Le 16 mai 2008, par Geneviève Koubi,
Relire le décret n° 2008-366 du 17 avril 2008 instituant une prime de restructuration de service et une allocation d’aide à la mobilité du conjoint (de même que le décret du même jour relatif au complément indemnitaire en faveur de certains fonctionnaires de l’Etat à l’occasion d’opérations de restructuration) s’avère nécessaire en ces temps de RGPP.
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En visant tout un ensemble de textes législatifs et réglementaires relatifs aux différentes fonctions publiques de l’Etat [1], le décret n° 2008-366 du 17 avril 2008 instituant une prime de restructuration de service et une allocation d’aide à la mobilité du conjoint annonce, pour les personnels, le resserrement des cadres d’emploi dans les administrations publiques et préfigure les moyens qui pourraient être mis en oeuvre à cette occasion. A travers la « carotte », la prime de restructuration et l’aide à la mobilité du conjoint, ce décret du 17 avril 2008 renvoie à des modalités de déplacement, à des formes de reconversion, des agents publics ; ces modalités et ces formes qui impliquent pour l’agent public une « réorientation professionnelle » [2] lorsque son emploi est supprimé, pourraient être préalables à sa « sortie » du corps ou du cadre d’emploi duquel il relevait…
C’est aussi ce qui apparaît en filigrane dans le projet de loi relatif à la mobilité et aux parcours professionnels dans la fonction publique tant restructuration de service et restructuration des services sont liées [3]. Le décret précèderait-il la loi ?
Déjà, de plus en plus souvent, les avis de « vacances d’emploi » dans les administrations centrales publiés au Journal officiel les inscrivent dans le cadre de la restructuration des services – notamment lorsque les tâches renvoient à la « performance » et visent la « modernisation », responsabilité des outils de gestion et maîtrise des systèmes d’information y étant associées. Au-delà d’une adaptation des missions et des tâches aux techniques d’information et de communication, ce qui est au cœur de la dynamique impulsée autour de ce mot de restructuration, c’est la compression des statuts et des filières, sous le label de « métiers », dans quelques corps ou cadres d’emplois ; c’est donc aussi la simplification de la gestion des carrières professionnelles. Cette perspective ne concerne pas seulement les Armées dans une nouvelle “carte militaire”, elle se déploie dans toutes les sphères d’action publique.
En repensant la restructuration des services sans tenir compte de la nécessaire satisfaction des besoins des citoyens par l’institution de services publics de qualité, le projet de loi relatif à la mobilité et aux parcours professionnels [4], encore de teneur incertaine, aurait bel et bien pour objectif de défaire le lien existant entre service public et fonction publique. Le fait même que l’une de ses dispositions reviendrait à faciliter le recours à l’intérim en dit assez long sur le risque de décomposition des fonctions publiques et de démantèlement des services publics — et, en parallèle, cela reviendrait, d’une certaine manière, à encourager le « licenciement » des agents non titulaires d’abord, des agents titulaires ensuite…
Mais qu’entendre par « restructuration des services » dans les administrations publiques ? Qu’est-ce qu’une « restructuration de service » ?
• Selon la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, « le fonctionnaire est vis-à-vis de l’administration dans une situation statutaire et réglementaire ». Le gouvernement détient donc le pouvoir de modifier les règles statutaires sans que les fonctionnaires excipent d’un droit au maintien de leurs statuts [5]. Ainsi, il peut être procédé à la restructuration des services, à la réduction des effectifs dans chaque corps, à la modification des statuts particuliers des personnels. Cependant, jusqu’alors, aucune opération de restructuration des services ne pouvait être engagée sans étude préalable, ceci constituait presque une des conditions de son agrément. Plusieurs arrêtés portant agrément d’opérations de restructuration des services, notamment des directions régionales et des directions départementales, avaient été ainsi émis afin que les agents concernés puissent solliciter une « indemnité exceptionnelle de mutation ». En toute logique, la restructuration des services administratifs entraîne une restructuration de service pour les agents publics qui y sont affectés [6]. Si ces quelques textes administratifs permettent de se saisir de la nature du lien entre organisation du service et situation de l’agent, aucun ne donne de définition de la « restructuration de ou des service/s ». Si l’une se révèle dans les modes d’organisation administrative, l’autre concerne directement la fonction, les tâches, la mission que remplit l’agent public.
