Le 5 janvier 2009, par Geneviève Koubi,
La circulaire n° 2008-174 du 18 décembre 2008 relative au décrochage scolaire et se voulant de mise en œuvre des décisions du Comité interministériel des villes du 20 juin 2008, a été adressée aux préfets et aux recteurs d’académie [1].
Connaître « avec précision l’importance du décrochage scolaire » et en mesurer l’évolution permettraient-ils de « construire des réponses à mettre en oeuvre en les adaptant aux spécificités des territoires désignés » ? Accompagnée du refrain de l’égalité des chances, cette circulaire du 18 décembre 2008 s’inscrit dans la dynamique du plan « Espoir Banlieues » afin de sensibiliser l’ensemble des services de l’État, des collectivités territoriales et du secteur associatif aux situations de décrochage scolaire... Mais, en fait, il s’agit surtout d’inciter tous les acteurs de la vie publique de partir à la recherche des décrocheurs [2].
La circulaire n° 2008-174 du 18 décembre 2008 établit le cadre d’une action de "diagnostic" et le traitement correspondant, sur deux espaces, l’un territorial, l’autre social.
« Les territoires concernés sont, géographiquement, les 215 quartiers prioritaires définis par le C.I.V. (Comité interministériel des villes) ». La liste en est donnée à l’annexe 1 de la circulaire [3]. La circulaire précise encore que l’action peut, évidemment, être étendue à d’autres « quartiers dont les caractéristiques seraient proches des problématiques recherchées ». Les publics concernés sont les jeunes en voie de déscolarisation.
Les termes utilisés sont singulièrement abrupts dans un domaine où l’enjeu éducatif est substantiel. Quelques extraits de la circulaire rendent compte de la problématique adoptée, au risque de faire accroire que tous les jeunes collégiens et lycéens livrés, à un moment ou un autre de leur cursus scolaire et pour des raisons diversifiées, à cette signalisation, seraient en germe de futurs cas sociaux !
« Si les collégiens et les lycéens scolarisés dans les établissements situés dans ces quartiers constituent la cible privilégiée de ce dispositif, ceux qui y habitent sans y être scolarisés, pourront, dès l’instant où ils feraient l’objet d’un signalement au niveau départemental, être éligibles au dispositif. Le premier profil retenu est celui des élèves décrocheurs au sens strict, soit ceux qui ne se présentent plus dans leur établissement sans que leur situation puisse être justifiée ou ceux qui, bien que connus de l’institution ou de ses partenaires, sont en rupture durable de scolarisation ». Sont aussi concerné par ce "champ d’intervention", les risques de décrochage courus « par les élèves qui expriment un important absentéisme susceptible de nuire à leur réussite scolaire » [4]. Si l’attention doit être surtout portée « sur les passages de la classe de 3ème à celle de seconde, notamment professionnelle », certains éléments quant aux « décisions d’exclusions temporaires et définitives prises par les établissements des territoires » délimités comme prioritaires devront être intégrés dans ce que la circulaire désigne comme un diagnostic partagé.
Car « le diagnostic (...) constitue le point de départ du dispositif ». L’annexe 2 de la circulaire comporte un synopsis destiné à l’élaboration du diagnostic partagé, étant précisé que ce diagnostic devra être transmis par voie électronique au Directeur général de l’enseignement scolaire et au Délégué interministériel à la ville avant le 30 janvier 2009. La mesure du phénomène de décrochage durant l’année scolaire 2007-2008 permettrait l’exploration de nouvelles initiatives ou bien de nouvelles précisions destinées à conforter ou faire évoluer les actions déjà engagées. Sont des mesures retenues les enquêtes de rentrée, les suivis d’absentéisme, les affectations de fin de 3ème, les exclusions, les signalements exercés auprès des services académiques [5].
Ce système a pour objectif d’identifier les élèves décrocheurs. Participe à cette mission d’identification des trublions potentiels, l’ensemble des services de l’État intervenant sur le territoire : ils doivent tous apporter leur concours à ce diagnostic « au même titre que les collectivités territoriales et les associations locales spécialisées sur ces questions ». L’élaboration de réponses adaptées au contexte local se réalisera à partir des « éléments d’analyse apportés par ce diagnostic ». Commencera alors « la lutte contre le décrochage à l’échelle locale ». Cette lutte répond à des modules précis autour du repérage quotidien des situations individuelles comme autour des modalités de prévention du phénomène à l’échelle du quartier. La prévention de l’absentéisme et la lutte contre le décrochage sont dits prioritaires dans ces quartiers balisés par les techniques d’administration de la différenciation sociale.
Comme dans bien d’autres domaines, sera désigné "un pilote" [6]. Ce pilote devra ainsi, à l’aide d’une "lettre de mission" préalable, « définir les objectifs locaux, de préciser les modalités et les critères d’évaluation, de mobiliser les acteurs et les moyens au bénéfice du repérage et surtout l’accompagnement des élèves. Il cherchera aussi à raccourcir les délais de transmission entre les responsables, à rassembler les ressources disponibles quelles soient humaines, matérielles ou financières afin d’apporter aux situations repérées des réponses adaptées et durables » [7]. Et la litanie des mots creux de l’impuissance publique recommence : tutorat, parrainage social, adulte référent, accompagnement, aide à la parentalité... En fait, « la lutte contre le décrochage doit nécessairement favoriser l’émergence d’un nouveau mode de coopération avec les parents ».
Dans la culture du résultat développée par l’usage des calculs les plus basiques de l’ordre du discours politique, les tableaux [8] jouent surtout sur les nombres, le quantitatif l’emportant largement sur le qualitatif, et les chiffres interfèrent : « nous vous demandons de réduire le nombre de décrocheurs des 215 quartiers prioritaires de 10 % et, à l’inverse, d’augmenter dans les mêmes proportions le volume de ceux qui auront reçu une solution d’orientation positive, pour chaque année du plan triennal du ministère de l’Éducation nationale ». D’ici la mi-juillet 2009, un rapport comportant « des résultats chiffrés en comparaison de l’objectif formé lors du diagnostic » sera rendu ; il devra aussi présenter« la situation des territoires, des initiatives d’ores et déjà engagées et celles qui seront lancées à la rentrée scolaire suivante ».
Les circulaires de la rentrée 2009-2010 sont d’ores et déjà en cours d’élaboration.
.
[1] Publiée au BOEN du 1er janvier 2009.
[2] V. entre autres, cependant, Les Cahiers pédagogiques, n° 444, 2006, “Décrocheurs... comment raccrocher”.
[3] Annexe 1 : liste des établissements.
[4] Seuls les bons élèves, sages et soumis, feront les bons citoyens ! Pourtant, certains de ceux qui aujourd’hui étalent leur réussite sociale, se vantent encore de leur ébats hors les murs des lycées et de leur état de cancre...
[5] Et bien évidemment,« le recours aux bases informatiques de gestion, lorsqu’il est possible, est souhaitable ».
[6] Le pilotage est un terme qui devient un des maîtres-mots des discours évaluateurs et calculateurs de l’immobilisme social et de la reconstruction technocratique de l’autorité.
[7] Notant que pour « assurer la pérennité du dispositif local de prévention du décrochage et d’accompagnement des jeunes décrocheurs », doit être élaborée « une convention de partenariat précisant les conditions de partage et d’échange des informations » afin de « conforter les pratiques et assurer une qualité professionnelle des interventions ».
[8] Annexe 3 : tableau indicatif.