Le 16 décembre 2009, par Geneviève Koubi,
Par une circulaire du 3 décembre 2009, le ministère de l’immigration enregistre la modification de la liste des pays d’origine sûrs réalisée par une délibération du conseil d’administration de l’OFPRA du 13 novembre 2009. Au Journal officiel du même jour, le 3 décembre 2009, une décision du 20 novembre 2009 du conseil d’administration de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides était publiée, faisant état du retrait de la Géorgie de la liste des pays d’origine sûrs établie par les décisions du 30 juin 2005 et du 16 mai 2006 et de l’entrée dans cette catégorie de « pays d’origine sûrs » (art. L. 741-4 2°) CESEDA) de la République d’Arménie, de la République de Serbie et de la République de Turquie.
Un décalage particulier est donc à signaler quant aux dates retenues. La circulaire n° NOR:IMIA0900093C du 3 décembre 2009 a explicitement pour objet la : « Modification de la liste des pays d’origine sûrs par une délibération du conseil d’administration de l’OFPRA du 13 novembre 2009 » ; en cet objet, elle renvoie alors par une mention entre parenthèses au : « (Journal officiel du 3 décembre 2009) ».
Or, il se trouve que la décision en cause est, au dit Journal officiel, datée du 20 novembre 2009 ; certes, la réunion durant laquelle le conseil d’administration de l’OFPRA a délibéré sur la révision de la liste des pays considérés au niveau national comme des pays d’origine sûrs, s’est tenue au 13 novembre 2009 mais cette date ne peut être officiellement située comme étant celle de la décision... à moins de vouloir brouiller les cartes ! Car si, dans la pratique administrative une distinction peut être discernée entre la délibération et la décision, sur le terrain des textes juridiques, cette dissociation est incertaine quant à l’effectivité des normes. Cette question de forme est toutefois sans incidences sur la lecture du texte de la circulaire.
• Cette circulaire du 3 décembre 2009 voudrait présenter les conséquences à tirer de cette délibération du conseil d’administration de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) révisant la liste des pays considérés au niveau national comme des pays d’origine sûrs, en application des dispositions des articles L. 722-1 et L. 741-4-2° du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA).
La circulaire fait état des pays d’origine « surs » au niveau national [1] : « Un pays est considéré comme tel s’il veille au respect des principes de la liberté, de la démocratie et de l’état de droit, ainsi que des droits de l’homme et des libertés fondamentales » [2]. Elle cite quels sont ces pays tiers en vertu de trois décisions du conseil d’administration de l’OFPRA [3] l’une du 30 juin 2005, l’autre du 16 mai 2006, la dernière du 20 novembre 2009. Elle retient aussi les données de l’arrêt du Conseil d’Etat du 13 février 2008 par lequel la décision de l’OFPRA du 16 mai 2006 ne pouvait faire apparaître au titre des pays d’origine sûrs la République d’Albanie et la République du Niger [4].
• La circulaire du 3 décembre 2009 rappelle encore que cette notion de « pays d’origine sûr » relève de la directive 2005/85/CE du 1er décembre 2005 relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres. Cette directive a pour premier palier de considération le souci d’une politique européenne commune dans le domaine de l’asile entendue dans l’objectif de l’Union européenne de « mettre en place progressivement un espace de liberté, de sécurité et de justice ouvert à ceux qui, poussés par les circonstances, recherchent légitimement une protection dans la Communauté ». Faisant référence à la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, cette directive fixe un « cadre minimum pour la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié » en retenant comme critère le “pays d’origine”, lequel serait dit sûr ou non.