• Le décret du 19 mars 1993 instituant un congé de restructuration au bénéfice de certains agents de l’Etat, en vigueur à ce jour [7] peut cependant offrir des indices — plus que des bases — d’une définition d’un des deux versants de la restructuration, celui qui induit une modification ou une transformation de la place de l’agent dans les services administratifs. Une opération de restructuration suppose l’existence d’un plan qui définit les services ou parties de service concernés (art. 3, D. du 19 mars 1993). Les opérations de restructuration des services et établissements publics de l’Etat comportent un changement d’organisation ou d’implantation géographique rendant nécessaire une reconversion des agents (art. 1er, D. du 19 mars 1993). De ce fait, un « congé de restructuration » peut être attribué à l’agent, notamment pour une adaptation au poste ou une formation en cas de reconversion. Ce congé, que passe sous silence le décret du 17 avril 2008, « a pour objet de donner à ses bénéficiaires la possibilité de préparer l’accès à un autre corps, cadre d’emplois ou emploi de l’une des trois fonctions publiques, ou à une autre profession des secteurs public ou privé » (art. 2, D. du 19 mars 1993). Ce décret de 1993 connaîtrait d’autres lectures si le projet de loi qui doit être discuté devant l’Assemblée nationale en juin 2008, était adopté, son article 44 bis. précise que « le fonctionnaire peut être placé en situation de réorientation professionnelle dès lors que son emploi est susceptible d’être supprimé » dans le « cas d’une restructuration d’une administration de l’État ou de l’un de ses établissements publics administratifs » [8].
• C’est à partir de la lecture de divers rapports administratifs ou d’annexes à des textes législatifs ou réglementaires, qu’il est possible de relever plusieurs thèmes rattachés à la notion de restructuration des services : déconcentration de la gestion ; externalisation de certaines tâches ; modernisation des techniques ; adaptation du maillage territorial des services [9] ; regroupement des services autour de directions (souvent interrégionales ou régionales) ; mutualisation des moyens, des effectifs et des équipements ; mise en commun des fonctions logistiques (notamment pour la passation de marchés publics) ; réorganisation des services suivant la détermination de « zones » spécifiques ou la redéfinition de missions particulières...
Liée à la détermination de nouvelles architectures institutionnelles, élaborée suivant une technique de compression des activités qui détiennent une certaine complémentarité, présentée comme une forme de mutualisation des moyens humains, matériels et financiers, la restructuration des services concerne l’administration, mais elle s’impose à l’agent. Ce dernier doit alors comprendre la notion de “restructuration de service”, qui en est l’une des conséquences, comme étant à la source de mécanismes financiers de compensation plus que de réparation des bouleversements qui affecteraient en conséquence sa carrière professionnelle comme sa vie privée.
L’article 2 du décret du 17 avril 2008 dispose ainsi que « la prime de restructuration de service peut être attribuée aux agents mutés ou déplacés dans le cadre de la restructuration du service dans lequel ils exercent leurs fonctions ». Or, il s’agit plus certainement de déplacement que de mutation. La mutation éventuelle n’est pas là réalisée sur demande autonome et spontanée de l’agent, si elle est opérée « dans l’intérêt du service » ce n’est qu’en vertu des modifications que connaît le service ; elle s’effectue suivant les transformations structurelles d’une administration, transformations qui pourraient être des « délocalisations » — même si la dynamique d’une politique d’aménagement du territoire qui visait à rééquilibrer la répartition des emplois sur le territoire national n’est plus vraiment à l’ordre du jour en dépit des réformes engagées ou envisagées sur les "cartes" (judiciaire, hospitalière, universitaire, préfectorale, etc.). Cet article 2 évoque alors « les contraintes supportées par les agents à raison de la restructuration ». Le terme de contraintes ne s’immobilise pas sur la seule situation de l’agent ; il exprime toute la distance qui sépare la restructuration et le transfert. Une opération de transfert ne modifie pas l’organisation du service, la nature des missions n’est pas transformée. Tel n’est pas le cas lorsque restructuration des services et restructuration de service sont associées. C’est à ce titre que l’article 4 du décret peut envisager qu’« un agent public bénéficiaire de la prime de restructuration peut se voir attribuer une allocation d’aide à la mobilité du conjoint dès lors que son conjoint ou partenaire d’un pacte civil de solidarité est contraint de cesser son activité professionnelle en raison de la mutation ou du déplacement du bénéficiaire… ».
En précisant que les déplacements d’office qui sont de l’ordre des sanctions disciplinaires dont peuvent être passibles les agents publics et que les mutations prononcées par l’administration sur demande des fonctionnaires « n’ouvrent pas droit à la prime de restructuration de service », l’article 6 du décret du 17 avril 2008 confirmerait-il la pente qu’emprunte cette lecture cri-TIC ? Il faudrait cependant rappeler que le Conseil d’Etat a eu l’occasion de préciser que « la possibilité pour un agent, concerné par une opération de restructuration se traduisant par la suppression de son emploi, de faire valoir ses voeux pour sa nouvelle affectation, ne peut être analysée comme une demande de mutation pour convenance personnelle, y compris lorsque la décision prise par l’administration répond au souhait formulé » [10]. Toutefois, à lire la série de textes abrogés donnée à l’article 7 [11]– tout en notant que le décret du 19 mars 1993 instituant un congé de restructuration au bénéfice de certains agents de l’Etat n’en relève pas –, on peut raisonnablement s’interroger sur l’orientation générale commandant ces restructurations.
