Le 24 mars 2013, par Geneviève Koubi,
● Dans une décision du 4 mars 2013, assoc. des avocats ELENA France et autres, req. n° 356490, le Conseil d’État a estimé que l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) pouvait effectivement revenir sur certaines décisions précédemment annulées, l’analyse de la situation des États concernés par l’établissement d’une liste de ’pays d’origine sûr’ ne pouvant être définitivement arrêtée. L’évolution de la situation de ces pays en est effectivement un des critères substantiels.
Dès lors, la République d’Arménie n’avait plus à apparaître sur cette liste : « Considérant .... que si le Conseil d’État statuant au contentieux, par décision du 23 juillet 2010, a annulé une précédente décision du 20 novembre 2009 du conseil d’administration de l’OFPRA inscrivant la République d’Arménie sur la liste des pays d’origine sûrs, l’autorité de la chose jugée par cette décision ne faisait pas obstacle à ce que le conseil d’administration délibère à nouveau de l’inscription de ce pays sur cette liste au mois de décembre 2011, au vu de l’évolution de la situation observée depuis 2009 ; qu’à cet égard, il ressort des pièces du dossier que la République d’Arménie, qui est partie à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, dispose d’institutions démocratiques dont le fonctionnement régulier a été progressivement rétabli après les troubles survenus au cours de l’année 2008 ; qu’au cours des années 2010 et 2011 ont été adoptées une amnistie générale ainsi que de nouvelles règles électorales en vue de l’organisation d’élections pluralistes et engagées des réformes du système judiciaire ; que compte tenu des évolutions constatées depuis 2009 dans le sens d’un affermissement du processus démocratique, et en dépit de certaines difficultés persistantes dans le contrôle des pratiques des forces de sécurité, le conseil d’administration de l’OFPRA n’a pas fait une inexacte appréciation de la situation de l’Arménie en l’inscrivant sur la liste des pays d’origine sûrs » (C. 12)
Le Conseil d’État avait ainsi à examiner la décision de l’OFPRA du 6 décembre 2011 par laquelle étaient ajoutés à la liste des pays d’origine sûrs la République d’Arménie, la République populaire du Bangladesh, la République de Moldavie et le Monténégro.
Si, outre l’appréciation des processus démocratiques en Arménie, l’étude de la situation dans la République de Moldavie et au Monténégro confirmerait que ces États soient désormais mentionnés dans la liste des pays d’origine sûrs, justifiant ainsi les procédures d’éloignement de leurs ressortissants installés maintenant ’irrégulièrement’ en France, la question était tout autre pour le Bangladesh.
A ce propos, le Conseil d’État relève dans cette décision du 4 mars 2013, « qu’il ressort des pièces du dossier que, compte tenu des violences auxquelles sont exposés au Bangladesh des opposants politiques ainsi que certaines catégories de la population en raison de leur religion, de leur origine ou de leurs opinions, sans garantie de pouvoir disposer d’une protection suffisante de la part des autorités publiques, ainsi que des violations des droits des minorités et des personnes déplacées dans certaines régions, la République populaire du Bangladesh ne pouvait être regardée, à la date de la décision attaquée, comme présentant les caractéristiques permettant son inscription sur la liste des pays d’origine sûrs au sens du 2° de l’article L. 741-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile » (C. 14). Pour cette fois, le Conseil d’État fait directement référence à une notion que le système de droit français n’intègre pas : les droits de minorités. Faudrait-il y déceler un indice quant à une transformation de la perception des droits de ’groupe’ ? La question reste là en suspends. Le "principe de l’unicité du peuple..." limite la perspective en droit français mais il ne serait pas opposé pour d’autres pays, en d’autres États ce, même s’ils excipent d’une ’unité’ actée constitutionnellement. Or la République du Bangladesh se présente, en sa loi fondamentale, comme une "république unitaire parlementaire" ; elle fait état de "l’unité et (de) la solidarité de la nation bengalie" et institue l’islam comme "religion d’État". Certes, plusieurs communautés dites ’minoritaires’ sont implantées au Bangladesh (Chakma, Mogh, Santal, Biharis etc.). Néanmoins, l’argument ainsi exposé dans la décision du Conseil d’État du 4 mars 2013 risque de revêtir quelques résonances par la suite...
Quoiqu’il en soit, des différents motifs relevés, le Conseil d’État conclut à l’annulation de la décision "en tant qu’elle inscrit la République populaire du Bangladesh sur la liste des pays d’origine sûrs" [1].
● Prenant acte de cette décision, le ministère de l’intérieur a émis une circulaire à l’attention des préfets ; il s’agit de la circulaire INTV1306669C du 12 mars 2013 qui est ainsi relative aux conséquences à tirer de la décision du Conseil d’État du 4 mars 2013 annulant l’inscription du Bangladesh sur la liste des pays d’origine sûrs.
Cette circulaire a pour objet de signaler que devaient être considérées comme ’annulées’ (sic) les dispositions concernant le Bangladesh issues de la circulaire IOCL1114302C du 9 décembre 2011 - dans la mesure où cette dernière rendait justement compte de la décision de l’OFPRA du 6 décembre 2011 révisant la liste des pays d’origine sûrs et demandait aux préfets d’en tirer toutes les conséquences -.
Une certaine promptitude est à retenir en la matière de la part du ministère de l’intérieur. Dès l’annulation partielle de la décision de l’OFPRA du 6 décembre 2011 par le Conseil d’État, la circulaire en date du 12 mars 2013, - mise en ligne sur le site des circulaires le 20 mars 2013 -, indique aux préfets les procédures à appliquer pour que la situation des ressortissants bangladais qui ont formulé une demande d’asile ou se trouvent sous le coup d’une procédure d’expulsion soit reconsidérée.
Cette célérité ne revêt de qualité qu’en tant qu’elle permet de rétablir la liste des ’pays d’origine sûrs’. Elle en dénombre désormais 16 ... alors que dans la circulaire du 9 décembre 2011 citée en référence, il y en avait 20.
...
[1] V. par ailleurs, sur Droit cri-TIC, Gk : La liste "officielle" des pays d’origine sûrs (29 août 2010) ; Pays "sûrs"... pas si sûrs pour le Conseil d’Etat (26 juillet 2010) ; A propos des "pays d’origine sûrs" de l’OFPRA… (16 décembre 2009).