Le 18 juillet 2010, par Geneviève Koubi,
Le rapport d’information n° 2706 AN (2010) sur l’articulation entre la LOLF et les réformes de l’organisation de l’État consacre de larges développements à la situation des universités sous le régime LRU [1]. Ces développements retraduisent les changements de perspective que la LOLF (loi organique relative aux lois de finances) introduit dans le le champ du droit administratif [2] et attestent de la soumission des services publics à la RGPP (révision générale des politiques publiques).
Pour aborder la question des universités dans ce rapport, l’idée est de signifier que les universités, désormais autonomes, peuvent être considérées comme des ’opérateurs de l’État’ : « les relations entre l’État et les universités s’inscrivent dans un cadre doublement renouvelé, du fait des récentes orientations valables pour l’ensemble des opérateurs et en raison du passage, pour un nombre croissant d’universités, au nouveau régime d’autonomie défini par la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU) du 10 août 2007 ». Prenant appui sur les orientations générales définies dans la LOLF, et mettant en valeur les consignes énoncées dans les différents rapports d’étapes de la RGPP, les propositions et recommandations insérées dans le rapport rappellent les modifications essentielles des compétences des universités. Celles-ci portent sur : – la gestion des ressources humaines ; – l’attribution d’un budget global ; – la gestion de la masse salariale, transférée de l’État aux universités. Puisque ces pouvoirs concernent au premier chef les "emplois", cette configuration conduit les rapporteurs à émettre une recommandation (n° 11) quant à la nécessité de « fiabiliser le décompte des effectifs des universités et doter les rectorats des outils permettant de s’assurer du respect des plafonds d’emploi. » [3]
Mais, dans ces attributions nouvelles des universités, figure aussi des dispositifs relatifs au parc immobilier universitaire. Les établissements qui en font la demande peuvent ainsi se voir transférer "la pleine propriété des bâtiments qui leur sont affectés ou mis à disposition par l’État".
Les rapporteurs notent que les règles de financement et les conditions juridiques de ce transfert du parc immobilier sont encore incertaines [4] et, sans coup férir, signalent l’existence de contradictions patentes : « Il est regrettable d’avoir attendu trois ans après la publication de la loi LRU pour s’apercevoir que l’article 762-2 du code de l’éducation, dans sa rédaction actuelle, ne permettait pas aux établissements d’enseignement supérieur de délivrer des droits réels sur le domaine de l’État, rendant impossible l’utilisation des contrats de partenariats par les universités et limitant singulièrement les ambitions d’autonomie en matière immobilière. »
Par ailleurs, le secteur de l’enseignement supérieur et de la recherche n’est pas aligné sur l’ensemble du secteur public et parapublic. Les rapporteurs citent ainsi la circulaire du Premier ministre du 26 mars 2010 relative au pilotage stratégique des opérateurs de l’Etat pour relever que son applicabilité aux opérateurs du secteur de la recherche et de l’enseignement supérieur est à géométrie variable : « S’il est bien mentionné que les principes qu’elle énonce "valent pour l’ensemble des opérateurs", la circulaire précise que leur application sera "adaptée aux spécificités de certains organismes", notamment les "établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel", ce qui vise notamment les universités et d’autres établissements d’enseignement supérieur. » [5]
Cette situation particulière dérange : « au-delà des modalités de gouvernance des établissements, la question de l’application aux universités des règles de gestion et de maîtrise des dépenses mériterait d’être tranchée » [6]. Mais, le disant, les rapporteurs songent sans doute à d’autres secteurs.
Les principes posés par la circulaire du 26 mars 2010 sont essentiellement contenus dans une notion d’exemplarité de l’État toujours très floue : chaque organisme est invité à se soumettre à des« règles de gestion et de maîtrise des dépenses comparables à celles que l’État s’impose à lui-même ». Ceci signifie donc : appliquer la règle du non-renouvellement du poste lors d’un départ à la retraite sur deux ; rentabiliser la gestion du parc immobilier en l’occupant toute l’année (ou en le louant ?) ; maîtriser les dépenses de fonctionnement en limitant, par exemple, les frais d’achat de fournitures (on dirait presque "en rognant sur la qualité" !).
L’idée d’un "contrat de performance" est revisitée sous le label des économies (de bouts de chandelle) alors même que « la diffusion de la culture de performance est un enjeu décisif dans le champ de la recherche et de l’enseignement supérieur. » [7].
Ces quelques observations permettent ainsi aux rapporteurs de signifier les difficultés qu’engendreront l’approche des ressources supplémentaires qui seront allouées aux universités dans le cadre du "plan Campus" et dans celui du "grand emprunt".
