Le 29 avril 2010, par Geneviève Koubi,
Dans une décision du 16 avril 2010, M. Pierre A, n° 279817, le Conseil d’État a estimé qu’une instruction, émise répétitivement depuis 1996 par le ministre de l’agriculture et de la pêche, qui ne figure pas sur le site Internet relevant du Premier ministre créé en application de l’article 1er du décret du 8 décembre 2008 (’circulaires.gouv.fr) « doit, conformément à l’article 2 du même décret, être regardée comme abrogée à compter du 1er mai 2009 ».
La requête concernait la décision implicite par laquelle le ministre de l’agriculture et de la pêche avait refusé d’abroger les consignes, données dès 1996, relatives à la procédure d’information du public concernant les disséminations de plantes génétiquement modifiées ainsi que (et surtout) la décision implicite du ministre « de ne plus transmettre les informations relatives à la localisation des disséminations aux autorités communales concernées », renouvelée chaque année depuis 2000, faisant en sorte que le requérant devait à chaque fois s’adresser au services centraux pour obtenir les précisions correspondantes.
.
Le Conseil d’Etat, conduit à rechercher ladite instruction afin de procéder à son examen, et ne la trouvant pas, note en premier lieu la mauvaise foi du ministre. Il remarque ainsi que « de 1996 à 2005, le ministre chargé de l’agriculture a adopté une instruction, dont l’existence, déniée par le ministre après qu’il a soutenu l’avoir retirée, est suffisamment révélée par des courriers de préfets la mettant en application » ; à ce propos, il souligne que « le ministre ne saurait sérieusement soutenir qu’ils (les préfets) auraient agi de leur propre chef et non en conformité avec cette instruction, invitant les maires des communes concernées par la dissémination d’organismes génétiquement modifiés, à ne pas communiquer les données relatives à ces expérimentations aux personnes qui en feraient la demande ».
S’interrogeant sur la validité de l’instruction limitant la communication des informations sur la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés (OGM), le Conseil d’Etat rappelle que « l’autorité compétente, saisie d’une demande tendant à l’abrogation d’un règlement illégal, est tenue d’y déférer, soit que ce règlement ait été illégal dès la date de sa signature, soit que l’illégalité résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures à cette date ». Remarquant que l’autorité qui a pris le règlement litigieux a procédé à son abrogation expresse ou implicite, il souligne si « cette même autorité reprend, dans un nouveau règlement, les dispositions qu’elle abroge, sans les modifier ou en ne leur apportant que des modifications de pure forme », la requête à l’encontre des mentions spécifiées de l’instruction, objet du litige, est toujours recevable.
En l’espèce, une « instruction du 5 décembre 2005 a presque entièrement abrogé les dispositions critiquées pour les remplacer par des dispositions entièrement nouvelles », mais cette instruction« laisse en vigueur les dispositions relatives à l’interdiction de divulgation de la localisation des disséminations volontaires d’organismes génétiquement modifiés ».
.
Toutefois, en tant que les consignes relatives à la non-diffusion des informations sur la localisation des OGM relèvent d’un texte administratif qui n’obéissait pas alors de modalités de publication particulières, le Conseil d’Etat se penche sur les dispositions du décret (modifié) n° 2008-1281 du 8 décembre 2008 relatif aux conditions de publication des instructions et circulaires. Il rappelle ainsi les données de l’article 1er de ce décret du 8 décembre 2008 : « Les circulaires et instructions adressées par les ministres aux services et établissements de l’Etat sont tenues à la disposition du public sur un site internet relevant du Premier ministre. / (...) Une circulaire ou une instruction qui ne figure pas sur le site mentionné au précédent alinéa n’est pas applicable. Les services ne peuvent en aucun cas s’en prévaloir à l’égard des administrés. / Cette publicité se fait sans préjudice des autres formes de publication éventuellement applicables à ces actes ». Puis, il relève les termes de l’article 2 du même décret : « L’article 1er prend effet à compter du 1er mai 2009. / Les circulaires et instructions déjà signées sont réputées abrogées si elles ne sont pas reprises sur le site mentionné à l’article 1er. / Les dispositions du précédent alinéa ne s’appliquent pas aux circulaires et instructions publiées avant le 1er mai 2009 dont la loi permet à un administré de se prévaloir ».
Ainsi, sans avoir à faire de distinction entre les circulaires et instructions qu’une administration pourrait vouloir maintenir dans l’intérêt du service et celles qu’un administré pourrait invoquer à son avantage, le Conseil d’Etat, après l’avoir cherchée — ce qui n’est guère facilité par la méthode de numérisation appliquée pour ce site ’circulaires.gouv.fr’ —, constate que« l’instruction contestée restreignant la communication des données relatives à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés ne figure pas sur le site Internet relevant du Premier ministre créé en application de l’article 1er du décret du 8 décembre 2008 ». En conséquence, tenant compte des formulations de l’article 2 de ce décret, il estime que « cette instruction doit ... être regardée comme abrogée à compter du 1er mai 2009 ».
