Le 29 juin 2009, par Geneviève Koubi,
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Plutôt que reprendre l’antienne relative aux discours d’un Ministre de l’intérieur (en 2005), et par delà le décret n° 2009-136 du 9 février 2009 portant diverses dispositions relatives aux plaques et inscriptions, à la réception et à l’homologation et à l’immatriculation des véhicules, faut-il penser que le nouveau système d’immatriculation des véhicules est à l’origine d’une utilisation des données personnelles recueillies par des personnes privées pour des actions de réclame industrielle et de propagande commerciale ?
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Parmi les « grands avis de 2008 » rendus par le Conseil d’Etat présentés dans son rapport annuel, peut-être faudrait-il relever celui-ci : Section de l’intérieur - Avis n° 381.374 du 1er avril 2008, qui porte comme ‘mots-clefs’ : « Traitement automatisé et libre circulation des données à caractère personnel - Directive 95/46/CE du 24 octobre 1995 (article 11) – Loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 modifiée portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public (article 14) – Réutilisation de ces données pour un usage autre que celui pour lequel elles ont été collectées – Modalités – Droit exclusif – fichier national des immatriculations ».
Le Conseil d’Etat (section de l’intérieur) avait été saisi par le ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales des questions relatives à la réutilisation des fichiers dans un but autre que celui pour lequel ceux-ci avaient été institués et, là, par une personne privée. • 1. « Est-il possible, au regard de la Constitution et de la directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 24 octobre 1995 relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation des données, d’autoriser la communication à l’“Association auxiliaire de l’automobile”, pour son usage propre ou à des fins commerciales, et sans qu’ait été préalablement recueilli le consentement des intéressés, les informations à caractère personnel figurant dans les traitements automatisés de données relatives à la circulation des véhicules prévus par le code de la route ? ». Le fait que cette question ait été libellée en terme de ‘possibilité’ sans que soient visées des dispositions législatives ou réglementaires appropriées et précises, pourrait être un des indices d’une difficulté pour les institutions publiques de se rendre à l’application raisonnée des normes juridiques. • 2. « Dans l’affirmative, est-il possible, au regard de la directive 2003/98/CE du Parlement européen et du Conseil du 17 novembre 2003 concernant la réutilisation des informations du secteur public et de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 modifiée portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public, qui procède à sa transposition, de réserver à cette association un droit d’exclusivité pour la réutilisation de ces informations en vue de contribuer à l’organisation de campagnes de prospection commerciale ou de rappel de véhicules par les constructeurs automobiles ? ». Sans avoir à relever que les questions de sécurité se trouvent ici associées à des opérations commerciales, l’emploi de ce mot possible indiquerait une préoccupation particulière quant à une recherche de contournement des lectures ‘objectives’ des règles de droit, lesquelles se trouvent, en l’espèce, répertoriées par le Conseil d’Etat par rapport au droit communautaire européen sans signalisation des conventions établies sous l’égide du Conseil de l’Europe.
Retenant le cadrage et relevant, dans les visas de son avis, les dispositions communautaires pertinentes pour résoudre la question posée, le Conseil d’Etat émet certaines observations sur les procédures d’enregistrement et de communication des informations relatives à la circulation des véhicules pour un “fichier national des immatriculations”.
« Le fichier national des immatriculations est constitué d’un fichier central appelé “fichier national des automobiles” et de fichiers départementaux. Sont enregistrées dans le fichier national des automobiles l’identification du titulaire du certificat d’immatriculation (nom, prénom, date de naissance ou raison sociale, commune de domicile et son code I.N.S.E.E.), l’identification du véhicule, des mentions spéciales propres au véhicule (volé, détruit, muté), ainsi que le code d’identification du pays d’achat dans le cas des importations effectuées directement ou indirectement par les particuliers ». Faut-il remarquer là que les ‘automobiles’ qui sont l’objet principal saisi par le fichier sont rapidement reliées à une personne, physique ou morale, titulaire du certificat d’immatriculation. Les fichiers départementaux rassemble des informations similaires auxquelles sont ajoutés « la disponibilité du véhicule (inscription de gage, radiation d’inscription de gage, déclaration de vol, prescription d’immobilisation, prononcé d’une saisie, d’une opposition judiciaire ou du Trésor au transfert du certificat d’immatriculation, déclaration de destruction, avis de mutation ou d’exportation et date de chacun de ces événements), les caractéristiques techniques du véhicule, le retrait éventuel du certificat d’immatriculation et les dates du contrôle technique périodique obligatoire ».