Ces dispositions, prétendument fondées sur un processus d’adaptation aux conjonctures, reflètent un des changements substantiels quant à la perception des fonctionnaires et agents publics par l’Etat. Le rapport de J.-L. Silicani sur « L’avenir de la fonction publique » en retrace certains indices tendant à dénier au fonctionnaire sa qualité de citoyen et à le situer, d’abord et avant tout, comme un « serviteur de l’Etat » [12]. C’est là une transformation radicale de la situation des agents publics… qui s’avère, de plus, révélatrice d’une régression quant à la conception du service public et quant au respect des droits sociaux ! .
[1] Ord. n° 58-1270 du 22 décembre 1958 modifiée portant loi organique relative au statut de la magistrature ; L. n° 83-634 du 13 juillet 1983 modifiée portant droits et obligations des fonctionnaires ; L. n° 84-16 du 11 janvier 1984 modifiée portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’Etat ; D. n° 86-83 du 17 janvier 1986 modifié relatif aux dispositions générales applicables aux agents non titulaires de l’Etat pris pour l’application de l’article 7 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 modifiée portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’Etat.
[2] Serait en effet ajoutée à la section 1 du chapitre V de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’État, une sous-section 3 ainsi intitulée.
[3] V. par ex. D. n° 2004-374 du 29 avril 2004 relatif aux pouvoirs des préfets, à l’organisation et à l’action des services de l’Etat dans les régions et départements.
[4] Ces deux expressions appartiennent au vocabulaire de la restructuration.
[5] CE, 29 décembre 1995, Synd. des gradés de la police nationale, req. 144113.
[6] V. art. 64 bis du projet de loi relatif à la mobilité et aux parcours professionnels, tel qu’adopté par le Sénat à ce jour : « Lorsque, en cas de restructuration d’une administration de l’État ou de l’un de ses établissements publics administratifs, un fonctionnaire de l’État est conduit, à l’initiative de l’administration, à exercer ses fonctions dans un autre emploi de la fonction publique de l’État, de la fonction publique territoriale ou de la fonction publique hospitalière et qu’il est constaté une différence, selon des modalités définies par décret, entre le plafond indemnitaire applicable à l’emploi d’origine et celui correspondant à l’emploi d’accueil, le fonctionnaire bénéficie à titre personnel du plafond le plus élevé. / L’administration d’accueil lui verse, le cas échéant, une indemnité d’accompagnement à la mobilité dont le montant correspond à la différence entre le montant indemnitaire effectivement perçu dans l’emploi d’origine et le plafond indemnitaire applicable à l’emploi d’accueil ».
[7] JO 23 mars 1993.
[8] Et l’article 44 quater. prévoyant que« la réorientation professionnelle prend fin lorsque le fonctionnaire accède à un nouvel emploi », évoque aussi son achèvement « à l’initiative de l’administration [notamment] lorsque le fonctionnaire a refusé successivement trois emplois publics correspondant à son grade, à son projet personnalisé d’évolution professionnelle et tenant compte de sa situation de famille. Dans ce cas, il peut être placé en disponibilité d’office ou, le cas échéant, admis à la retraite ».
[9] V. par ex., Circ. 7 juillet 2000 relative à la coordination de l’évolution de l’implantation territoriale des services publics ; circ. 16 novembre 2004 relative à la réforme de l’administration départementale de l’Etat.
[10] CE, 25 juillet 2007, Ministre de la Défense, req. n° 288366.
[11] Dont entre autres : D. n° 78-409 du 23 mars 1978 instituant une indemnité spéciale de décentralisation ; D. n° 92-502 du 11 juin 1992 relatif au complément exceptionnel de localisation en province attribué à l’occasion de certains transferts de service ; D. n° 2002-443 du 28 mars 2002 portant attribution d’une indemnité exceptionnelle de mutation ou de déplacement d’office liée aux transferts de compétence entre la police nationale et d’autres services de l’Etat ; D. n° 2002-1119 du 2 septembre 2002 portant attribution d’une indemnité exceptionnelle compensatrice de sujétions liées à la fermeture des établissements pénitentiaires ; D. n° 2005-472 du 16 mai 2005 portant attribution d’une indemnité spéciale de mobilité à certains agents du ministère de l’équipement, des transports, de l’aménagement du territoire, du tourisme et de la mer.
[12] Et, en regard de l’actualité de ce jour, cette inclination à vouloir faire de l’agent public un « serviteur » se révèle aussi dans la recomposition souhaitée du droit de grève, qui est par nature une action collective, en une option individuelle nominative !