. L’opération Campus contribue essentiellement à la rénovation du patrimoine immobilier universitaire. Elle a pour objectif de faire émerger une dizaine de « campus de niveau international » [8]. Le financement de cette opération s’avère peu transparent. Les universités elles-mêmes ignorent les calculs auxquels elle donne lieu [9] — ce qui justifie la recommandation suivante (n° 16) :« Préciser les conditions de l’éventuel retour financier aux universités bénéficiaires du plan Campus de l’équivalent de la rémunération du capital. Garantir aux universités bénéficiaires l’équivalent de la rémunération du capital de 3,7 milliards d’euros conservé depuis décembre 2007 sur le compte d’affectation spéciale Participations financières de l’État » [10].
. Les "investissements d’avenir" programmés par la loi de finances rectificative du 9 mars 2010 invitent les rapporteurs à se pencher sur le volet du "grand emprunt" concernant les universités [11]. Les "pôles d’excellence" sont les premiers servis. L’ANR est au coeur du processus ce qui permet un développement de la logique de "projets"... tout en encadrant les recherches qui s’y incorporeraient. Cependant, il semblerait que l’adaptation de la gouvernance du système universitaire à ces dispositifs dits "innovants" risque de connaître bien des ratés tant que l’articulation de ces procédures dérogatoires et extrabudgétaires avec la logique de "droit commun" de la LOLF n’est pas établie [12]. Or, « à l’heure actuelle, aucun système de gouvernance précis n’est imposé par l’État pour procéder aux indispensables regroupements d’établissements préalables à la mise en oeuvre des investissements d’avenir et, en particulier, des initiatives d’excellence. En dehors de la fusion d’établissements (Université de Strasbourg), la constitution de PRES peut prendre diverse formes : adoption du statut de grand établissement (Université de Lorraine), création d’un établissement public de coopération scientifique (Paris-Cité) ou constitution d’une fondation de coopération scientifique (Sorbonne Universités). » [13] Les fonctions d’un principe de "performance" en seront donc accrues.
Dans cette perspective, en revenant sur les actions en cours, selon le rapport, « la prise en compte de la performance dans la détermination des moyens accordés aux universités a été renforcée par un nouveau modèle d’allocation des moyens, dénommé SYMPA » [14]. Or, SYMPA distingue le financement de la formation et le financement de la recherche ; il se comprend essentiellement par rapport à la notion économique de "performance" [15]. Il est donc un instrument précieux pour l’évaluation de la performance d’une université ; et parmi les critères retenus, on trouve : "la qualité du projet d’établissement", "la qualité de la gestion de l’université" et "l’attention qualitative portée au volet "vie étudiante". La fonction de la recherche universitaire s’en trouve décalée...
Quoiqu’il en soit, SYMPA couvre de larges domaines, il « inclut les moyens dédiés à la recherche, prend en compte l’université dans toutes ses composantes (notamment les IUT) et les crédits d’allocation de recherche. Il distingue, au sein des crédits alloués et des emplois autorisés aux universités, deux enveloppes principales, l’une consacrée à l’enseignement, l’autre à la recherche, chacune se décomposant en une part "activité" (80 %) et une part "performance" (20 %). S’y ajoutent deux enveloppes spécifiques, l’une spécialement consacrée au "plan Licence", l’autre dédiée à la compensation de l’équivalence entre TP et TD ». [16] Et les rapporteurs s’en félicitent : « Quoique perfectible, ce nouveau modèle s’inscrit incontestablement dans l’esprit de la LOLF, puisque la part des moyens attribués en fonction de la performance est portée à 20 %, à comparer avec seulement 3 % dans l’ancien système. » [17]. Toutefois, des critiques interfèrent : en un premier temps, « la prise en compte de la performance demeure limitée. » ; en un second temps, remarquant que « l’inégalité des taux d’encadrement des universités est susceptible de biaiser leurs performances respectives telles que les mesure le modèle SYMPA », les rapporteurs soulignent un point central de la réforme portée par la LRU qui avait justifié les contestations : « une université connaissant un faible taux d’encadrement ne peut consacrer à la recherche les mêmes moyens qu’une université mieux dotée, dans laquelle les enseignants-chercheurs sont moins sollicités pour des fonctions d’enseignement ou des tâches administratives. Cette problématique n’est aujourd’hui traitée qu’indirectement, par le mécanisme financier de compensation des "emplois manquants", destiné à articuler les dotations en emplois et en crédits attribués par le modèle SYMPA » [18].
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Tout ceci revient à signifier en final que, malgré toutes les questions financières qui interfèrent, « l’évaluation de la performance globale des universités est indissociable d’une évaluation de la performance individuelle des universitaires » [19]...
