Le 25 avril 2018, par Geneviève Koubi,
Rien ne sert de compter combien de fois a été modifiée la composition du corps électoral pour la consultation prévue depuis les accords de Matignon (26 juin 1988) entérinés sur le terrain électoral ou l’accord de Nouméa (5 mai 1998), également enregistré sociologiquement mais seul validé en termes juridiques par la Constitution – chacun choisissant son repère temporel.
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Le décret n° 2018-295 du 24 avril 2018 portant création de deux traitements de données pour la mise en œuvre des articles 1er, 2 et 6 de la loi organique n° 2018-280 du 19 avril 2018 relatif à l’organisation de la consultation sur l’accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie vient donc confirmer la dernière modification du corps électoral pour un futur statut à accorder à la Kanaky ou à la Nouvelle-Calédonie après la consultation du 4 novembre 2018 en réponse à la question : « Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ? » [1]
Ce décret concerne la création de traitements automatisés de données et présente d’autres dispositions relatives aux procédures d’inscription d’office sur les listes électorales de la Nouvelle-Calédonie. Ainsi que le rappelle la notice du décret, « la loi organique n° 2018-280 du 19 avril 2018 relative à l’organisation de la consultation sur l’accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie prévoit des dispositifs d’inscriptions d’office sur les listes électorales de la Nouvelle-Calédonie : d’une part, l’inscription d’office sur la liste électorale générale de tous les résidents depuis six mois au moins et n’étant pas déjà inscrits sur une liste électorale, et d’autre part, l’inscription d’office sur la liste électorale spéciale à la consultation des électeurs qui, nés en Nouvelle-Calédonie, y résident depuis trois ans au moins et sont présumés, à ce titre, y détenir le centre de leurs intérêts matériels et moraux. » Deux traitements automatisés de données sont donc créés pour « identifier ces deux catégories de personnes, en vue de les inscrire d’office sur l’une et/ou l’autre de ces listes ». Ceci étant, la distinction entre ces catégories ne devrait pas être retenue au moment du vote – indépendamment des prévisions énoncées à propos d’un certain taux d’ abstention. Le risque est cependant que l’utilisation qui en serait faite par la suite pour de prétendues études statistiques contrevienne à ce principe d’égalité.
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Le décret n° 2018-295 du 24 avril 2018 fait suite au décret n° 2018-286 du 19 avril 2018 relatif à l’instauration en Nouvelle-Calédonie de périodes complémentaires de révision de la liste électorale générale et de la liste électorale spéciale à la consultation dont l’article 2 précise que « sont inscrites d’office sur la liste électorale de la commune de leur domicile réel les personnes qui remplissent la condition d’âge depuis la dernière clôture définitive des listes électorales ou la rempliront au plus tard le 4 novembre 2018, sous réserve qu’elles répondent aux autres conditions prescrites par la loi » (dernier alinéa). Selon l’article de ce décret du 19 avril 2018, c’est au 25 juin 2018 au plus tard, que « la commission administrative de chaque bureau de vote opère toutes les rectifications régulièrement ordonnées et arrête définitivement la liste électorale » [2].
En sus, c’est « du 1er juillet 2018 au 15 juillet 2018 au plus tard, [que] la commission administrative spéciale procède aux inscriptions d’office compte tenu des résultats préparatoires des travaux conduits par l’Institut de la statistique et des études économiques de la Nouvelle-Calédonie, instruit les demandes d’inscription transmises par l’autorité municipale et opère les inscriptions et radiations de droit. » [3]. Étant précisé que « La liste des électeurs inscrits d’office par la commission administrative spéciale est affichée le 16 juillet 2018 pendant cinq jours... » [4] Tandis que ce ne sera que le 31 août 2018 au plus tard, que la commission administrative spéciale opérera toutes les rectifications régulièrement ordonnées à la suite de recours [5]
La création de ces traitements automatisées de données à caractère personnel par le décret n° 2018-295 du 24 avril 2018 s’inscrit donc dans ce cadre.
