Le 13 septembre 2008, par Geneviève Koubi,
Les petites modifications font-elles les grands changements ? Une appréciation officielle des organismes de défense des droits de l’homme est-elle une garantie quant à leurs engagements et modes d’action ?
Cette question ne mérite-t-elle pas d’être posée à la lecture du décret n° 2008-925 du 11 septembre 2008 modifiant le décret n° 2007-1137 du 26 juillet 2007 relatif à la composition et au fonctionnement de la Commission nationale consultative des droits de l’homme publié au Journal officiel du 13 septembre 2008 ?
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La loi n° 2007-292 du 5 mars 2007 relative à la Commission nationale consultative des droits de l’homme [1] qui en garantit l’indépendance [2], indique quelles sont les qualités des membres qui la composent : « Elle est composée de représentants des organisations non gouvernementales spécialisées dans le domaine des droits de l’homme, du droit international humanitaire ou de l’action humanitaire, d’experts siégeant dans les organisations internationales compétentes dans ce même domaine, de personnalités qualifiées, de représentants des principales confédérations syndicales, du Médiateur de la République, ainsi que d’un député, d’un sénateur et d’un membre du Conseil économique et social désignés par leurs assemblées respectives » (art. 1er al. 3). Il est également prévu que des représentants du Premier ministre et des ministres intéressés participent à ses travaux, mais sans voix délibérative. L’article 2 de cette loi prévoit l’édiction d’un décret en Conseil d’Etat pour préciser cette composition et fixer ses modalités d’organisation et de fonctionnement.
Le décret n° 84-72 du 30 janvier 1984 relatif à la Commission consultative des droits de l’homme a été abrogé par le décret n° 2007-1137 du 26 juillet 2007 relatif à la composition et au fonctionnement de la Commission nationale consultative des droits de l’homme. Ce dernier est intervenu non pour ajouter à son domaine d’intervention d’autres espaces relatifs aux droits fondamentaux mais plutôt pour resserrer ses missions autour de quelques activités qui ont pour effet d’amoindrir l’impact de ses travaux. Si elle doit favoriser « la concertation entre les administrations, les représentants des différents courants de pensée de la société civile et des différentes organisations et institutions non gouvernementales intéressées », si elle doit contribuer à la préparation des rapports que la France présente devant les organisations internationales dans le domaine des droits de l’homme et à l’éducation aux droits de l’homme, elle ne dispose pas de moyens pour s’opposer à des lois ou décrets qui passeraient outre au respect des droits fondamentaux [3].
L’article 2 de ce décret du 26 juillet 2007 prévoit que la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) « peut être saisie de demandes d’avis ou d’études émanant du Premier ministre ou des membres du Gouvernement », qu’elle « peut, de sa propre initiative, appeler l’attention des pouvoirs publics sur les mesures qui lui paraissent de nature à favoriser la protection et la promotion des droits de l’homme, notamment en ce qui concerne : /- les enjeux des négociations internationales en cours relatives aux droits de l’homme ; /- la ratification des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme et au droit international humanitaire et, le cas échéant, la mise en conformité de la loi nationale avec ces instruments ; /- l’exécution de programmes d’action, notamment en ce qui concerne l’enseignement et la recherche sur les droits de l’homme, la participation à leur mise en oeuvre dans les milieux scolaires, universitaires et professionnels et, plus généralement, la lutte contre le racisme et la xénophobie ». Il est encore spécifié que la commission « peut également : - évoquer toutes questions ayant trait à une situation humanitaire d’urgence et susciter des échanges d’informations sur les dispositifs permettant de faire face à ces situations ; - formuler des avis sur les différentes formes d’assistance humanitaire mises en oeuvre dans les situations de crise ; - étudier les mesures propres à assurer l’application du droit international humanitaire ». Le développement du droit humanitaire semble ainsi supplanter la dynamique des droits de l’homme. Il n’est pas clairement rappelé que la CNCDH peut alerter les assemblées parlementaires sur un problème relatif à la compréhension, au respect des droits de l’homme comme le spécifiait l’article 1er de la loi n° 2007-292 du 5 mars 2007. D’une certaine façon, l’intention générale que les dispositions décrétales délivrent s’apparente à un effort de « rétrécissement » des champs d’intervention de la CNCDH, aussi limités que seraient ses pouvoirs puisque, par nature, ils restent enfermés dans la sphère consultative.
L’article 4 du décret du 26 juillet 2007 fait aussi état d’une préoccupation particulière — qui détient un écho incertain en ces temps où le Président d’une République laïque loue la grandeur d’une France aux tréfonds et aux trémolos moins chrétiens que catholiques. Evoquant « le souci d’assurer le pluralisme des convictions et opinions, cet article prévoit que « la commission est composée, avec voix délibérative : /a) De trente personnes nommément désignées parmi les membres des principales organisations non gouvernementales oeuvrant dans le domaine des droits de l’homme, du droit international humanitaire ou de l’action humanitaire et des principales confédérations syndicales, sur proposition de celles-ci ; /b) De trente personnes choisies, en raison de leur compétence reconnue dans le domaine des droits de l’homme, y compris des personnes siégeant en qualité d’experts indépendants dans les instances internationales des droits de l’homme ; /c) D’un député et d’un sénateur ; /d) Du Médiateur de la République ; /e) D’un membre du Conseil économique et social ». L’entrée en vigueur des modifications de la Constitution du fait de la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 incitera les gouvernants soit à supprimer cette Commission soit à réviser sa composition. Les observateurs et commentateurs du texte constitutionnel pencheraient pour la première solution. Cependant, en ce que le décret n° 2008-925 du 11 septembre 2008 qui modifie ce décret n° 2007-1137 du 26 juillet 2007 envisage un changement dans les modes de nomination de certains des membres de la CNCDH, peut-être faudrait-il seulement envisager la seconde de ces solutions...
