Le 20 juillet 2009, par Geneviève Koubi,
Depuis que le développement des technologies de l’information et de la communication a pénétré pleinement les sphères administratives (ministérielles et gouvernementales), la notion de "service public" se décompose progressivement.
La confusion, recherchée par les pouvoirs publics, entre service public et service à la personne connaît à chaque innovation une nouvelle gradation.
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Après la mise en place de quelques services publics en ligne, notamment de renseignements, d’accès au droit et à la justice, après la création d’un "mon.service-public.fr", téléservice qui se présente comme "la version personnalisée du site internet "service-public.fr", le secrétariat d’État au Développement de l’économie numérique met en oeuvre le projet, annoncé en mars 2009, de constitution d’un nouveau portail de services publics sur téléphones mobiles. Sans doute à cette mention faut-il ajouter : "et de services d’intérêt général", toujours sur téléphone mobile [1]. Ce portail est dit "proxima-mobile".
L’internet ne se jouant plus en ’fixe", le qualificatif "mobile" lui donne une autre dimension - qui s’attache au constat de la diversification des terminaux de consultation. Le 16 juillet 2009, un « appel à projets Proxima Mobile » a donc été concrètement lancé [2].
Dans le document de présentation du projet, il est précisé que « la création de ce portail mobile correspondra à un triple objectif politique, économique et technologique : - Politique : offrir une gamme de services sur mobiles utiles à l’ensemble des citoyens, - Économique : élargir le socle de populations utilisatrices de services Internet mobiles, en particulier auprès des catégories les moins connectées. - Technologique : développer un ’écosystème’ favorable à l’innovation dans le domaine des services de proximité sur mobiles » [3].
Ce projet de "portail internet de services publics de proximité sur téléphone mobile" se donne comme première cible les aînés, les seniors, les "troisième âge", les personnes âgées... La liaison entre service public et service de proximité accentue le brouillage entre les notions. D’une part, la fonction du service public ne se définit pas par son rayonnement géographique ; d’autre part, les services de proximité englobent des activités qui ne sont pas toujours exposées comme d’intérêt général (commerces et professions libérales). De plus, un service public ne se résume pas à une prestation, il suppose l’existence d’un régime juridique de ’droit public’, ce que l’appel à projet ne met guère en évidence....
D’abord conçu pour les catégories de publics ’les moins connectées’, ce portail "Proxima mobile" devrait, par la suite, permettre à tous les citoyens d’accéder à des services de proximité sur leurs téléphones portables, mobiles. A terme, est-il alors signifié dans le document de présentation du portail, les services sur mobiles devraient pouvoir « accompagner les citoyens dans l’ensemble de leurs activités quotidiennes ». Cette perspective doit être relevée comme un des points d’appui de la confusion recherchée : les activités quotidiennes des citoyens n’en appellent au service public le plus souvent que ponctuellement ; cette innovation se réaliserait-elle alors au risque de confirmer les suppressions à venir de bien des emplois publics liés aux différentes démarches ’quotidiennes’ qu’auraient à effectuer certaines catégories de population ?
Quels sont alors les services prétendument publics, ici dits ’de proximité’, concernés ? Pour l’heure, ont été signalés entre autres services : ● les services sociaux, notamment tant pour les informations relatives aux questions médicales (allergies) que pour la recherche d’emplois ; ● les services et démarches en ligne (entre téléprocédures et procédures en ligne) ; ● les services d’informations de proximité dont, notamment, la géolocalisation des services publics proches (hôpitaux, bureaux de poste…) ; ● les alertes sanitaires ou environnementales, dont la réception d’alertes météorologiques personnalisées en temps réel ; ● des services publics locaux [4] ; ● les services de la vie étudiante [5] ; ● les services culturels [6] ; etc. Comment concevoir dans ce cadre la ’gratuité’ à laquelle il est fait allusion à propos de ces services, certes, mais ignorant tant le prix de l’abonnement [7] que le coût éventuel des connexions ?
Plus généralement, s’agit-il de limiter les déplacements de ces publics ’non connectés’ ? L’enjeu est-il de remplacer les services d’accueil par des écrans à icônes colorées et animées ? Le but est-il d’atomiser les relations sociales, de les réduire à des connections dépersonnalisées pour un service individualisé ? S’agit-il alors de conforter l’hyperindividualisme régnant plutôt que de remédier aux conduites de mépris et d’indifférence qu’il génère dans les rapports interpersonnels ?
Sans se cacher que « les évolutions des services sur Internet constituent un axe stratégique de développement dont doivent se saisir les entreprises françaises et européennes », l’objectif de ce portail, pensé de services publics et de services aux publics sur mobiles, est « de fédérer des applications et des services d’intérêt général gratuits accessibles depuis les téléphones mobiles connectés à l’Internet » [8]. Les principaux concernés par ce projet sont donc les entreprises, associations, établissements publics, voire les ’équipes de recherches’, puisque ce sont seulement ces structures qui pourront bénéficier des subventions correspondantes [9]. Et, là encore, le procédé de labellisation prend de l’ampleur. Un label Proxima mobile est créé. Il sera délivré aux applications et services mobiles d’intérêt public développés par des entreprises ou des associations. Dès lors, les fournisseurs d’applications et de services pourront « bénéficier d’un outil de communication en direction de publics spécifiques » [10]. Et pour appâter les entreprises, quelle que soit leur contribution aux services en cause, dans le document de présentation du portail établi par le secrétariat d’État au Développement de l’économie numérique, il est signifié que cette dynamique leur permettra d’envisager « recruter de nouveaux clients ’Internet sur mobile’ dans des catégories de populations qui n’étaient pas directement visées jusqu’ici par ces offres » ( !).
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En quelque sorte, 1. les services de proximité ici convoqués ne relèvent pas nécessairement du ’service public’ ; 2. le premier des services publics concernés est celui de l’accès ’rapide’ à internet, quels qu’en soient les canaux ou les circuits.
Pour envisager le développement des services en ligne ou sur mobiles, encore faudrait-il donc 1. que l’ensemble des citoyens, où qu’ils habitent, dispose au moins d’un accès au Haut Débit à un tarif raisonnable ; 2. que les antennes relais soient disposées sans pour cela ignorer les études réalisées sur l’impact des radiofréquences sur la santé et l’environnement. De fait, la fracture numérique n’est pas seulement générationnelle et sociale, elle est aussi territoriale.
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[1] NB : N’est pas là évoquée la question des ondes électromagnétiques...
[2] Pour toute information sur cet appel à projet, v. le site Proxima Mobile.
[3] L’emploi du terme ’écosystème’ donnerait évidemment à réfléchir si était soulevée la question des antennes-relais de téléphonie mobile...
[4] Lesquels ?? Aucune information particulière n’est donnée à ce propos.
[5] Notamment via l’adaptation aux plateformes mobiles des Espaces Numériques de Travail et du Portail des Métiers de l’Internet.
[6] Cela concernera-t-il les bibliothèques ? Les ouvrages qu’elles détiennent devront-ils tous être numérisés ?
[7] Abonnement qui pourrait être imposé...
[8] V. observations sur le blog Adminet.
[9] Ces sommes (au moins de 20 000 €) sont présentées comme des aides à l’innovation et au développement des applications...
[10] Cela concerne d’abord les services dédiés aux personnes âgées ou aux personnes handicapées.