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Dans ses visas, le décret n° 2018-295 du 24 avril 2018 cite certes « le décret n° 2015-1922 du 29 décembre 2015 pris pour l’application du premier alinéa du II bis de l’article 219 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie et modifiant les articles R. 222, R. 223 et R. 224 du code électoral » mais il fait aussi état des « délibérations portant autorisation de la Commission nationale de l’informatique et des libertés en date du 22 mars 2018 ». Auparavant, un avis de la CNIL n° 2016-350 du 17 novembre 2016 sur un projet de décret relatif aux opérations de croisement de fichiers destinées à améliorer l’exhaustivité des listes électorales de Nouvelle-Calédonie avait relevé que « plusieurs catégories d’électeurs font l’objet d’une inscription d’office sur la liste électorale spéciale à la consultation, c’est-à-dire d’une dispense de formalités pour s’y inscrire. Ce mécanisme dérogatoire aux principes du droit électoral tend à simplifier le plus possible les démarches des électeurs appelés à se prononcer sur l’enjeu de l’accession à la pleine souveraineté ». [6]. A la suite des différentes références citées dans ces visas [7] est mentionnée cette formule « Vu l’urgence ». Urgence ? Urgence de la création de fichiers ? Les listes électorales n’étaient-elles pas déjà en composition depuis la promulgation de la loi et la publication du décret ?
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Les procédures d’inscription d’office sur les listes électorales ne sont pas anodines… surtout lorsqu’elles induisent une interconnexion de fichiers. ... L’article 1er du décret n° 2018-295 du 24 avril 2018 prévient qu’il « est créé un traitement automatisé de données à caractère personnel ayant pour objet l’interconnexion de fichiers ».
Les fichiers concernés par cette interconnexion sont présentés à l’article 4 : « Nonobstant les actes de création et d’autorisation régissant leur fonctionnement et définissant les catégories de personnes susceptibles d’accéder aux données qui y sont enregistrées, l’Institut de la statistique et des études économiques de la Nouvelle-Calédonie a accès à des extractions de données à partir des fichiers détenus par les administrations ou organismes suivants : 1° Fichier centralisé de l’état civil coutumier de la direction de la gestion et de la réglementation des affaires coutumières ; 2° Fichiers de l’aide médicale gratuite des provinces de la Nouvelle-Calédonie ; 3° Registres et fichiers de l’état civil de droit commun des communes de la Nouvelle-Calédonie ; 4° Registres et fichiers de l’état civil de droit commun détenus par la direction des affaires juridiques de la Nouvelle-Calédonie ; 5° Fichiers des bénéficiaires de prestations de la caisse de compensation des prestations familiales, des accidents du travail et de prévoyance des travailleurs de la Nouvelle-Calédonie ; 6° Fichiers des adresses des affiliés des mutuelles dont le siège social est situé en Nouvelle-Calédonie ; 7° Fichier général des électeurs inscrits sur les listes électorales de la Nouvelle-Calédonie mentionné au VII de l’article 189 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 susvisée ; 8° Fichier général des électeurs tenu par l’Institut national de la statistique et des études économiques ; 9° Fichier général des électeurs inscrits sur les listes électorales de la Polynésie française, tenu par l’Institut de la statistique de la Polynésie française ; 10° Fichiers des électeurs inscrits sur les listes électorales des îles Wallis et Futuna. » [8].
Ces interconnexions sont-elles vraiment indispensables pour « identifier les personnes physiques de nationalité française, majeures, non inscrites sur une liste électorale, ayant leur domicile réel dans une commune de la Nouvelle-Calédonie ou y habitant depuis six mois au moins » comme le signifie l’article 1er ?
Dans ce premier fichier d’interconnexions sont donc enregistrées les données à caractère personnel classiques (nom, prénom, nationalité, date et lieu de naissance, adresse postale) et, donc aussi bien curieusement, « les dates d’affiliation aux régimes sociaux et durées de présence dans les fichiers sociaux ». Ces données doivent être conservées jusqu’à l’expiration du délai de « six mois à compter de la date de chacune des consultations sur l’accession à la pleine souveraineté » avant d’être détruites (art. 9).
