Le 23 avril 2009, par Geneviève Koubi,
Dans son rapport, en forme d’avis, « Faire connaître les valeurs de la République », remis le 21 avril 2009 au ministre de l’Immigration..., le Haut conseil à l’intégration (HCI) qui avait été invité à « contribuer à la “définition des connaissances nécessaires pour une bonne compréhension des valeurs et symboles” », note d’emblée les contradictions entre les politiques de gestion des flux migratoires et la logique de l’intégration : « Il s’agit … de garder à l’esprit qu’il est demandé explicitement aux migrants des engagements de nature philosophique qui ne sont exigés que de manière implicite aux citoyens français de naissance. C’est pourquoi il est important de distinguer respect et adhésion, le premier étant obligatoire pour s’intégrer et vivre dans la société d’accueil, la seconde résultant d’une longue imprégnation avec les codes de cette société ». De fait, « en exigeant le respect des valeurs et symboles de la République française, il ne s’agit pas de demander au migrant de transformer son identité culturelle mais de connaître et comprendre ce qui fonde le patrimoine civique français puisqu’il a choisi de vivre en France, donc de se soumettre à ses règles et ses codes ».
Rappelant que « le sentiment citoyen d’appartenance à une communauté politique portée par les valeurs de la démocratie républicaine n’est pas réductible à la nationalité », le HCI remarque combien les étrangers et les jeunes Français issus de l’immigration se sentent progressivement exclus de la communauté nationale. Sans doute la prise en considération du ressenti de ces derniers n’entre-t-elle pas directement dans le cadre de l’étude sollicitée par le ministre mais le HCI a estimé nécessaire de se pencher sur “les enjeux de la connaissance, la compréhension et le respect des valeurs et symboles de la République auprès de la jeunesse” [1]. La formation civique constitue le thème central de l’avis. Ceci justifie le sous-titre qui a été donné au rapport : « Faire connaître, comprendre et respecter les valeurs et symboles de la République. Et organiser les modalités d’évaluation de leur connaissance ».
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Comme le remarque le HCI, « l’appréciation de la connaissance et de la compréhension des valeurs de la République est réalisée à différents moments du parcours d’intégration du migrant : - dès la demande de visa familial dans le pays de résidence ; - lors de la formation civique délivrée dans le cadre du CAI ; - lors du renouvellement du premier titre de séjour d’un an ; - lors de la demande de carte de résident ; - lors de la demande de naturalisation. Les valeurs républicaines font particulièrement l’objet d’une transmission par voie de formation, parfois après le test de connaissance dans le pays de résidence, lors de la formation civique obligatoire dans le cadre du contrat d’accueil et d’intégration (CAI) ou lors de la formation “droits et devoirs des parents” ». L’axe principal du rapport est alors la formation des étrangers aux valeurs républicaines.
Ainsi, l’institution du CAI oblige les étrangers à suivre une formation civique qui a « pour but de faire connaître les valeurs et principes de la République ainsi que le fonctionnement de ses institutions » [2]. Il s’agit pour les formateurs de relier valeurs et symboles. Sans doute, « la reconnaissance en soi du symbole ne peut seule constituer une modalité d’attachement affectif. Ce lien ne se crée qu’à l’issue d’un parcours d’apprentissage sur le sens des valeurs et des principes républicains. Ce parcours se fait dans la longue durée pour les personnes nées en France notamment au cours de la scolarisation. Il n’en va pas de même pour les nouveaux immigrants dont le parcours d’intégration s’opère à l’âge adulte et peut conduire à des confrontations, d’ordre rationnel ou émotionnel, avec les valeurs et symboles de la culture d’origine ». Or, « les symboles n’ont pas toujours la même correspondance selon les groupes sociaux ».
Ce sont les remarques relatives aux symboles qui ont été retenues par les organes de presse [3] (2e ●).… alors même que l’objet principal du rapport est l’enseignement du sens de ces symboles et des valeurs républicaines qui y sont associées (1er ●) – de même que l’évaluation de ces formations [4]. La sensibilisation aux sens des valeurs et symboles paraîtrait essentielle pour répondre aux frustrations nées de l’exclusion sociale. Toutefois, une telle formation ne peut aboutir sans considération et respect des personnes… françaises ou étrangères.
