Le 16 juin 2011, par Geneviève Koubi,
L’expression de « service à la personne », détachée des différents services rendus aux personnes physiques à leur domicile pour des motifs de santé ou de dépendance et énoncée à propos des « emplois de services aux particuliers » suivant les termes autrefois utilisés [1], a souvent masqué des réalités indéniables dessinant les contours de la « domesticité ». Le décret n°2007-854 du 14 mai 2007 relatif aux services à la personne illustre cette tentation [2]. L’institution du « chèque emploi-service universel » compris comme « un titre-emploi ou un titre spécial de paiement permettant à un particulier … de rémunérer des salariés occupant des emplois entrant dans le champ des services à la personne » avait effectivement consolidé cette mystification [3].
Par ailleurs, l’article L. 7221-1 du Code du travail préfère user d’une périphrase pour contourner la notion de domesticité : « Est considéré comme employé de maison le salarié employé par des particuliers à des travaux domestiques. » [4] sans chercher une extension à l’expression de « travailleur à domicile » parfois invoquée [5].
En fait, l’usage du terme « domestique » concerne de moins en moins les personnes, les ’travailleurs de l’ombre’ [6]. Il acquiert dans le langage du droit surtout une fonction qualificative (eaux domestiques, fioul domestique, animal domestique, installation ou appareil domestique, à usage domestique, accident domestique, etc.)... Toutefois, en certaines matières, la qualification du travail, d’un emploi, d’une tâche peut subsister, comme par exemple, à propos des enquêtes sur « les éléments du train de vie » [7]
Sans doute, au-delà de quelques textes intégrant les travailleurs domestiques dans les cadres du droit du travail et de la protection sociale, par le biais du concept de « dignité humaine » et de « dignité sociale », engagée dans la lutte contre l’esclavage et, suivant les arcanes répressifs d’une lutte contre le travail clandestin – en dépit des dérives que ces mécanismes ont suscitées –, la considération de ce modèle par les pouvoirs publics en France n’a pas fait défaut. Cependant, si la France ratifie la nouvelle Convention OIT sur les travailleuses et travailleurs domestiques, quelques nouvelles obligations lui seront signifiées, notamment pour ce qui concerne les travailleurs migrants [8].
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Pour une reconsidération de notion de « travail », pour un ajustement de la situation des « domestiques » [9], la Convention adoptée ce jeudi 16 juin 2011 par l’Organisation internationale du travail (OIT) lors de la 100è session de la Conférence internationale du travail, est déterminante.
Incluse dans le programme dit Agenda pour le travail décent, la Convention concernant le travail décent pour les travailleuses et travailleurs domestiques a recueilli 396 voix pour (contre 16 non et 63 abstentions). Elle sera dénommée : Convention sur les travailleuses et travailleurs domestiques.
Il fut un temps où les domestiques se voyaient privés du droit de vote, ils se trouvaient à la merci de leurs employeurs ; ils auraient été esclaves s’il n’y avait eu quelques règles bienpensantes destinées à éviter l’opprobre ; ils ne disposaient d’aucune représentation syndicale ; etc. L’OIT s’empare du problème. L’article 3 2. de la Convention oblige ainsi une prise en considération des droits des travailleurs domestiques : il est enjoint de « respecter, promouvoir et réaliser les principes et droits fondamentaux au travail, à savoir : / a) la liberté d’association et la reconnaissance effective du droit de négociation collective ; / b) l’élimination de toute forme de travail forcé ou obligatoire ; / c) l’abolition effective du travail des enfants ; / d) l’élimination de la discrimination en matière d’emploi et de profession. ; l’article 3 3. stipule : « Lorsqu’ils prennent des mesures afin d’assurer que les travailleurs domestiques et les employeurs des travailleurs domestiques jouissent de la liberté syndicale et de la reconnaissance effective du droit de négociation collective, les Membres doivent protéger le droit des travailleurs domestiques et des employeurs des travailleurs domestiques de constituer leurs propres organisations, fédérations et confédérations et, à la condition de se conformer aux statuts de ces dernières, de s’affilier aux organisations, fédérations et confédérations de leur choix. » L’article 16 prévoit pour sa part : « Tout Membre doit prendre des mesures afin d’assurer, conformément à la législation et à la pratique nationales, que tous les travailleurs domestiques, seuls ou par l’intermédiaire d’un représentant, aient un accès effectif aux tribunaux ou à d’autres mécanismes de règlement des différends, à des conditions qui ne soient pas moins favorables que celles qui sont prévues pour l’ensemble des travailleurs. »
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En évoquant une notion de « travailleur domestique » (art. 1er), cette Convention qui s’intéresse donc aux personnes qui, dans l’économie de l’ombre, appartiennent surtout aux communautés sociales défavorisées et se trouvent souvent exposées à la discrimination – dont le nombre est (sous-)estimé à plus de 60 millions dans le monde. Certes, comme le rappelle la Convention qui vient d’être adoptée, toutes les conventions et recommandations internationales du travail s’appliquent à tous, à tous les travailleurs, travailleurs domestiques compris ; mais en reconnaissant que « les conditions particulières dans lesquelles s’effectue le travail domestique rendent souhaitable de compléter les normes de portée générale par des normes spécifiques aux travailleurs domestiques afin de leur permettre de jouir pleinement de leurs droits », les membres de l’OIT réalisent une avancée substantielle dans la construction d’un droit international du travail.
