Le 18 novembre 2009, par Geneviève Koubi,
Sous la bannière de la clarification ou de la simplification, les lois et décrets se multiplient ; mais sous ces termes de clarification et de simplification se dissimulent des réformes spécifiques... pour ne pas dire spécieuses [1]. Dès avant que la réforme des collectivités territoriales ne prenne forme, un des aspects substantiels de la structuration des rapports entre Etat et collectivités locales fait l’objet d’une prétendue "simplification" qui confirme le schéma de la recentration. L’ordonnance n° 2009-1401 du 17 novembre 2009 portant simplification de l’exercice du contrôle de légalité qui ne comporte que 5 articles, en constitue une illustration [2].
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La loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d’allégement des procédures avait autorisé le Gouvernement à prendre, par ordonnance, « toutes mesures pour modifier la liste des actes des collectivités territoriales et de leurs établissements obligatoirement transmis au représentant de l’Etat au titre du contrôle de légalité en matière de voirie routière et de fonction publique territoriale, à l’exclusion des actes concernant le recrutement des agents titulaires et non titulaires » (art. 120).
C’est en ce qui concerne la fonction publique (territoriale) qu’il semblerait utile de s’interroger. Depuis mai 2007, la fonction publique est mise sur la sellette alors qu’elle est un des lieux d’ancrage de la qualité républicaine de la France. Les trois articles de l’ordonnance (art. 1, 2 et 3) qui portent modification en cette matière s’entendent dans le cadre des trois principales catégories de collectivités territoriales ; ils sont divisés en deux temps (sauf pour l’article 3 modifiant l’article L. 4141-2 du Code général des collectivités territoriales) : le premier est relatif aux actes délibérés en matière de voirie et de stationnement, le second est concentré sur les actes pris en matière de fonction publique.
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Le rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2009-1401 du 17 novembre 2009 portant simplification de l’exercice du contrôle de légalité [3] allie la notion de simplification à une idée d’efficacité du contrôle : « Afin de permettre un contrôle plus efficace des actes reçus par le représentant de l’Etat, la présente ordonnance tend à alléger la liste des actes obligatoirement transmis par les collectivités territoriales en matière de voirie routière et de fonction publique territoriale, en ne conservant dans le champ de la transmission obligatoire que les actes les plus sensibles intervenant dans ces domaines ».
Les formulations semblent être volontairement floues. D’une part, leur qualité indécise [4] introduit des marges d’appréciation qui confineraient à l’arbitraire. D’autre part, l’allégement de la liste des actes obligatoirement transmis signifie principalement un allégement de la liste des actes obligatoirement vérifiés. Ainsi, lorsque dans le rapport, il est relevé que les délibérations « relatives aux ratios d’avancement de grade, à l’affiliation ou à la désaffiliation aux centres de gestion ainsi qu’aux conventions de prestations liées aux missions optionnelles des centres de gestion [5] » ne seront plus des actes obligatoirement transmis au représentant de l’Etat pour l’exercice du contrôle de légalité, une appréciation particulière est portée sur ce point : « cette disposition aboutit à limiter pour les communes la transmission des délibérations à celles correspondant aux garanties fondamentales de la fonction publique et au principe de parité entre les fonctions publiques [6]. » Or rares sont les décisions qui, en matière de fonction publique territoriale, s’insèrent d’emblée dans ce cadre des garanties fondamentales de la fonction publique. Les tribunaux administratifs, s’ils sont saisis du fait d’une requête déposée par un agent ou par un syndicat, seront-ils alors incités à multplier les questions de droit pour avis au Conseil d’Etat ? De plus, en toute logique, limiter le nombre d’actes transmis revient à alléger le nombre d’actes que le représentant de l’Etat devrait étudier (ou plus exactement dont il devrait ’estimer’ plus que ’vérifier’ la légalité ou l’illégalité [7]). La rédaction des articles L. 2131-2, L. 3131-2 et L. 4141-2 du Code général des collectivités territoriales est alors modifiée par un jeu de suppression qui laisse intacte l’interrogation quant à la liaison, classique en droit de la fonction publique, entre pouvoir de nomination (recrutement) et pouvoir de révocation (licenciement) : sont retirées de la liste des actes devant être transmis au représentant de l’Etat, les décisions individuelles relatives à l’avancement de grade, à la mise à la retraite d’office, à la révocation des fonctionnaires [8].
