Le 11 mars 2011, par Geneviève Koubi,
L’actualité du jour, au Sénat, se résume ainsi : Le Sénat a adopté les conclusions des commissions mixtes paritaires sur les projets de loi "Défenseur des droits" le 10 mars.
Prévus par la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008, les deux projets de loi relatifs au Défenseur des droits sont peu prolixes. Si la question organisationnelle est réglée : le Défenseur des droits réunit sous son chapeau les fonctions jusqu’alors rempliées par le Médiateur de la République, le Défenseur des enfants, la Commission nationale de déontologie de la sécurité (Cnds) et la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde), son organisation et sa composition ont retenu l’attention, ont fait l’objet des débats.
Et le reste ?
Car comment ne pas se poser la question linguistique, celle des formulations et, de ce fait, des interprétations qui pourraient en être données ?
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L’article 71-1 de la Constitution dispose en ses deux premiers alinéas : « Le Défenseur des droits veille au respect des droits et libertés par les administrations de l’État, les collectivités territoriales, les établissements publics, ainsi que par tout organisme investi d’une mission de service public, ou à l’égard duquel la loi organique lui attribue des compétences. / Il peut être saisi, dans les conditions prévues par la loi organique, par toute personne s’estimant lésée par le fonctionnement d’un service public ou d’un organisme visé au premier alinéa. Il peut se saisir d’office. »
Le projet de loi organique, déjà en passe de devenir un ‛texte adopté’, est bien en deçà des attentes générées par les formules qui prétendaient ouvrir la compétence du Défenseur des droits dans des champs ne relevant pas des secteurs administratifs.
L’article 5 du projet de loi organique relatif au Défenseur des droits, dans la version proposée par la commission mixte paritaire prévoit que « le Défenseur des droits peut être saisi : 1° Par toute personne physique ou morale qui s’estime lésée dans ses droits et libertés par le fonctionnement d’une administration de l’État, d’une collectivité territoriale, d’un établissement public ou d’un organisme investi d’une mission de service public ; 2° Par un enfant qui invoque la protection de ses droits ou une situation mettant en cause son intérêt, par ses représentants légaux, les membres de sa famille, les services médicaux ou sociaux ou toute association régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits et se proposant par ses statuts de défendre les droits de l’enfant [1] ; 3° Par toute personne qui s’estime victime d’une discrimination, directe ou indirecte, prohibée par la loi ou par un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, ou par toute association régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits, se proposant par ses statuts de combattre les discriminations ou d’assister les victimes de discriminations, conjointement avec la personne s’estimant victime de discrimination ou avec son accord [2] ; 4° Par toute personne qui a été victime ou témoin de faits dont elle estime qu’ils constituent un manquement aux règles de déontologie dans le domaine de la sécurité [3]. / Le Défenseur des droits peut être saisi des agissements de personnes publiques ou privées »...
Une lecture stricte de cet article ne laisserait-elle pas supposer que seules les personnes privées investies de missions de service public seraient, le cas échéant, concernées ?
Comment alors concevoir que les affaires dont est saisie la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE) entreraient dans le champ de compétence du Défenseur des droits si elles portent sur des agissements émanant d’entreprises privées ne disposant pas de quelconques tâches relevant d’activités d’intérêt général, de service public donc ?
Certes, l’article 33 in fine de ce projet précise que « les procédures ouvertes par le Médiateur de la République, le Défenseur des enfants, la Commission nationale de déontologie de la sécurité et la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité et non clôturées aux dates d’entrée en vigueur mentionnées ... se poursuivent devant le Défenseur des droits. À cette fin, les actes valablement accomplis par le Médiateur de la République, le Défenseur des enfants, la Commission nationale de déontologie de la sécurité et la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité sont réputés avoir été valablement accomplis par le Défenseur des droits. » Mais le risque n’est-il pas de limiter l’effet d’une notion de continuité plus que d’un principe de sécurité à ces seules affaires en cours ?
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Pour quelles raisons la notion de mission de service public, qui sonne là comme d’une restriction du rayon d’action du Défenseur des droits, n’a-t-elle pas été relevée ?
En introduisant le débat à l’Assemblée nationale, le 11 janvier 2011, le rapporteur avait noté qu’un nouvel article de la Constitution, l’article 71-1, créait « une nouvelle autorité constitutionnelle : le Défenseur des droits, chargé de veiller au respect des droits et libertés par les administrations de l’État, les collectivités territoriales, les établissements publics, ainsi que tout organisme investi d’une mission de service public. » Il effaçait la possibilité d’une extension de sa compétence à tout autre organisme, notamment privé. Il relevait surtout que « cet article de la Constitution donne un cadre pour le mode de nomination du Défenseur, à savoir l’application de la procédure de nomination par le Président de la République, après avis des commissions permanentes compétentes des deux assemblées du Parlement. »
Ce n’est qu’à propos de la situation des enfants que le ministre avait évoqué les pouvoirs d’injonction, de saisine des autorités disciplinaires et d’intervention en justice du Défenseur des droits en relevant sa capacité d’action « dans toutes les hypothèses, que la méconnaissance des droits des enfants soit le fait d’une administration ou d’une personne privée. » Et les orateurs suivants se sont attachés à cette présentation... bloquant ainsi l’ouverture qui avait été suggérée par quelques mots à la fin d’une phrase : (organisme ... "à l’égard duquel la loi organique lui attribue des compétences").
Certes, par la suite, quelques interventions ont soulevé le problème, comme par exemple, celle de Mme G. Pau-Langevin, le 11 janvier 2011 : « Le Défenseur des droits aura pour mission principale de veiller au respect des droits et libertés dans le cadre du fonctionnement d’une administration de l’État, d’une collectivité territoriale, d’un établissement public ou d’un organisme investi d’une mission de service public. Quant à ses adjoints, ils auront des fonctions qui leur seront déléguées, donc qui devront correspondre à celles du Défenseur des droits. Or nombre de dossiers concernant les discriminations mettent en cause non pas des collectivités publiques, mais des particuliers ou des sociétés privées. Comment un adjoint en charge des discriminations pourra-t-il régler des dossiers ne correspondant pas à la définition des fonctions du Défenseur des droits ? Soit on admet que de tels cas ne seront pas réglés, soit on considère que l’adjoint n’aura pas les mêmes attributions que le Défenseur des droits, ce qui est incompréhensible... » Mais, en fin de compte, la formulation resserrée sur les administrations et les services publics semble aller de soi... l’image du Médiateur de la République étant le pivot autour duquel se construisait cet article 71-1 de la Constitution...
Or, dès qu’entrent dans le périmètre des compétences d’un Défenseur des droits toutes les questions dont était saisie la HALDE - comme celles que relevait la CNDS -, la portée de cet article revient à enfermer le Défenseur des droits dans l’étude des rapports entre administrés et administrations [4].
[1] Ceci pour remplacer indument l’activité du Défenseur des enfants.
[2] Prétendument pour éviter le reproche de la disparition de la HALDE.
[3] En rapport avec la suppression de la Commission nationale de déontologie de la sécurité.
[4] Pour quelques économies dans les secteurs publics et pour une relance de l’économie dans le secteur privé ?