Les points 17 à 21 du préambule de la directive 2005/85/CE du 1er décembre 2005 rendent compte de cette problématique : « (17) Un aspect essentiel pour l’appréciation du bien-fondé d’une demande d’asile est la sécurité du demandeur dans son pays d’origine. Lorsqu’un pays tiers peut être considéré comme un pays d’origine sûr, les États membres devraient pouvoir le désigner comme tel et présumer qu’un demandeur donné y est en sécurité, sauf si celui-ci présente des éléments sérieux en sens contraire. / (18) Compte tenu du degré d’harmonisation atteint en ce qui concerne les conditions que doivent remplir les ressortissants de pays tiers et les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié, il conviendrait d’établir des critères communs permettant de désigner des pays tiers comme pays d’origine sûrs. / (19) Lorsque le Conseil s’est assuré que les critères précités sont respectés en ce qui concerne un pays d’origine donné et qu’il a en conséquence inscrit ledit pays sur la liste commune minimale des pays d’origine sûrs qui sera adoptée conformément à la présente directive, les États membres devraient être tenus d’examiner les demandes introduites par des ressortissants dudit pays, ou par des apatrides qui y avaient leur domicile, en se fondant sur la présomption réfutable de la sécurité dudit pays. Au vu de l’importance politique que revêt la désignation des pays d’origine sûrs, et plus particulièrement des incidences d’une évaluation de la situation des droits de l’homme dans un pays d’origine et des conséquences que cela entraîne pour les politiques de l’Union européenne afférentes aux relations extérieures, le Conseil devrait statuer sur l’établissement de la liste ou les modifications à y apporter, après avoir consulté le Parlement européen. / (20) Eu égard à leur statut de candidat à l’adhésion à l’Union européenne et aux progrès qu’elles ont réalisés en vue de cette adhésion, la Bulgarie et la Roumanie devraient être considérées comme des pays d’origine sûrs aux fins de la présente directive jusqu’à la date de leur adhésion. / (21) Le fait qu’un pays tiers soit désigné comme pays d’origine sûr aux fins de la présente directive ne saurait donner aux ressortissants de ce pays une garantie absolue de sécurité [5]. De par sa nature, l’évaluation aboutissant à cette désignation ne peut prendre en compte que la situation générale du pays aux plans civil, juridique et politique, ainsi que la question de savoir si les personnes qui commettent des actes de persécution ou de torture ou infligent des traitements ou des peines inhumains ou dégradants font effectivement l’objet de sanctions lorsqu’elles sont jugées responsables de ces faits dans ce pays. Pour cette raison, il importe que, lorsqu’un demandeur fait valoir des motifs sérieux portant à croire que le pays concerné n’est pas sûr dans son cas particulier, la désignation de ce pays comme pays sûr ne puisse plus être considérée comme étant pertinente à son égard. ». Ce paragraphe traduit une préoccupation quant à la situation du pays considéré et quant à la qualité des sources d’information. Cette démarche imprègne tout le système du traitement des demandes et des bases de données constituées pour cela. Ainsi, à l’article 8. 2 de la directive, il est demandé aux États membres de faire en sorte que « les décisions sur les demandes d’asile soient prises par l’autorité responsable de la détermination à l’issue d’un examen approprié. À cet effet, ils veillent à ce que : /a) les demandes soient examinées et les décisions soient prises individuellement, objectivement et impartialement ; /b) des informations précises et actualisées soient obtenues auprès de différentes sources, telles que le haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), sur la situation générale existant dans les pays d’origine des demandeurs d’asile et, le cas échéant, dans les pays par lesquels les demandeurs d’asile ont transité, et à ce que le personnel chargé d’examiner les demandes et de prendre les décisions ait accès à ces informations ; (…) ».