Les premières définitions (art. 1er ) replacent ainsi les notions de base, en restaurant, cependant, les fonctions de la notion de « profession » : « a) l’expression « travail domestique » désigne le travail effectué au sein de ou pour un ou plusieurs ménages ; / b) l’expression « travailleur domestique » désigne toute personne de genre féminin ou masculin exécutant un travail domestique dans le cadre d’une relation de travail ; / c) une personne qui effectue un travail domestique seulement de manière occasionnelle ou sporadique sans en faire sa profession n’est pas un travailleur domestique. »
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Quelques paragraphes tirés de l’introduction — ou du préambule — de cette Convention permettent de rendre compte de l’éveil politique et social que suppose cette saisie par le droit d’un secteur qui a longtemps été couvert par l’informel
et qui, dans certains Etats, rejoint l’idée de "service à la personne", parfois même dans des situations médicalisées :
« Reconnaissant la contribution significative des travailleurs domestiques à l’économie mondiale, y compris par l’augmentation des possibilités d’emploi rémunérés pour les travailleuses et travailleurs ayant des responsabilités familiales, le développement des services à la personne pour les populations vieillissantes, les enfants et les personnes handicapées ainsi que les transferts de revenus substantiels au sein des pays et entre eux ; »
et qui, pour beaucoup, situe au coeur du propos, la situation faite aux migrants, et surtout aux "femmes" venues d’autres Etats que ceux liés par divers accords... :
« Considérant que le travail domestique continue d’être sous-évalué et invisible et qu’il est effectué principalement par des femmes et des jeunes filles, dont beaucoup sont des migrantes ou appartiennent aux communautés défavorisées et sont particulièrement exposées à la discrimination liée aux conditions d’emploi et de travail et aux autres violations des droits humains ;... »
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Sans doute, certains observateurs relèveront encore quelques mentions particulières en les ajustant aux contextes sociaux et politiques immédiats tels à l’article 4, la nécessité de prendre des mesures tendant à « veiller à ce que le travail effectué par les travailleurs domestiques d’un âge inférieur à 18 ans et supérieur à l’âge minimum d’admission à l’emploi ne les prive pas de la scolarité obligatoire ni ne compromette leurs chances de poursuivre leurs études ou de suivre une formation professionnelle » ou à l’article 5, le fait que : « Tout Membre doit prendre des mesures afin d’assurer que les travailleurs domestiques bénéficient d’une protection effective contre toutes les formes d’abus, de harcèlement et de violence. »
De toutes façons, ils seront conduits à remarquer que, sauf pour ce qui concerne les étrangers en situation irrégulière — ce qui prend souvent une tournure dramatique ! —, les dispositifs institués par le droit français répondent pour une grande part aux règles ainsi posées par la Convention OIT sur les travailleuses et travailleurs domestiques de juin 2011.
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La Convention entrera en vigueur dès sa ratification par au moins deux pays. Les Philippines et l’Uruguay ont déjà fait part de leur intention de le faire très rapidement [10].
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Cette Convention que l’OIT présente comme « historique » mériterait une lecture attentive...
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[1] L. n° 96-63 du 29 janvier 1996 en faveur du développement des emplois de services aux particuliers.
[2] V. F.-X. Devetter, F. Jany-Catrice et T. Ribault, Les services à la personne, La Découverte, coll. Repères , 2009.
[3] L. n° 2005-841 du 26 juillet 2005 relative au développement des services à la personne et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale.
[4] A noter que : la loi n° 2007-293 du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance revisitait l’intitulé du titre VII du livre VII du Code du travail : « Concierges et employés d’immeubles à usage d’habitation, employés de maison, assistants maternels et assistants familiaux, éducateurs et aides familiaux, personnels pédagogiques occasionnels des accueils collectifs de mineurs, permanents des lieux de vie » ; le titre précédent institué par la loi n° 2006-586 du 23 mai 2006 relative à l’engagement éducatif était : « Concierges et employés d’immeubles à usage d’habitation, employés de maison, assistants maternels, éducateurs et aides familiaux, personnels pédagogiques occasionnels des accueils collectifs de mineurs » ; celui donné par la loi n° 2005-706 du 27 juin 2005 relative aux assistants maternels et aux assistants familiaux en élargissait déjà le champ : « Concierges et employés d’immeubles à usage d’habitation, employés de maison, assistants maternels et assistants familiaux ».
[5] V. par ex., L. n° 71-996 du 15 décembre 1971 tendant à faire bénéficier d’une surveillance médicale les employés de maisons, les gardiens d’immeubles à usage d’habitation et les travailleurs à domicile. De plus, l’expression de « louage de service » tend à s’effacer des textes juridiques, même si le Code civil comporte une section (I) au chapitre III du titre VIII du livre III intitulée : « Du louage de service », qui ne comporte qu’un seul article (art. 1780) dont l’origine remonte à 1804. Cette notion ne concerne en rien la domesticité.
[6] … selon les termes d’une dépêche AFP du 16 juin 2011.
[7] Par ex., mentionné à l’article R. 262-74 du Code de l’action sociale et des familles - concernant le RSA.
[8] v. par ex., art. 8 de la Convention : « La législation nationale doit prévoir que les travailleurs domestiques migrants qui sont recrutés dans un pays pour effectuer un travail domestique dans un autre pays doivent recevoir par écrit une offre d’emploi ou un contrat de travail exécutoire dans le pays où le travail sera effectué, énonçant les conditions d’emploi visées à l’article 7, avant le passage des frontières nationales aux fins d’effectuer le travail domestique auquel s’applique l’offre ou le contrat. 2. Le paragraphe précédent ne s’applique pas aux travailleurs qui jouissent de la liberté de circulation aux fins d’occuper un emploi en vertu d’accords bilatéraux, régionaux ou multilatéraux ou dans le cadre de zones d’intégration économique régionales.... »
[9] V. par ailleurs, F.-X. Devetter, S. Rousseau, Du balai. Essai sur le ménage à domicile et le retour de la domesticité, Raison d’agir, 2011.
[10] Source : dépêche AFP de ce jour.