronique et de la gestion en ligne des procédures et des démarches ». Est prévu ainsi « le déploiement de nouvelles applications, à compter de 2020, en matière civile (projet Portalis) comme en matière pénale (projet Procédure pénale numérique, conduit conjointement avec le ministère de l’intérieur), développées en intégrant les exigences de l’État-plate-forme et d’interopérabilité avec l’ensemble des partenaires du service public de la justice (… pour) une gestion entièrement numérique des procédures, où chacun des acteurs de celle-ci pourra accéder, en fonction de ses droits, à un dossier numérique partagé. » Si un dispositif de soutien aux utilisateurs internes au ministère sera élaboré, « la mise en place d’un véritable service public numérique de la justice devra également s’accompagner d’une assistance aux usagers de ce service public, y compris en veillant à l’accueil, dans le réseau des juridictions et de l’accès au droit, mais aussi en partenariat avec l’ensemble des acteurs mobilisables à cet effet, des usagers les plus éloignés du numérique. » Avec l’État-plate-forme, la désocialisation par le numérique s’annonce indubitablement…
. - Quant aux simplifications linguistiques, elles sont assez problématiques tant elles ouvrent des champs d’interprétations diverses et variées. Par exemple, est-ce standardiser que de signaler : « A l’article 15-2 du Code de procédure pénale, les mots : "des services judiciaires" sont remplacés par les mots : "de la justice" ». L’article 15-2 était jusqu’alors ainsi rédigé : « Les enquêtes administratives relatives au comportement d’un officier ou d’un agent de police judiciaire dans l’exercice d’une mission de police judiciaire associent l’inspection générale des services judiciaires au service d’enquête compétent. Elles peuvent être ordonnées par le ministre de la justice et sont alors dirigées par un magistrat. » Ne doit-on pas plutôt déceler sous cette modification une protection accrue des agents en cause ?
Dans le Code la route, le dernier alinéa actuel de l’article L. 234-4 se défait du cumulatif « et » pour passer à l’alternative « ou » lors du dépistage d’un état alcoolique d’un conducteur ou de son accompagnateur : « Les vérifications destinées à établir la preuve de l’état alcoolique sont faites soit au moyen d’analyses [et/]OU examens médicaux, cliniques [et/]OU biologiques, soit au moyen d’un appareil permettant de déterminer la concentration d’alcool par l’analyse de l’air expiré à la condition que cet appareil soit conforme à un type homologué. » Ce qui facilite évidemment le travail des officiers ou agents de police judiciaire.
*
La philosophie de la loi ne serait-elle pas de renforcer l’efficacité de l’emprise répressive sur la société ?
.
[1] Il suffirait de lire le Canard enchaîné du 20 mars pour se rendre compte que tel n’est pas le cas tant les personnels affectés aux tâches correspondantes sont en diminution constante...
[2] Chap. I : « Renforcer et accompagner la liberté des individus dans le choix de leur formation » ; chap. II : « Libérer et sécuriser les investissements pour les compétences des actifs » ; chap. III : « Transformer l’alternance » ; chap. IV : « Refonder le système de construction et de régulation des diplômes et titres professionnels »… etc.