Les articles de la directive relatifs à cette notion de pays d’origine révèlent les bases d’une politique d’exclusion et d’enfermement que l’Union européenne poursuit et que la France confirme pour elle-même. Cette notion devient « critère » pour signifier infondée une demande d’asile. La « liste commune minimale de pays tiers considérés comme pays d’origine sûrs » (art. 29 de la directive) peut être complétée par la « désignation par un État membre de pays tiers comme pays d’origine sûrs » (art. 30). C’est à l’article 31 de la directive qu’est donnée la définition de ce « concept de pays d’origine sûr » : « 1. Un pays tiers désigné comme pays d’origine sûr conformément soit à l’article 29, soit à l’article 30 ne peut être considéré comme tel pour un demandeur d’asile déterminé, après examen individuel de la demande introduite par cette personne, que si : /a) ce dernier est ressortissant dudit pays, ou /b) si l’intéressé est apatride et s’il s’agit de son ancien pays de résidence habituelle ; /et si le demandeur d’asile n’a pas fait valoir de raisons sérieuses permettant de penser qu’il ne s’agit pas d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle, compte tenu des conditions requises pour prétendre au statut de réfugié en vertu de la directive 2004/83/CE. 2. Les États membres considèrent, conformément au paragraphe 1, que la demande d’asile est infondée lorsque le pays tiers est désigné comme sûr en vertu de l’article 29. 3. Les États membres prévoient dans leur droit national des règles et modalités supplémentaires aux fins de l’application de la notion de pays d’origine sûr ». C’est à cette remarque que se réfère la circulaire du 3 décembre 2009 ; c’est au « principe de la liste nationale évoqué par la directive (et) fixé par l’article 722-1 2ème alinéa du CESEDA [6] » qu’elle renvoie pour entériner les décisions du conseil d’administration de l’OFPRA.
• Des deux catégories de conséquences à tirer de cette décision, c’est celle relative au retrait de la Géorgie qui retient le plus l’attention… tout simplement pour signifier que désormais, les demandes d’asile présentées par les ressortissants géorgiens devant les services de la préfecture « ne devront plus se voir appliquer la procédure prioritaire au motif qu’ils proviennent d’un pays d’origine sûr », tandis que les demandes présentées par les ressortissants arméniens, serbes ou turcs changeront de régime juridique...
[1] Cette notion est-elle désormais une des bases de tout fichier qui enregistrerait certaines données à caractère personnel quant à l’origine géographique des citoyens ? V. par ex. Gk,« Remplacer EDVIGE, éviter EDVIRSP... » à propos des D. n° 2009-1249 du 16 octobre 2009 portant création d’un traitement de données à caractère personnel relatif à la prévention des atteintes à la sécurité publique et D. n° 2009-1250 du 16 octobre 2009 portant création d’un traitement automatisé de données à caractère personnel relatif aux enquêtes administratives liées à la sécurité publique.
[2] Expression tirée de l’article L. 741-4 2° CESEDA à laquelle il est fait systématiquement référence en la matière.
[3] Etant entendu que « ni les dispositions de la directive 2005/85/CE du Conseil du 1er décembre 2005 relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les Etats membres ni les dispositions du décret du 14 août 2004 relatif à l’OFPRA et à la commission des recours des réfugiés n’impos(ent) qu’un vote séparé ait lieu pour chacun des pays » : CE, 13 février 2008, Ass. Forum des réfugiés, req. n° 295443.
[4] Pour le Conseil d’Etat, « il ressort des pièces du dossier que, en dépit des progrès accomplis, la République d’Albanie et la République du Niger ne présentaient pas, à la date de la décision attaquée, eu égard notamment à l’instabilité du contexte politique et social propre à chacun de ces pays, les caractéristiques justifiant leur inscription sur la liste des pays d’origine sûrs au sens du 2° de l’article L. 741-4 de ce code ».
[5] V. art. 27 de la directive sur le « concept de pays tiers sûr ».
[6] Selon cet alinéa : « Le conseil d’administration fixe les orientations générales concernant l’activité de l’office ainsi que, dans les conditions prévues par les dispositions communautaires en cette matière, la liste des pays considérés au niveau national comme des pays d’origine sûrs, mentionnés au 2° de l’article L. 741-4. Il délibère sur les modalités de mise en oeuvre des dispositions relatives à l’octroi du statut de réfugié ou de la protection subsidiaire. »