Le 27 juillet 2009
Sous ce titre, Principes et enjeux du développement du portail Proxima mobile, M. Bernard Benhamou, Délégué aux Usages de l’Internet (Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche - Secrétariat d’État au développement de l’économie numérique) propose , en guise de « droit de réponse » à une présentation critique précédente dudit portail sur Droit cri-TIC, une ouverture au débat que Droit cri-TIC relaie sans aucune hésitation...
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L’Internet est actuellement utilisé dans le monde par plus d’un milliard et demi de personnes, et un autre milliard devrait les rejoindre dans les cinq années à venir. Pour beaucoup ces nouveaux utilisateurs seront issus des 4 milliards d’utilisateurs de téléphones mobiles et ils connaîtront un réseau et des usages très différents d’aujourd’hui [1]. Ainsi, au-delà de la diversification des terminaux de consultation, ce sont les changements dans la nature des services qui pourront être mis à disposition des citoyens qui sont à l’origine de la création du portail Proxima mobile par la Délégation aux Usages de l’Internet. Ce portail a pour objectif de fédérer à la fois des services publics issus des administrations ou des collectivités territoriales et des services « aux publics » issus des entreprises et des acteurs associatifs.
En développant le projet Proxima Mobile, il s’agit aussi de permettre aux acteurs publics de s’adapter aux évolutions industrielles et technologiques et d’acquérir les savoir-faire indispensables pour accomplir leurs missions auprès des citoyens. Ces savoir faire sont d’autant plus importants qu’ils conditionneront pour une large part la perception sociale des services publics et qu’ils permettront aux acteurs publics de préserver les valeurs et principes auxquels ils sont attachés. Ainsi, comme le faisait remarquer Jean-Noël Jeanneney, alors président de la BNF, face à des technologies en constante évolution, ce sont les choix liés à l’architecture technologique des projets des services publics (en particulier dans le domaine culturel) qui assureront à la fois leur validité et leur pérennité [2].
Il ne s’agit pas de dupliquer sur les mobiles des services existants mais bien de créer des services nouveaux qui prendront en compte l’environnement et le contexte dans lesquels les citoyens seront amenés à les utiliser. En effet, à l’inverse des ordinateurs qui imposent pour leur consultation une posture d’« isolement », les services sur téléphones mobiles permettent d’accompagner les citoyens dans leurs activités quotidiennes en intégrant le contexte d’usage (modalité de transports, proximité avec un établissement culturel ou une administration).
Certains de ces services pourront être réalisés pour partie sur un ordinateur (comme pour les démarches de recherche d’emploi) et dans un second temps les informations relatives aux offres disponibles pourront être diffusées directement sur le téléphone mobile. D’autres services seront spécifiquement conçus pour les consommateurs et ils permettront d’obtenir sur les mobiles des informations relatives aux produits de grande consommation (empreinte carbone, conditions de recyclage, contre-indication pour les médicaments etc.).
Pour être en mesure de répondre aux besoins des citoyens, ces services devront aussi être élaborés conjointement avec eux. Il ne s’agit plus seulement de recueillir des avis mais bien d’aider les citoyens à devenir les architectes des services qu’ils utiliseront. La plupart des nouveaux services qui seront créés le seront pour (et le plus souvent par) les citoyens. Ce sera le cas des services qui permettront de mieux prendre en compte les demandes des citoyens en matière d’aménagement du territoire, de préservation du patrimoine culturel ou environnemental. Ces outils cartographiques qui étaient il y a peu réservés aux spécialistes peuvent en effet devenir sur les mobiles des outils publics et participatifs [3].
L’un des objectifs du projet Proxima Mobile est aussi de rendre plus accessibles les données publiques afin de créer des services utiles à l’ensemble des citoyens. Cette préoccupation de transparence des données relatives à l’action du gouvernement a été à l’origine de la création par le gouvernement fédéral américain du site Data.gov. Cependant il est à noter que pour l’essentiel, les services créés sur les mobiles par les agences fédérales américaines sont payants.
Pour que ces informations soient largement disponibles auprès des citoyens, les applications et les services du portail Proxima Mobile devront être gratuits. C’est la raison pour laquelle le texte de l’appel à Projets et le règlement de la Marque Proxima Mobile précisent que les services qui seront "labellisés" devront être gratuits pour les utilisateurs. Plus encore, ces services ne pourront pas intégrer de volets publicitaires. Ce double impératif correspond tout d’abord à un choix politique pour garantir un accès ouvert à l’ensemble des services mis à disposition des citoyens mais il correspond aussi à un choix ergonomique. En effet, les bannières publicitaires limitent considérablement la navigation sur l’écran des mobiles. Or c’est précisément parce qu’ils permettent un accès plus ergonomique aux informations que ces services constitueront une avancée pour les citoyens.
Comme on l’observe déjà sur les sites Internet, l’absence de maîtrise des outils informationnels peut aussi constituer un obstacle à l’accès aux ressources mises en ligne. Dans ce domaine, l’accès à des services plus simples à maîtriser sur les mobiles pourrait constituer une aide importante pour les seniors et pour les publics les moins « technophiles ». C’est aussi la raison pour laquelle un accent particulier a été donné au développement des services pour les seniors ainsi que des services pour les foyers défavorisés. L’ergonomie et l’accessibilité des services sur Internet loin de n’être qu’un « plus » technologique relève désormais d’un impératif démocratique pour la puissance publique. Ainsi les trois critères essentiels pour la création de nouveaux services du portail ainsi que la « labellisation » de services existants seront l’ergonomie, l’interopérabilité et la pérennité (des services et des données).