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Un autre traitement est alors créé pour l’identification des personnes devant être inscrites d’office sur la liste électorale spéciale à la consultation. L’article 10 du décret n° 2018-295 du 24 avril 2018 évoque encore une fois l’interconnexion de fichiers qui permettrait de recenser « les personnes physiques qui, nées en Nouvelle-Calédonie, et inscrites sur les listes électorales générales de la Nouvelle-Calédonie, ont été domiciliées en Nouvelle-Calédonie de manière continue durant trois ans, appréciés à la date et dans les conditions fixées par l’article 218-3 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 susvisée, afin d’être inscrites d’office sur la liste électorale spéciale à la consultation qui sera organisée au cours du quatrième mandat du congrès. »
Dans ce traitement, sont enregistrées les même catégories de données à caractère personnel que celles envisagées dans le traitement précédent. Cependant, pour ce faire, l’article 13 du décret prévoit que l’Institut de la statistique et des études économiques de la Nouvelle-Calédonie « a accès à des extractions de données à partir des fichiers détenus par les administrations ou organismes suivants : 1° Fichier centralisé de l’état civil coutumier de la direction de la gestion et de la réglementation des affaires coutumières ; 2° Fichiers de l’aide médicale gratuite des provinces de la Nouvelle-Calédonie ; 3° Registres et fichiers de l’état civil de droit commun des communes de la Nouvelle-Calédonie ; 4° Registres et fichiers de l’état civil de droit commun détenus par la direction des affaires juridiques de la Nouvelle-Calédonie ; 5° Fichiers des bénéficiaires de prestations de la caisse de compensation des prestations familiales, des accidents du travail et de prévoyance des travailleurs de la Nouvelle-Calédonie ; 6° Fichiers des adresses des affiliés des mutuelles dont le siège social est situé en Nouvelle-Calédonie ; 7° Fichier général des électeurs inscrits sur les listes électorales de la Nouvelle-Calédonie mentionné au VII de l’article 189 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 susvisée. » La destruction des données est prévue dans les mêmes conditions que le traitement précédent.
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D’autres dispositions sont relatives aux cas d’inscription d’office. Elles consistent en l’ajout d’un 4° à l’article 5 du décret n° 2015-1922 du 29 décembre 2015 pris pour l’application du premier alinéa du II bis de l’article 219 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie et modifiant les articles R. 222, R. 223 et R. 224 du code électoral.
Cet article 5 dispose donc désormais : « La commission administrative spéciale, instituée en application du II de l’article 189 de la loi organique du 19 mars 1999, établit chaque année la liste électorale spéciale à la consultation sur l’accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté à partir, notamment, de la liste électorale en vigueur, de la liste électorale pour l’élection des membres du congrès de la Nouvelle-Calédonie et des assemblées de province, de la liste électorale spéciale pour la consultation du 8 novembre 1998 et du fichier des personnes relevant du statut civil coutumier. / A ce titre : 1° Elle inscrit sur la liste électorale spéciale, à leur demande, les électeurs satisfaisant aux conditions prévues à l’article 218 de la loi organique du 19 mars 1999 ; 2° Elle procède à l’inscription d’office des électeurs mentionnés au II de l’article 218-2 de la même loi organique ; 3° Elle procède à l’inscription d’office des personnes âgées de dix-huit ans, dans les conditions prévues au III du même article 218-2 ; 4° Elle procède, pour la consultation qui sera organisée au cours du quatrième mandat du congrès de la Nouvelle-Calédonie, à l’inscription d’office des électeurs nés en Nouvelle-Calédonie et présumés y détenir le centre de leurs intérêts matériels et moraux mentionnés au d de l’article 218 de la loi organique du 19 mars 1999, dès lors qu’ils y ont été domiciliés de manière continue durant trois ans, dans les conditions prévues à l’article 218-3 de la même loi organique. ». .
Même si on s’interroge encore sur le fait que cette consultation électorale n’ait pu avoir lieu bien plus tôt - ce qui aurait du…- , on ne peut qu’observer le souci que les différents gouvernements depuis 1988 ou 1998 ont de composer un corps électoral qui soit favorable au « non » à la pleine souveraineté...
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[1] Sans oublier que la formulation de la question posée n’a pas été facile. V. « Nouvelle-Calédonie : compromis sur la question posée lors du référendum d’indépendance…
[2] D. n° 2018-286 du 19 avril 2018 art. 7.
[3] Décr. n° 2018-286 du 19 avril 2018, art. 9.
[4] Première phrase de l’art. 11.
[5] Art. 12.
[6] La recherche effectuée n’a pas permis de retrouver les autorisations du 22 mars 2018. N’auraient-elles pas été publiées ?
[7] Outre les textes juridiques, y sont ajoutés l’avis du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie en date du 19 mars 2018 et l’avis du congrès de la Nouvelle-Calédonie en date du 21 mars 2018.
[8] C’est effectivement l’Institut de la statistique et des études économiques de la Nouvelle-Calédonie qui est chargé, pour le compte de l’État, de mettre en œuvre ce traitement automatisé (art. 2).