L’“Association auxiliaire de l’automobile” qui devait bénéficier de ce transfert de données et user de ces informations, « regroupe des constructeurs et des importateurs français d’automobile ». Si elle a pour objet de rassembler toutes documentations et la gestion de tous services intéressant l’automobile elle agit aussi à des fins de propagande industrielle et commerciale. Le Conseil d’Etat remarque qu’elle n’est pas au nombre des destinataires du fichier, qu’elle n’a pas, aux termes de la loi, un droit d’accès aux données publiques à caractère personnel (aux fins de réutilisation). Seule une loi rendrait possible la communication de ces données… Cette formulation induit-elle une reconnaissance de la finalité exclusive, voire personnelle, de certaines dispositions législatives ? Celles-ci pourraient-elles donc détenir un caractère particulier et bénéficier à une seule personne – ici morale – … à des fins commerciales et non dans un but d’intérêt général ? L’exception initiale deviendrait-elle la règle ? Le détournement du caractère général et impersonnel des dispositions législatives a déjà plusieurs fois été effectué, de manière explicite ou de façon implicite, mais était-il nécessaire de l’entériner ? Une transformation du rôle du Conseil d’Etat est-elle en germe dans cette activité consultative ? Plutôt que retenir l’état du droit existant et en délivrer le sens et les orientations, le Conseil d’Etat serait-il amené à assumer principalement un rôle de ‘consultant juridique’ [1] ?
La réponse du Conseil d’Etat aux questions posées est agencée non dans le but de permettre au ministre de procéder à la modification de l’utilisation d’un fichier ‘public’ dans l’intérêt d’une personne privée et pour des fins autres que celles pour lesquelles ce fichier avait été institué mais suivant une démarche particulière qui, tout en convenant des attentes ministérielles, en pointe les limites. Si la loi est présentée comme un instrument entre les mains du gouvernement pour la mise en oeuvre d’une politique industrielle et commerciale bénéficiant à une personne privée, au détour de son argumentation, le Conseil d’Etat précise, en la matière, que « la communication à titre exclusif à un tiers ne serait justifiée que si elle était nécessaire à l’accomplissement de la mission d’intérêt public qui lui serait confiée et devrait, en tout état de cause, respecter les règles de la commande publique ». Il n’est pas sûr qu’il ait été entendu.
Une loi offrant la possibilité d’une réutilisations des données d’un fichier [2] doit répondre à certaines conditions. Les garanties des droits ou intérêts légitimes des personnes concernées doivent être énoncées explicitement, mais, au-delà de la réserve de la confidentialité des données, relève de ces garanties, suivant les préoccupations générales de la ‘sécurité technique’, le fait que la réutilisation des données par l’association en cause permettrait aux industriels d’effectuer plus aisément un rappel pour les véhicules défectueux. L’argumentation est moins pertinente pour ce qui concerne la communication des données « en vue de la réalisation de traitements statistiques ou d’études revêtant un intérêt économique, historique ou scientifique ». C’est sur le point “des réutilisations à visée commerciale” que le Conseil d’Etat se montre le plus mesuré.
Tout d’abord, « est exclue, en raison des fonctions de souveraineté dont elles sont inséparables, la communication des données relatives aux infractions » [3]. Cependant, la communication des informations relatives aux gages grevant les véhicules et des données personnelles n’est envisageable que si les intéressés sont mis à même de faire connaître, à tout moment, ‘leur opposition à la réutilisation’ et si l’effectivité de cette opposition leur est garantie.