Le sens du discours doit donc être remanié : d’une part, la logique de cet assouplissement relève plus du droit de la déconcentration que du droit de la décentralisation ; d’autre part, l’un des enjeux des modifications quant au domaine du droit de la fonction publique territoriale est de permettre aux collectivités locales d’engager, à l’instar des administrations centrales, des politiques de réduction des personnels [9]. Cette dynamique régressive est exposée notamment dans les formules du rapport au Président de la République relatives aux actes et décisions concernant les agents publics. La problématique signifiée a pour objectif de renvoyer les questions individuelles sur le terrain contentieux, faisant en sorte d’accentuer les mécanismes de la ’souffrance au travail’ et d’accélérer l’instrumentalisation des juridictions administratives : « Ne seront plus obligatoirement transmis les actes de sortie contrainte de la fonction publique (mise à la retraire d’office et révocation des fonctionnaires). Les agents concernés, dont la situation se trouve directement affectée par ces actes défavorables, sont apparus comme les mieux à même d’apprécier si et dans quelle mesure il convenait de former un recours à leur encontre ». Le système ainsi exposé prétendrait oeuvrer pour une responsabilisation individuelle ; mais il s’avère des plus pervers pour ce qui est des relations de travail dans les administrations locales. Il annonce ainsi de substantielles modifications de la philosophie administrative tant sur ce plan des relations de travail dans les administrations, — le jouir du pouvoir n’ayant plus besoin du soutien de l’amour du censeur — que sur le terrain des rapports entre collectivités territoriales et Etat. La fonction de ’représentant de l’Etat’, parce que concentrée sur les garanties fondamentales — qui mettent aujourd’hui l’obéissance hiérarchique et le devoir de réserve au coeur du processus fonctionnaire —, et parce que débarassée des questions sensibles que soulignent les agents publics pour la défense des services publics et de la démocratie locale (voire de proximité) lesquelles sont ainsi lâchées et laissées à l’appréciation des collectivités locales [10], redeviendrait centrale dans une France dont l’organisation est décentralisée de par la Constitution.
Outre la nécessaire connaissance de la combinaison entre le droit des collectivités locales et le droit des fonctions publiques, renvoyer la charge de l’exercice du contrôle de légalité sur la vigilance ou la souffrance de l’agent public personnellement atteint par la décision en cause invite à y décoder les prémices d’une subordination accrue des fonctionnaires [11]. Comme, par ailleurs, cette perspective se révèle être encore un moyen de briser les mécanismes de solidarité, cette modification de quelques articles du Code général des collectivités territoriales répond aussi directement à l’orientation générale des politiques publiques mises en application sous l’égide de la RGPP.
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L’incursion du Gouvernement dans ces domaines, en dépit des projets de lois déjà déposés pour une grande réforme des collectivités territoriales, n’est pas achevée. Les retouches à venir du Code général des collectivités territoriales peuvent être porteuses de transformations particulières ayant pour objet de téléguider les réformes déjà élaborées sur l’air de "il est temps de décider". Car, l’article 87 de la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d’allégement des procédures prévoit toujours que : « Dans les conditions prévues par l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à modifier par ordonnance la partie législative du code général des collectivités territoriales pour remédier aux éventuelles erreurs ou insuffisances de codification, adapter les renvois à des textes codifiés ou non aux évolutions législatives et réglementaires et abroger les dispositions devenues obsolètes ou sans objet. /Cette ordonnance est prise dans un délai de neuf mois suivant la publication de la présente loi. » Il reste encore quelques mois ...
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[1] V. Gk, « Artifices d’une prétendue simplification » et « Contrefort et confort d’un gouvernement législateur » : « ... à lire l’article 120 de la loi du 12 mai 2009 que la question de la réforme du contrôle de légalité des actes des autorités locales devra un jour ou l’autre être résolue. En effet, en tant que le gouvernement pourra « prendre par ordonnance toutes mesures pour modifier la liste des actes des collectivités territoriales et de leurs établissements obligatoirement transmis au représentant de l’Etat », une certaine vigilance s’imposera selon les domaines dans lesquels la liste s’allongera ou se réduira ».
[2] Publiée au JO du 18 novembre 2009.
[3] Notant que ce rapport insiste sur l’étendue du champ que couvrait ce contrôle :« l’ensemble des délibérations, quelles qu’en soient la nature et la portée, ainsi que les actes individuels limitativement énumérés par le code général des collectivités territoriales (CGCT) (article L. 2131-2 pour les communes, article L. 3131-2 pour les départements et article L. 4141-2 pour les régions) sont soumis au contrôle de légalité. Pour la seule fonction publique territoriale, plus d’un million et demi d’actes sont ainsi transmis chaque année, ce qui représente un tiers des actes transmis en préfecture ».
[4] Comme, par ex., la délimitation d’actes qui se révèleraient les plus sensibles — ceci se comprenant au risque de renvoyer à une notion de ’susceptibilité’ qui s’infiltrerait dans tous les champs et à propos de bien des terrains...
[5] Ce ne sont pas les termes utilisés dans le Code...
[6] ... (suite de la phrase) « telles que les délibérations fixant le régime indemnitaire et les avantages en nature, celles relatives au temps de travail ou encore celles relatives à l’action sociale et à l’aide à la protection sociale complémentaire. »
[7] Art. L. 2131-6 al. 1. CGCT : « Le représentant de l’Etat dans le département défère au tribunal administra. tif les actes mentionnés à l’article L. 2131-2 qu’il estime contraires à la légalité dans les deux mois suivant leur transmission. »
[8] La référence à la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale doit être conservée.
[9] ... ce qui sera sans doute confirmé dans le cadre de la réforme des collectivités territoriales.
[10] ... dont les besoins financiers s’aggravent, ce qui induirait des arbitrages difficiles entre ponctionner les ménages des habitants et fonctionner sans les personnels compétents.
[11] Quel agent public se lance dans un recours de ce type sachant que le rétablissement de sa situation, si l’illégalité est constatée, ne pourra avoir lieu que trois ou quatre années plus tard, au mieux ?