Le 30 janvier 2014, par Geneviève Koubi,
Une circulaire du 16 janvier 2014, mise en ligne le 29 janvier 2014, envisage "la mise en place d’actions visant à améliorer l’accès aux droits sociaux" en retenant l’une des orientations du plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale adopté le 21 janvier 2013 lors du Comité interministériel de lutte contre les exclusions.
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Ce plan, qui répond à « un engagement de campagne du Président de la République, annoncé par le Premier ministre dans son discours de politique générale le 3 juillet 2012 » [1], comporte trois axes : réduire les inégalités et prévenir les ruptures ; venir en aide et accompagner vers l’insertion ; coordonner l’action sociale et valoriser ses acteurs.
"Cinq grands principes" structurent l’approche gouvernementale :
. un principe d’objectivité : « