Le 14 mars 2014, par Geneviève Koubi,
Pour une fois, à propos des téléprocédures administratives, la formule énoncée par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) est claire : « La mise en œuvre d’une procédure de télédéclaration a pour objectif de simplifier les démarches des demandeurs ainsi que d’alléger la charge de travail des services déconcentrés de l’État chargés d’instruire les demandes » [1].
Certes, l’inversion des enjeux aurait été plus appropriée car la mise en œuvre d’une telle téléprocédure a d’abord pour objectif d’alléger la charge de travail des services déconcentrés de l’État et, seulement par voie de conséquence, de simplifier les démarches des demandeurs à la condition qu’ils disposent de moyens de connexion. En ce sens, l’article 7 de l’arrêté du 28 février 2014 relatif à la mise en place d’une téléprocédure de déclaration des éducateurs sportifs et à la gestion par le ministère chargé des sports du fichier des éducateurs sportifs et établissements d’activités physiques et sportives dispose : « Les éducateurs sportifs conservent la possibilité de procéder à la déclaration de leur activité en remplissant le formulaire non dématérialisé prévu à cet effet ».
Mais, dans cette perspective, il est nécessaire de relever que c’est à l’administré de procéder à son propre fichage... [2]
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Quoiqu’il en soit, cet arrêté offre encore une fois une illustration du lien systématique entre une téléprocédure administrative, un téléservice public, et un traitement automatisé de données à caractère personnel.
L’article 1er de cet arrêté prévoit ainsi que ce traitement automatisé de données à caractère personnel, dénommé "télédéclaration des éducateurs sportifs" a pour « objet est de permettre aux éducateurs sportifs de procéder en ligne et de manière dématérialisée à la déclaration prévue à l’article L. 212-11 du code du sport [3]. / Les informations et pièces jointes communiquées par les éducateurs sportifs font l’objet de vérifications permettant d’assurer le respect des obligations de qualification et d’honorabilité telles que définies aux articles L. 212-1 [4], L. 212-9 [5] et L. 212-13 [6] du code du sport. Ces vérifications sont effectuées, selon les catégories d’informations, par les services déconcentrés compétents ou de manière automatisée. / Les informations et pièces jointes communiquées par les éducateurs sportifs sont intégrées dans le fichier des éducateurs sportifs et établissements d’activités physiques et sportives ... » [7].
Cette télédéclaration permet plusieurs types de vérification par l’administration puisque, - ainsi que l’annonce l’annonce l’article 4 de l’arrêté du 28 février 2014, « le fichier des personnes titulaires d’un diplôme délivré par le ministère chargé de la jeunesse et des sports est interrogé de manière informatisée afin de vérifier que les titres et diplômes professionnels déclarés par l’éducateur sportif répondent à l’obligation de qualification », - ainsi que le précise l’article 3 de l’arrêté du 28 février 2014, « le fichier des encadrants interdits dans le domaine du sport est interrogé de manière informatisée afin de vérifier que le déclarant n’a fait l’objet d’aucune interdiction d’exercer », - ainsi que le prévoit l’article 2 de l’arrêté du 28 février 2014, « le bulletin n° 2 du casier judiciaire du déclarant et le fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles sont interrogés de manière automatisée afin de vérifier que le déclarant n’a fait l’objet d’aucune condamnation » - du moins de celles listées à l’article L. 212-9 du Code du sport.
Il y a donc, par l’effet d’une télédéclaration, un processus spécifique enclenché qui suppose un croisement de données de fichiers différents. Ces vérifications sont effectuées par les services administratifs, et plutôt que simplifier les démarches de l’éducateur sportif, la télédéclaration n’est bel et bien qu’un moyen d’alléger la tâche de ces services...
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La CNIL, en se penchant sur l’interrogation automatisée du fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (FIJAIS) et du casier judiciaire national, dans son avis du 26 septembre 2013, relève que « le premier alinéa de l’article 706-53-11 du code de procédure pénale (CPP) prévoit qu’"aucun rapprochement ni aucune connexion au sens de l’article 30 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés ne peuvent être effectués entre le fichier national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes et tout autre fichier ou recueil de données nominatives détenus par une personne quelconque ou par un service de l’Etat ne dépendant pas du ministère de la justice, à l’exception du fichier des personnes recherchées pour l’exercice des diligences prévues au présent chapitre". »
Elle cite aussi l’article 777-3 du CPP qui mentionne, « qu’"aucune interconnexion au sens du 3° du 1 de l’article 30 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés ne peut être effectuée entre le casier judiciaire national automatisé et tout autre fichier ou traitement de données à caractère personnel détenus par une personne quelconque ou par un service de l’Etat ne dépendant pas du ministère de la justice". »
Toutefois, en dépit de ces références, la CNIL estime que : « - la mise en relation du traitement EAPS avec le FIJAIS n’est pas un rapprochement ou une interconnexion au sens de l’article 30 de la loi du 6 janvier 1978 modifiée, les informations étant obtenues au moyen de requêtes non signifiantes, l’application EAPS n’étant pas enrichie automatiquement par des données issues du FIJAIS et ce dernier, le cas échéant, étant consulté manuellement par un agent habilité ; - la mise en relation du traitement EAPS avec le casier judiciaire n’est pas une interconnexion au sens de l’article 30 de la loi du 6 janvier 1978 modifiée, le traitement EAPS n’étant pas enrichi automatiquement par des données issues du casier judiciaire et les réponses positives étant transmises uniquement par voie postale aux fins de vérification administrative par un agent habilité... La commission estime, dès lors, que le traitement EAPS est conforme aux articles 706-53-11 et 777-3 du code de procédure pénale. »
Ce qui permet de s’interroger sur les terminologies, et la distinction entre interconnexion et mise en relation des traitements et fichiers devrait dès lors être soigneusement retravaillée.
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Par ailleurs, l’article 9 de l’arrêté du 28 février 2014 modifie les dispositions de l’article 2 de l’arrêté du 7 août 1997 pour donner la liste des « catégories d’informations nominatives enregistrées concernant les éducateurs sportifs exerçant contre rémunération une activité d’enseignement dans le domaine des activités physiques et sportives ». Outre les données classiques d’identification et de domiciliation, de qualification et d’expérience, et par delà les précisions quant aux activités exercées ou envisagées, une de ces données peuvent être signalée comme soulevant une question sensible : ● noms et prénoms des parents (pour les personnes nées à l’étranger). Cette précision visant le lieu de naissance ne serait-elle pas le lieu d’une discrimination quant à l’origine - géographique, territoriale, nationale ?
Comme cette donnée n’était pas exposée dans le texte de l’arrêté de 1997 qui faisait référence plus classiquement à la nationalité, il est possible de s’interroger sur la raison de son insertion... [8]
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[1] CNIL, avis n° 2013-274 du 26 septembre 2013 portant avis sur un projet d’arrêté relatif à la mise en œuvre d’un traitement de données à caractère personnel ayant pour finalité la mise à disposition des usagers d’un téléservice de l’administration électronique visant à créer une téléprocédure de déclaration de l’activité d’éducateur sportif.
[2] Ce qui allège plus la charge de travail des services administratifs...
[3] Cet article concerne les "personnes exerçant contre rémunération" une activité d’enseignement, d’animation ou d’encadrement d’activités physiques ou sportives ou d’entrainement que ce soit "à titre d’occupation principale ou secondaire, de façon habituelle, saisonnière ou occasionnelle".
[4] C-a-d, diplôme, titre à finalité professionnelle ou certificat de qualification.
[5] Article qui donne la liste des crimes et délits empêchant l’exercer de ces fonctions à titre rémunéré ou bénévole.
[6] Sur une décision de l’autorité administrative puisqu’elle peut « prononcer à l’encontre de toute personne dont le maintien en activité constituerait un danger pour la santé et la sécurité physique ou morale des pratiquants l’interdiction d’exercer, à titre temporaire ou définitif, tout ou partie des fonctions... ».
[7] Fichier qui a été créé par un arrêté du 7 août 1997 relatif à la gestion par le ministère de la jeunesse et des sports d’un fichier des activités physiques et sportives concernant les éducateurs et les établissements.
[8] Notant que la CNIL n’a pas fait d’observations à ce propos.