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● Selon le HCI, « les valeurs de la République française ont pour fondement la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, reprises dans le préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 » [5]. Mais d’autres principes doivent encore être ajoutés tels, par exemple, la fraternité et la laïcité.
Retenant l’égalité sous sa forme juridique en exposant les principes fondateurs selon lesquels « la loi est la même pour tous et … les distinctions de naissance ou de condition sont abolies », le HCI semble cependant insister sur la notion de “mérite” dont les tenants ne sont pas nécessairement immobilisés. Mais il critique, de manière mesurée, les dérives suscitées par l’appel à la notion de “diversité” : « Certains lobbys demandent aujourd’hui, partant du constat d’une inégalité effective, une rupture de l’égalité républicaine en introduisant une discrimination positive notamment sur des critères ethno-raciaux » [6]. Il approche aussi, sans s’essayer à en saisir ses causes, la question des inégalités socio-économiques : « Autant dire que la notion d’égalité est aujourd’hui menacée dans un contexte économique difficile, impactant l’idée de liberté. Les individus vont-ils retomber dans les “lois de l’hérédité” dont les avaient si justement extirpé la Révolution française et la Déclaration des Droits de l’Homme ? L’idéal d’égalité est plus que jamais à mettre en oeuvre pour faire vivre le pacte républicain » [7].
Au lieu de prendre en considération la liberté comme un droit, le HCI évoque le droit à la liberté où la propriété trouve place ( !). Il en est de même à propos de la sûreté. A propos d’un droit à la sûreté, le dérèglement des fondements historiques est organisé par une transformation insinuante d’un droit “au respect et à la protection des droits” en un droit à la sécurité : « Le droit à la sûreté a comme corollaire le droit à la sécurité qui garantit la protection individuelle des personnes et des biens ». Le HCI glisse alors une recommandation ambiguë quant à la nécessité d’enseigner et de transmettre « ces notions de philosophie politique générale que sont les droits à la sûreté et la sécurité alors que nombre de migrants viennent de pays où la violence est endémique » ( !).
Alors même que dans le cadre des observations relatives à l’égalité en matière de droits sociaux, le HCI rejette la distinction entre Français et étrangers, il semble en détacher tous les systèmes de solidarité ; pour lui, « la fraternité, à la différence des deux autres valeurs énoncées dont découlent des droits, recèle une dimension plus symbolique que pratique. (…) La fraternité est donc une obligation morale qui résulte du long apprentissage civique individuel et d’une intégration citoyenne réussie conduisant à adhérer aux principes démocratiques républicains ». Toutefois, il signale, à juste titre, qu’« elle constitue la clef de voûte de la devise Républicaine » et, dès lors, « suggère que les formateurs développent la notion de fraternité sans la limiter à celle de la solidarité, notamment au travers de la lutte contre le racisme ou de celle contre les discriminations par exemple ».
A propos de la laïcité, l’argumentation du HCI apparaît singulièrement troublée. En un premier temps, le HCI note : « Le principe de laïcité va au-delà de la sécularisation de l’espace public, il induit une profonde relativisation sociopolitique du fait religieux. Il s’agit là d’un bouleversement philosophique auquel aucune religion ne consent ». En une seconde étape, il affirme : « La laïcité est un principe mettant en oeuvre un ensemble de règles organisant la vie publique. Ces règles communes à tous incarnent les principes républicains d’égalité et de liberté en régulant les tensions identitaires et communautaires dans une société démocratique reposant sur le respect du pluralisme. Par la neutralité politico-religieuse de son espace public, la République garantit la libre expression et le principe citoyen qui veut que l’on reconnaisse l’individu pour son mérite et non pour son origine sociale, ethnique ou religieuse ». Remarquant aussi que « ce principe est de plus en plus brocardé au motif qu’il demeure, en France, des discriminations contredisant cet idéal [8] », il rappelle que « le réel ne limite ni la portée ni le combat pour atteindre un idéal fondateur du pacte social ». Cette approche est contredite en final par la recommandation qu’il énonce [9] pour que, « dans la formation civique, soit traitée avec une particulière attention la question de la laïcité ». Le HCI souhaite, en effet, « qu’au-delà de l’histoire de la conquête de ce principe républicain, soit rappelé l’égalité de valeur entre la liberté de conscience et la liberté religieuse d’une part, et la laïcité de l’Etat et des services publics, d’autre part [10]. Il observe en outre que les formateurs doivent mieux distinguer la laïcité de la sécularisation de la société française et notamment son lien avec les droits de l’homme et l’égalité ».
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● Ce que les médias ont particulièrement retenu de ce rapport concerne les symboles de la République. En relèvent : La Marseillaise, la devise [11], le drapeau, le 14 juillet [12], Marianne... Certes, ces symboles ont-ils été parfois quelque peu malmenés par les uns (du côté du pouvoir) comme par les autres (du côté des citoyens). Ce n’est sans doute pas seulement par ignorance de leur sens, ce peut être par le ressentiment que suscite leur déconsidération par les organes institués ; car la méconnaissance de l’histoire qui pourrait faire comprendre la signification comme le rôle de ces symboles dans la construction d’une société démocratique est aussi le fait des personnalités politiques. Pourtant, ces éléments sont aussi des repères pour connaître, comprendre, transmettre et préserver les “valeurs de la République”, valeurs qui ne peuvent en aucune manière se référer à une notion “d’identité nationale” [13].
Les étrangers ne sont pas les seuls à ignorer ces valeurs, mais, indéniablement, ils sont les premiers concernés par les différents textes qui en définissent les programmes d’inculcation plus que d’enseignement [14]. Dans un contexte particulier marqué par le mépris des membres du Gouvernement à l’égard des personnels enseignants de la maternelle à l’université, le HCI voudrait que, « depuis l’arrivée sur le territoire national, à la demande de carte de résident jusqu’à celle de naturalisation, l’obligation leur soit faite de maîtriser ces symboles français ». Mais pour cela, il apparaît nécessaire de redonner sens à la notion d’égalité et de réactiver les propriétés actives de la notion de citoyenneté : « Le sentiment citoyen d’appartenance à une communauté politique portée par les valeurs de la démocratie républicaine n’est pas réductible à la nationalité » ; ainsi, « l’Etat doit se donner les moyens de transmettre et d’évaluer, de façon progressive, la connaissance intime de ces valeurs, qui doivent être respectées et au mieux susciter l’adhésion, au fil du temps » [15].
Lorsque le HCI, dans son rapport, insiste sur la qualité des formateurs, les symboles ne sont pas considérés comme le point crucial de la formation, ce sont les principes tirés de la Déclaration des droits de l’homme qui retiennent l’attention. Les formateurs eux-mêmes « doivent être préparés, être bien imprégnés de nos valeurs et pouvoir les enseigner dans le débat, voire la contestation ». En effet, « jusqu’à présent sur les plateformes qui accueillent les primo-arrivants, le cours reste bien souvent sommaire et théorique, parfois réalisé par des vacataires. Tandis que les locaux sont parfois inappropriés, montrant un visage décrépi de la France, et faisant fi des symboles » [16]. Or, il se trouve que le HCI « appelle le gouvernement à ne pas faire de la connaissance des valeurs de la République un simple outil de gestion des flux migratoires. Et l’invite au contraire à intégrer cette question dans une véritable politique d’intégration et au-delà de promotion du civisme » [17]. Le HCI souhaite donc que la formation à ces valeurs s’adresse à tous les publics…
Puisque dans les faits et les discours, les traits caractéristiques de la République française sont souvent écartés, il serait utile de les matérialiser dans les documents officiels avec l’apposition d’un bandeau ou d’un ruban bleu-blanc-rouge [18], dans les lieux scolaires avec le buste de Marianne [19], sur les bâtiments publics avec les drapeaux hissés [20], etc. Apprendre à chanter juste tous les couplets de La Marseillaise ne serait obligatoire que pour les sportifs lors d’évènements ‘officiels’ [21]…
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Plutôt que verser dans la répression en accentuant les différents faits constitutifs d’un délit d’outrage, le HCI préfère la prévention. Pour sensibiliser les nouveaux arrivants aux valeurs de la République, il apparaîtrait utile d’impliquer les Français dans le même mouvement…
Mais, de nos jours, tout ceci n’est pas sans risques quant au respect des droits et libertés par les pouvoirs publics...
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[1] Objet de la 4ème partie du rapport, p. 58 et suiv. Il est intéressant de noter à ce propos une attention particulière portée à l’école publique comme lieu principal de transmission du civisme, v. p. 60 et suiv. Pour le HCI, « la question se pose alors de savoir si les actes d’incivisme sont le signe d’un rejet de la citoyenneté ou d’une quête de citoyenneté différente ».