Une certaine confusion ressort de cette analyse. D’une part, l’instruction adressée aux préfets prendrait peu à peu une autre couleur, celle d’un règlement. En effet, selon le Conseil d’Etat puisqu’il semblerait que le ministre n’aurait pas repris, « dans un nouveau règlement, les dispositions abrogées, sans les modifier ou en ne leur apportant que des modifications de pure forme », il n’y aurait pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête tendant à l’annulation du refus du ministre d’abroger les dispositions de l’instruction qui ne l’avaient pas été le 5 décembre 2005. D’autre part, aucune distinction n’est opérée entre les circulaires administratives intéressant directement les administrés et les instructions adressées aux préfets, tout en relevant que ces dernières sont nombreuses à ne pas faire l’objet de publication sur le site du Premier ministre créé par le décret du 8 décembre 2008. Les modalités de la connaissance de ces textes administratifs sont de plus brouillées par le fait que les circulaires préfectorales qui procèdent à l’application des instructions reçues, ne sont pas concernées par l’obligation de diffusion. Les premières remarques du Conseil d’Etat en cet arrêt du 16 avril 2010, M. Pierre A, n° 279817, en donnent une illustration.
.
Nombreuses sont les circulaires administratives auxquelles les ministres se réfèrent toujours et encore et qui ne sont pas référencées sur le site ’circulaires.gouv.fr’, encore que la recherche de ces textes sur ce site n’est pas des plus aisées...
Certaines de ces circulaires sont publiées au Journal officiel ou dans les bulletins officiels (BO) des ministères. Si l’on peut admettre que la publication au JO suffit pour accorder à une circulaire sa validité administrative, comment penser que, par delà les BO, le site ’circulaires.gouv.fr’ disposerait seul du moyen de leur donner ’force et portée’ en sus de leur visibilité (incertaine) ? Ces circulaires publiées aux BO seraient-elles pour autant abrogées parce qu’elles n’auraient pas été reportées sur ce site ? Doit-on penser qu’il y existerait une validation implicite du fait des renvois qui pourraient être fait dans une circulaire qui y serait indexée, à une circulaire antécédente ? La liste des questions afférentes à ce domaine de la diffusion, de la communication, de la publication des circulaires, notes de service et instructions s’allongerait encore s’il fallait y intégrer celles relatives à la notion de« circulaires et instructions publiées avant le 1er mai 2009 dont la loi permet à un administré de se prévaloir ».
En fait, n’a pas toujours été suivi l’exemple donné par le ministère de l’éducation nationale qui, dans une circulaire du 7 décembre 2009 relative à l’abrogation de circulaires et notes de service relatives à l’Éducation nationale, à l’Enseignement supérieur et à la Recherche en a donné la liste. Pourtant, dès le milieu de l’année 1990, les administrations avaient été invitées à ’nettoyer’ leurs productions administratives afin de repérer les circulaires, notes et instructions toujours applicables et de verser aux archives celles qui ne disposaient plus de validité [1]. Mais, de toute évidence, en dépit de l’ordre de la ’rupture’ quelque temps prôné, il est difficile de tout effacer...
.
Cette décision du Conseil d’Etat du 16 avril 2010 revêt-elle le caractère d’une ’décision d’espèce’ ? Devrait-on penser que l’analyse des circulaires administratives par le juge administratif serait, du fait de l’intervention du décret du 8 décembre 2008, à ’géométrie variable’ ? D’autres décisions du Conseil d’Etat sur ce mode de diffusion des circulaires et instructions et sur les conséquences à en tirer seraient nécessaires pour proposer quelques cheminements quant à la validité juridique des circulaires administratives, réglementaires, impératives ou interprétatives...
.
[2]
[1] V. G. Koubi, Les circulaires administratives, Economica 2003, p. 119 et suiv.
[2] Quant au refus du ministre de transmettre les informations relatives à la localisation des disséminations aux autorités communales concernées, le Conseil d’Etat se réfère à l’arrêt C-552/07 de la Cour de justice des Communautés européennes du 17 février 2009 selon lequel « les informations recueillies dans le cadre de l’instruction d’une autorisation de dissémination d’organismes génétiquement modifiés, notamment celles relatives à la localisation de ces opérations, sont, conformément à l’article 25 de la directive 2001/18/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 mars 2001 relative à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement, communicables de plein droit, sur simple demande, sans aucune restriction ; que ni les exceptions prévues par la directive sur l’accès aux données environnementales, ni l’invocation des risques d’atteinte à l’ordre public, ni aucun autre texte ou principe, ne peut limiter ce droit ; qu’il en va de même, par suite, pour ce qui concerne l’accès aux documents renfermant ces données, aucune des restrictions prévues à l’article 6 de la loi du 17 juillet 1978 ne pouvant y faire obstacle ». De ce fait, le ministre chargé de l’agriculture « est tenu de communiquer à toute personne qui en fait la demande, notamment, les informations relatives à la localisation des disséminations volontaires d’organismes génétiquement modifiés », même si elles ne peuvent être obtenues qu’auprès de lui...