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D’où une incise : Les rapporteurs approuvent à ce propos la création de la prime d’excellence scientifique [20], pourtant largement critiquée. Mais ils n’insistent pas sur les modalités de son attribution. Ce ne sont pas ces éléments associant activités de recherche et prime d’excellence qui permettront de prendre en considération ce lien étroit entre performance d’une université et qualité de son personnel enseignant et chercheur... De cette approche, découle par ailleurs la dépersonnalisation de chaque enseignant-chercheur et l’appréhension globale de chacun sous le terme de "potentiel" (d’enseignement et de recherche) par les organes de gouvernance des universités.
De toute évidence, les pouvoirs dont sont maintenant investis les présidents d’université, éminemment discrétionnaires, ne sont pas toujours au diapason de la qualité des recherches menées par les enseignants-chercheurs. Désormais, « l’attribution de la prime est décidée par le président de l’université, sur la base de critères fixés par le conseil d’administration après avis du conseil scientifique » [21]. La prime qui peut être attribuée, pour une durée de quatre ans renouvelables, à certains enseignants-chercheurs peut-elle valablement l’être à partir des appréciations que donnerait un président d’université, même s’il se veut éclairé par ses propres conseils — lesquels leur sont nécessairement dévoués ? Ni l’un, ni les autres ne sont au fait des recherches menées par l’un d’entre eux à partir d’un simple dossier calibré suivant les formatages imposés des téléprocédures. De plus, il est indéniable qu’un président d’université pourrait être influencé par ses propres sentiments, par ses croyances et préjugés, par ses amours et désamours...
Or, s’il est un principe substantiel en matière d’appréciation des travaux de recherche scientifique, c’est bien celui de l’objectivité ! [22] S’il est prévu que l’activité scientifique d’un enseignant-chercheur, pour être jugée d’un niveau élevé, devrait être examinée par une "instance d’évaluation" interne à l’université, aucun des membres de cette instance ne devrait être lié, à un titre ou à un autre, aux institutions de gouvernance universitaire. Il faudrait encore que l’instance d’évaluation ne soit pas composée d’examinateurs méconnaissant la matière travaillée et, surtout, que les recherches ne soient pas analysées à travers le seul filtre de la quantité d’une production [23] ! La notion même de "publiant" [24] porte en germe le risque d’un défaussement de l’analyse sur le nombre de publications réalisées. Le nombre ne dit rien du fond. Une résistance à la culture du chiffre peut trouver là à s’appliquer...
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[1] à partir de la page 27.
[2] . V. par ex., L. Ayrault, « LOLF et droit administratif », Droit adm., févr. 2007, Et. 2.
[3] p. 30.
[4] p. 30.
[5] p.32.
[6] p. 32.
[7] p. 32.
[8] p. 37.
[9] v. p. 37 à 41.
[10] p. 40.
[11] v. p. 41 à 47.
[12] p. 45.
[13] p. 45.
[14] SYMPA pour "système de répartition des moyens à la performance et à l’activité", et non en abrégé d’un terme sympathique...
[15] V. Rapport d’information n° 382 (2007-2008) Sénat, Le financement des universités : pour un SYstème de répartition des Moyens à l’Activité et à la Performance (SYMPA).
[16] p. 33.
[17] p. 34.
[18] p. 34.
[19] p. 36.
[20] V. D. n° 2009-851 du 8 juillet 2009 relatif à la prime d’excellence scientifique attribuée à certains personnels de l’enseignement supérieur et de la recherche : « Une prime d’excellence scientifique, qui est la prime d’encadrement doctoral et de recherche prévue par l’article L. 954-2 du code de l’éducation, est attribuée par les établissements publics d’enseignement supérieur et de recherche. /Elle peut être accordée aux personnels dont l’activité scientifique est jugée d’un niveau élevé par les instances d’évaluation dont ils relèvent ainsi qu’à ceux qui exercent une activité d’encadrement doctoral » (art. 1).
[21] Art 3. al. 2, D. n° 2009-851 du 8 juillet 2009 : « Les attributions individuelles sont fixées par le président ou le directeur de l’établissement en fonction de l’évaluation réalisée par l’instance d’évaluation compétente à l’égard de son bénéficiaire en application des règles statutaires afférentes à son corps et, pour les établissements d’enseignement supérieur, après avis du conseil scientifique. »
[22] Lequel exige le respect des procédures relatives à toute décision individuelle de ce type, dont le premier temps est celui de "l’examen particulier du dossier"...
[23] Mieux vaut peu d’articles de qualité que beaucoup d’écrits faits de répétitions diversifiées.
[24] V. « Qui sera un chercheur « publiant » ? Les réponses de l’AERES » ; v. aussi les tableaux proposés sur le site de Reims : Dossier chercheurs "publiants" et classification des revues en SHS.