En effet, le décret n° 2007-1137 du 26 juillet 2007 relatif à la composition et au fonctionnement de la Commission nationale consultative des droits de l’homme prévoyait que les membres de la commission issus des ONG et des syndicats ou considérés en raison de leurs compétences en matière de droits de l’homme du même article étaient « nommés par arrêté du Premier ministre après avis d’un comité composé du vice-président du Conseil d’Etat et des premiers présidents de la Cour de cassation et de la Cour des comptes ». Le décret n° 2008-925 du 11 septembre 2008 effectue une rectification qui est loin d’être anodine, elle n’est pas sans incidences sur les formes d’action des organisations de défense des droits de l’homme. Il prévoit que, désormais, « les membres de la commission mentionnés au a) de l’article 4 et leurs suppléants sont nommés par arrêté du Premier ministre, après avis d’un comité composé du vice-président du Conseil d’Etat et des premiers présidents de la Cour de cassation et de la Cour des comptes sur les organismes susceptibles d’émettre des propositions de nomination. Les membres de la commission mentionnés au b de l’article 4 sont nommés après avis du même comité ». Ces avis, rendus publics, ne concernent donc pas seulement les personnes. Ils portent aussi et surtout sur les organismes… et devant la tentation actuelle du gouvernement à stigmatiser les actions légitimes de certains d’entre eux, certains garde-fous seraient nécessaires...
Il est effectivement à prévoir que certaines des associations engagées résolument dans la défense des droits de l’homme comme des droits des étrangers, manifestant publiquement leur désaccord avec les cheminements de la politique gouvernementale [4], ne pourraient présenter quelques-uns de leurs membres pour siéger dans cette commission. Sans doute telle n’était pas leur intention, mais il est aussi à relever qu’une même conséquence s’entend pour les individus, en dépit de leurs compétences et de leurs engagements pour le maintien de la considération des droits de l’homme en tous domaines. Car, par là fichés dans EDVIGE … à cause du fait que, selon les temps actuels et à venir, ils seraient susceptibles de porter atteinte à l’ordre public soit par des interventions lors de réunions, soit par des participations à des manifestations de rue, soit par des appels à signer des pétitions, etc. s’opposant aux mesures réglementaires qui compriment de plus en plus les libertés publiques, individuelles et collectives, ils ne seraient pas à même de suivre la pente du gouvernement vers la surélevation d’un concept de sécurité publique qui conduit vers une uniformisation des attitudes civiles et des comportements sociaux plus que problématique…
La pénalisation progressive des actions de contestation acquiert déjà une certaine ampleur. Le penchant vers une censure de l’opposition citoyenne est en construction. L’inclination vers des modes de sanction de l’engagement civique des citoyens pour la défense des droits de l’homme s’annonce. Aussi, en matière de droits de l’homme, l’action militante devient une action combattante [5]. L’adversaire est alors l’évolution du droit français républicain vers la composition d’un système de droit qui se détache de plus en plus de la notion de droits de l’homme…
Or, en tant que « l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’Homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des Gouvernements » [6], ne serait-il pas temps de rappeler fermement que « le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme » [7] ?
[1] dont les missions sont définies à l’article 1er al. 1 : La Commission nationale consultative des droits de l’homme assure, auprès du Gouvernement, un rôle de conseil et de proposition dans le domaine des droits de l’homme, du droit international humanitaire et de l’action humanitaire. Elle assiste le Premier ministre et les ministres intéressés par ses avis sur toutes les questions de portée générale relevant de son champ de compétence tant sur le plan national qu’international. Elle peut, de sa propre initiative, appeler publiquement l’attention du Parlement et du Gouvernement sur les mesures qui lui paraissent de nature à favoriser la protection et la promotion des droits de l’homme.
[2] Art. 1er al. 2 : La commission exerce sa mission en toute indépendance.
[3] Il n’est pas plus assuré que le Défenseur des droits que le nouveau texte constitutionnel a institué soit plus à même de le faire ; il n’est pas non plus certain que le Conseil constitutionnel, saisi d’une telle question, puisse de même se faire entendre valablement sur ce point…
[4] Et à ce titre, les évènements de cet été 2008 autour des centres de rétention administrative des étrangers qui ont conduit à des stigmatisations inconsidérés des associations engagées pour le refus des expulsions injustifiées et injustes, doivent être relevés…
[5] V. également le site bien nommé Combats pour les droits de l’homme.
[6] Préambule DDHC 1789.
[7] Art. 2 DDHC 1789, non sans oublier que parmi ces droits figure la résistance à l’oppression.