[2] NB : Ont été également évoquées, dans la 3ème partie du rapport, les “valeurs européennes”, p. 51 et suiv.
[3] notamment à travers les développements relatifs aux rapports entretenus par la jeunesse à l’égard de ces symboles.
[4] V. la 2ème partie du rapport, p. 38 et suiv.
[5] Un tel rappel ne s’adresse-t-il pas aussi aux organes politiques ?
[6] Ce souci est exprimé plus clairement dans une note de bas de page, (23), p. 61 : « L’usage d’une terminologie ethno-raciale de plus en plus fréquente par les médias – voire certaines personnalités publiques – pour qualifier les citoyens, acteurs de faits sociaux, constitue une inquiétude largement partagée par les membres du Haut Conseil et la majorité des personnes auditionnées dans le cadre de cet avis. »
[7] V. le rapport, p. 24 et suiv.
[8] … même au plus haut niveau de l’Etat.
[9] Toujours à propos des formateurs…
[10] Comment placer sur un même plan ces deux notions ? N’oeuvre-t-on pas là pour un conflit de valeurs ?
[11] Rapp. : « Le Haut Conseil juge important d’expliquer aux nouveaux immigrants, mais également à tous les jeunes Français, le sens des valeurs inscrites dans la devise, les remettre dans la perspective d’un idéal politique de dimension universelle tout en insistant sur ce que les mots de la devise ont représenté pour des générations d’hommes et de femmes qui se battaient pour leurs droits fondamentaux ».
[12] Rapp. : « le Haut Conseil estime que la dimension festive a peut-être trop pris le pas sur la dimension civique de la fête nationale. Le 14 juillet est aussi un moment politique pendant lequel tous les habitants du pays peuvent ressentir leur appartenance à la nation, qu’ils en aient d’ailleurs ou non acquis la nationalité ».
[13] Comment appréhender alors la lettre du Président de la République au ministre de l’Immigration du 31 mars 2009 à ce propos ?
[14] La lecture de la lettre de mission du Président de la République au ministre de l’Immigration du 31 mars 2009 est à ce titre édifiante… V. dans le journal Le Monde du 21 avril 2009, l’article de L. Van Eeckhout, « Nicolas Sarkozy relance le débat sur l’identité nationale ».
[15] Article de C. Gabizon dans le journal Le Figaro du 21 avril 2009, « Le HCI invite à réactiver les valeurs de la République »
[16] C. Gabizon, Le Figaro 21 avril 2009.
[17] L. Van Eeckhout, Le Monde 21 avril 2009 : « La transmission des valeurs, précise-t-il ne concerne pas les seuls nouveaux migrants. Les personnes qui ont sifflé la Marseillaise lors du match France-Tunisie en octobre 2008, n’étaient pas des immigrés mais de jeunes, et moins jeunes, Français ».
[18] Recommandation du HCI : le logotype républicain devrait figurer « sur tous documents et objets émanant des services de l’Etat, mais également des Collectivités territoriales qui sont le plus au contact de la population ».
[19] … ainsi que dans les mairies et préfectures. Au moins faut-il se satisfaire du fait qu’il n’est pas recommandé que la photographie officielle du Président soit partout présentée...
[20] Il est à noter qu’à propos du délit d’outrage au drapeau tricolore, le HCI n’a pas hésité à « relever que, par une décision du 13 mars 2003 (n° 2003-467), le Conseil constitutionnel a considéré “que sont exclus du champ d’application de l’article critiqué les oeuvres de l’esprit, les propos tenus dans un cercle privé, ainsi que les actes accomplis lors de manifestations non organisées par les autorités publiques ou non réglementés par elles” ». NB : Le Conseil constitutionnel précisait encore que « l’expression “manifestations réglementées par les autorités publiques”, éclairée par les travaux parlementaires, doit s’entendre des manifestations publiques à caractère sportif, récréatif ou culturel se déroulant dans des enceintes soumises par les lois et règlements à des règles d’hygiène et de sécurité en raison du nombre de personnes qu’elles accueillent ».
[21] Recommandation du HCI : « qu’à l’occasion des cérémonies officielles, la Marseillaise soit jouée voire chantée ».