Ensuite, même si intervient une loi complétant les articles L. 330-2 et suivants du Code de la route pour « permettre la communication aux tiers des données en cause à des fins statistiques, de rappel de sécurité ou de prospection commerciale », cette loi doit être d’ordre général (refus de l’exclusivité) et, si elle s’avère exclusive, cette transmission doit viser une mission de service public : « la réutilisation d’informations publiques ne peut faire l’objet d’un droit d’exclusivité accordé à un tiers, sauf si un tel droit est nécessaire à l’exercice d’une mission de service public (le bien-fondé de l’octroi d’une telle exclusivité faisant alors l’objet d’un réexamen périodique, au moins tous les trois ans) ». Or, il est difficile de penser une “mission de service public” pour les réutilisations des données à visée commerciale. Qu’importe !
La règle qui relève du droit communautaire doit cependant être précisée : « tout en assurant l’équilibre des intérêts en cause et en garantissant une concurrence effective, les États membres (de l’Union européenne) peuvent préciser les conditions dans lesquelles des données à caractère personnel peuvent être utilisées et communiquées à des tiers à des fins de prospection commerciale, à condition de permettre aux personnes concernées de s’opposer, sans devoir indiquer leurs motifs et sans frais, au traitement des données les concernant ».
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Sur le terrain des possibilités tout en notant que la modification des perspectives était déjà en germe dans le nouveau système d’immatriculation des véhicules (SIV) [4], avait donc été relevée l’impossibilité pour le ministre et pour le gouvernement de procéder à cette attribution exclusive d’une réutilisation des données des fichiers national et départemental des immatriculations… En contournant cette perspective ‘personnalisante’ qui n’empêche pas une attribution exclusive des opérations correspondantes sous le label de l’agrément administratif, ce fut réalisé à l’occasion de la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d’allègement des procédures (art. 29).
. L’ article L. 330-5 du Code de la route, issu de la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d’allègement des procédures, prévoit que : « (…) Ces informations nominatives sont également communicables à des tiers préalablement agréés par l’autorité administrative afin d’être réutilisées dans les conditions prévues au chapitre II du titre Ier de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public et diverses dispositions d’ordre administratif, social et fiscal : - à des fins statistiques, ou à des fins de recherche scientifique ou historique, sans qu’il soit nécessaire de recueillir l’accord préalable des personnes concernées mais sous réserve que les études réalisées ne fassent apparaître aucune information nominative.. »
. L’article L. 330-2 I. 13°, issu de la même loi n° 2009-526, permet que “ces informations, à l’exception de celles relatives aux gages constitués sur les véhicules à moteur et aux oppositions au transfert du certificat d’immatriculation, so(ie)nt communiquées sur leur demande” : « Aux constructeurs de véhicules ou à leurs mandataires pour les besoins des rappels de sécurité et des rappels de mise au point des véhicules ».
. A l’article L. 330-5 qui permet la communication des informations nominatives à des tiers préalablement agréés par l’autorité administrative afin d’être réutilisées envisage explicitement que cela puisse se réaliser « à des fins d’enquêtes et de prospections commerciales, sauf opposition des personnes concernées selon les modalités prévues au deuxième alinéa de l’article 38 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés ».
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[1] Les ministres en sont-ils alors les ’clients’ ?
[2] en toute conformité à la Constitution : le Conseil d’Etat renvoie là à la décision du Conseil constitutionnel n° 2003- 467 DC du 13 mars 2003 (cons. 32) ; et en respectant les règles de droit communautaire, le Conseil d’Etat estimant que la réponse est identique « au regard de la directive 95/46/CE du 24 octobre 1995 relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation des données ».
[3] ce qui induit une interrogation quant à la saisie des contrôles techniques obligatoires…
[4] V. sur le site du ministère de l’intérieur : Carte grise : vos démarches accessibles en ligne.