Si l’on estime en France à 15 % la proportion des utilisateurs de téléphones mobiles connectés à l’Internet, les évolutions des accès mobiles (et en particulier la diminution des coûts des terminaux et des abonnements) devraient bientôt permettre à l’ensemble de la population, et plus seulement aux foyers aisés, de bénéficier de ces innovations. Un volet important du projet Proxima Mobile correspond aux négociations avec les opérateurs mobiles afin de permettre de créer des tarifs spécifiques pour les publics défavorisés en matière d’accès à l’Internet mobile (comme il en existe déjà pour les communications vocales et les SMS). En ce sens, le développement de l’Internet sur les mobiles peut aussi constituer une réponse à certaines formes de la fracture numérique. Comme le démontrent les études sur les usages de l’Internet mobile parues ces derniers mois en Grande Bretagne [4] ainsi qu’aux États-Unis, le mobile est devenu pour les foyers défavorisés une alternative crédible à l’usage d’un ordinateur traditionnel. C’est en particulier le cas pour le suivi des finances personnelles (ou celui des transactions ou des crédits) sur le téléphone mobile. Il est d’ailleurs à noter que ces usages se sont développés d’abord dans les pays émergents [5].
L’engagement de l’État dans le domaine des services sur mobiles correspond aussi à la nécessité pour la France et plus largement pour l’Europe d’occuper une place déterminante dans ce secteur. En effet, l’Internet est aussi à un moment crucial de son évolution en particulier avec la montée en puissance de ce que l’on nomme désormais « l’Internet mobile ». Si l’Europe dispose d’acteurs de taille internationale dans le domaine des infrastructures de l’Internet, il n’en est pas de même pour les services sur Internet. Or ces services, qu’il s’agisse des moteurs de recherche, des réseaux sociaux et désormais des services sur mobiles, occupent désormais une place centrale tant d’un point de vue économique que culturel ou politique. L’évolution vers Internet mobile pourrait être pour l’Europe l’occasion de modifier le « centre de gravité » de l’économie de l’Internet. L’Europe dispose en effet d’atouts décisifs pour devenir l’une des régions clés des technologies et surtout des services de l’Internet du futur. L’Europe possède pour cela l’un des plus importants marchés unifiés des communications mobiles avec plus de 100 millions d’abonnés à la téléphonie mobile à haut débit (3G) et plus de 550 millions d’abonnements traditionnels. L’Europe possède aussi un patrimoine culturel, géographique et touristique unique au monde. À mesure que se développeront de nouveaux services géolocalisés, ces richesses combinées deviendront les moteurs du développement des services liés à l’Internet.
La puissance publique qui reste de très loin le premier prescripteur dans le domaine des technologies pourrait jouer le rôle de catalyseur pour les innovations dans ce secteur. C’est dans ce contexte que l’appel à projet Proxima Mobile a été lancé, il s’inscrit aussi dans le Plan de Relance. Il aura pour objectif d’aider à créer des emplois à la fois dans les secteurs des technologies et des services (dans des secteurs aussi divers que la protection des ressources naturelles, la maîtrise de l’énergie, le tourisme ou la culture).
La montée en puissance de l’Internet mobile s’accompagne aussi de risques nouveaux liés à la dissémination des données personnelles. La maîtrise et la sensibilisation aux risques liés au développement des technologies sont au cœur du travail lié au projet Proxima Mobile et plus largement des missions de la Délégation aux Usages de l’Internet. Ainsi, des services spécifiquement conçus pour les parents seront élaborés pour les informer sur les risques liés à l’usage des mobiles auprès des plus jeunes (qu’il s’agisse des risques portant sur les libertés individuelles ou des risques sanitaires liés à l’usage des téléphones mobiles).
Les services qui seront créés par la puissance publique ainsi que par les acteurs privés au sein du portail Proxima Mobile devront répondre à des règles strictes en matière de gestion des données personnelles. Le « label » Proxima Mobile sera attribué à des services dont les pratiques dans ces domaines auront été validées et il constituera un élément de confiance pour les citoyens et une incitation pour l’ensemble des acteurs des services sur mobiles à adopter une exigence équivalente pour le développement de leurs nouveaux services [6].
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[1] Cf. « Défis technologiques, économiques et politiques de l’Internet des Objets » par B. Benhamou Revue Esprit Mars-Avril 2009, (Internet des objets, défis….
[2] Cf. « Quand Google défie l’Europe » Jean-Noël Jeanneney, éditions Mille et une nuits (avril 2005).
[3] cf. “Usages de l’information géographique dans la gestion participative du territoire : Regards croisés en France, en Belgique et au Québec“ thèse de doctorat soutenue le 05/12/08 par Carine Péribois (v. résumé ).
[4] Voir sur ce point « iPhone sales hottest among low-income consumers » par Iain ThomsonVnunet.com, 31 octobre 2008).
[5] Voir l’article paru dans The Economist le 4 septembre 2008 : The meek shall inherit the web.
[6] Le présent document, reçu en word, est ici consultable en pdf.