Le 9 septembre 2018, par Geneviève Koubi,
C’est un long « guide méthodologique » que présente en annexe l’instruction interministérielle n° 201810028142 du 17 juillet 2018 justement relative à la publication de ce guide « relatif aux aménagements de peine et à la mise en liberté pour raison médicale », mise en ligne le 3 septembre 2018 sur le site web dédié aux circulaires et instructions [1]. Classée dans la catégorie des « mesures d’organisation des services retenues par le ministre pour la mise en œuvre des dispositions dont il s’agit », relevant des « directives adressées par le ministre aux services chargés de leur application, sous réserve, le cas échéant, de l’examen particulier des situations individuelles », précisant l’« interprétation à retenir, sous réserve de l’appréciation souveraine du juge, lorsque l’analyse de la portée juridique des textes législatifs ou réglementaires soulève une difficulté particulière », cette instruction revêt une qualité paradoxale. Bien qu’il en soit l’objet principal, le motif médical de l’aménagement de la peine ou de la mise en liberté n’est pas au cœur du propos.
Conçue à l’attention des personnels intervenant dans le cadre des services pénitentiaires et non émise en considération des besoins des usagers de ces services (que sont les personnes détenues), l’instruction retient l’objectif du guide qui serait d’encadrer « le rôle des différents acteurs intervenant au cours de la procédure, et leurs interactions ». Cette circulaire interministérielle revêt donc un certain intérêt puisqu’elle s’efforce de justifier l’élaboration d’un guide « unique » dont la finalité est de rassembler dans un même contenant les divers dispositifs judiciaires concernant les gradations médicales des personnes condamnées à des peines privatives de libertés. Toutefois, elle semble ainsi rechercher à ce que ne soient pas composées des lignes auxquelles les personnes détenues, majeures ou mineures, pourraient, le cas échéant, se référer et qu’elles pourraient opposer à l’administration [2]. Or, les textes placés en « annexe » à un texte disposent de la même valeur que le texte auquel ils sont annexés…
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Signée du ministère de la Justice et du ministère des Solidarités et de la Santé, l’instruction présentant ce « guide méthodologique relatif aux aménagements de peine et à la mise en liberté pour raison médicale » fait état de l’institution des groupes de travail ayant conduit à son élaboration, mais elle ne mentionne pas son origine. Or ce guide prend d’abord appui sur l’annexe à la loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002 d’orientation et de programmation pour la justice [3]. En cette annexe, le rappel du principe de l’accès aux soins des personnes détenues était configuré autour de l’hospitalisation psychiatrique. En tant que « les contraintes carcérales ne permettent pas un suivi médical continu des patients atteints de troubles mentaux » avaient alors été créées « des unités hospitalières sécurisées psychiatriques en établissements de santé » ; de même, pour les personnes âgées et les personnes handicapées incarcérées, il avait été reconnu d’augmenter le nombre de cellules aménagées et « d’améliorer leur prise en charge sociosanitaire ». Évidemment, précisément pointée dans le texte de l’instruction interministérielle, est aussi une des bases de ce guide - si ce n’est en réalité la principale - la loi n° 2014-896 du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales [4].
Sur un plan général, lorsque « la personne est atteinte une pathologie engageant son pronostic vital ou que son état de santé physique ou mentale est incompatible avec le maintien en détention » [5], des dispositifs de remise en liberté pour raisons médicales peuvent être mis en œuvre. Ils s’entendent au titre du Code de procédure pénale et non du Code de la santé publique. Ces dispositifs prévoient des mesures aménageant la peine, plaçant la personne dans des établissements extérieurs ou sous surveillance électronique assortie de l’obligation (contrôlée) de suivre un traitement médical donné, ou prononçant une mise en liberté totale (souvent conditionnelle [6]) ou mesurée (semi-liberté). Ils peuvent aussi susciter une suspension de peine pour motif d’ordre médical ou pour raisons médicales, notant toutefois que « la suspension ne peut être ordonnée ... pour les personnes détenues admises en soins psychiatriques sans leur consentement. » [7]
Selon le texte même de l’instruction interministérielle, il s’agit d’« apporter des réponses aux interrogations des professionnels de la Justice et de la Santé », afin qu’ils soient en mesure de procéder aux démarches adéquates et d’identifier « la structure médico-sociale d’accueil adaptée ». La problématique médicale proprement dite n’est pas abordée. Le guide introduit toutefois d’autres thématiques que celles résumées dans le texte liminaire de la circulaire même si, là encore, le motif médical des aménagements et suspensions de peine n’est pas étudié.
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Le guide méthodologique propose un éclaircissement bienvenu des différentes dispositions insérées dans le Code de procédure pénale relatives aux aménagements, remises de peine, suspensions de peine, libérations conditionnelles [8] pour motif d’ordre médical ou pour raisons médicales [9], parfois même en se référant à des circulaires qui seraient intervenues pour expliciter les dispositions législatives [10]. Ce guide se construit sur la distinction entre la situation des personnes condamnées et celle des personnes en détention provisoire.
Nul doute que la problématique apparaît plus sérieuse pour les personnes condamnées. Aussi, rapidement, le guide inscrit un rappel des limites des aménagements de peines puisqu’ils ne peuvent être accordés aux personnes condamnées pour des infractions « définies aux articles 421-1 à 421-6 du code pénal » [11] et « ne sont pas accessibles aux personnes condamnées aux peines les plus importantes et qui se trouvent à distance de leur fin de peine. »
Le guide relatif aux aménagements de peine et à la mise en liberté pour raison médicale établit les distinctions entre « nécessité de suivre un traitement médical », « motif d’ordre médical », « raisons médicales », et entre les différents aménagements de peine : « fractionnement ou suspension de peine ’classique’ ; placement sous surveillance électronique ; placement à l’extérieur ; semi-liberté ; libération conditionnelle, suspension de peine [12] », selon le statut de la personne concernée. Il expose quelques moyens pour aborder « les notions de pathologie engageant le pronostic vital et d’état de santé durablement incompatible avec la détention », en citant la jurisprudence [13]. S’il présente ainsi les différentes mesures d’aménagement de peine et de mise en liberté pour raison médicale, son principal but est de cerner les rôles des acteurs et des intervenants en la matière. Il relève alors la nécessité de « la pluridisciplinarité » pour l’engagement des procédures d’aménagement ou de suspension de peine, dépassant le Code de procédure pénale pour citer le Code de la santé publique. Il signale l’obligation de tenir compte de la situation particulière des personnes concernées, mettant à contribution les agents pénitentiaires en sus des autres personnels (agents administratifs, experts, médecins, juges, etc.) pour ce faire…
La distinction entre aménagement de peine et suspension de peine, chacun fondé sur une expertise médicale approfondie, est substantielle. La présentation du guide méthodologique dans la circulaire du 17 juillet 2018 n’en donnait pas même une indication alors que leurs effets sont radicalement différenciés. Et, pour que ce qui de la suspension de peine, la distinction entre suspension de peine pour raison médicale et suspension de peine au titre de l’article 720-1 du Code de procédure pénale, le guide explicite : « la décision qui accorde une suspension de peine pour raison médicale n’a pas à la circonscrire dans le temps, contrairement à celle qui accorde une suspension de peine "classique" prévue à l’article 720-1 du code de procédure pénale. L’article 720-1-1 du code de procédure pénale précise en effet qu’elle est ordonnée "pour une durée qui n’a pas à être déterminée". Cela apparaît logique au regard des conditions d’octroi de cette mesure. La durée de la suspension de peine dépend en effet de l’évolution de l’état de santé de la personne condamnée. La juridiction de l’application des peines fixe toutefois la date de début de la mesure ».
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En quelque sorte, l’annonce élaborée comme résumé de l’instruction interministérielle paraît peu pertinente au regard du contenu général du guide lui-même. L’instruction est plus précise en ce qu’elle indique que le guide a « vocation à traiter l’ensemble des dispositifs judiciaires permettant l’aménagement des peines privatives de liberté ou la mise en liberté avant condamnation définitive des personnes, majeures ou mineures, dont l’état de santé est dégradé ».
Dans ce guide, outre le signalement des droits dont disposent les détenus et les prévenus [14], ce ne sont pas les « acteurs » qui en commandent le déroulement et la présentation des procédures mais la « substance des mesures » envisagées. A chaque mesure d’aménagement ou de suspension de peine ou de libération conditionnelle correspond une procédure spécifique qui associe les différents acteurs - dont ne sont pas exclus les personnels pénitentiaires - et les divers interlocuteurs (la famille du détenu ou du prévenu, parfois), mais le rôle principal reste dévolu au juge de l’application des peines [15].
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[1] Bien que précédemment publiée au Bulletin officiel du ministère de la Justice (BOMJ du 31 août 2018 - sous le n° JUSK1821900J : http://www.justice.gouv.fr/bo/2018/20180831/JUSK1821900J.pdf.
[2] V. par ailleurs, en relation avec ce thème, en date de septembre 2004, le « guide méthodologique relatif à la prise en charge sanitaire des personnes détenues ».
[3] JO 10 sept. 2002,
[4] JO 17 août 2014.
[5] Formulation tirée des article 147-1 et 720-1-1 du Code de procédure pénale.
[6] Plus particulièrement, la décision de mise en liberté, pensée pour les personnes en détention provisoire, peut « être assortie d’un placement sous contrôle judiciaire ou d’une assignation à résidence avec surveillance électronique », selon l’article L. 147-1 du Code de procédure pénale.
[7] Dernière phrase de l’alinéa 1 de l’article 720-1-1 du Code de procédure pénale.
[8] V. p. 57 et suiv.
[9] Toutes citées en notes de bas de page.
[10] A l’exemple de la circulaire CRIM 2006-15 E8 du 16 juin 2006 relative à la présentation des dispositions résultant de la loi n° 2005-1549 du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales et du décret n° 2006-385 du 30 mars 2006 relatives à l’exécution et à l’application des peines. Il est à noter toutefois que la circulaire du 26 septembre 2014 de présentation des dispositions de la loi n° 2014-896 du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales instituant la contrainte pénale est seulement citée dans la liste des textes relatifs à la mise en liberté et à la suspension de peine pour raison médicale - elle relevait toutefois des textes de référence de l’instruction du 17 juillet 2018.
[11] ie « des actes de terrorisme ».
[12] Laquelle est étudiée de manière spécifique, p. 28 et suiv.
[13] V. p. 20 et suiv.
[14] Jusqu’à signifier les préparations indispensables à la « sortie ».
[15] Même si intervient aussi le juge des libertés et de la détention… (v. L. n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, JO 10 mars 2004) .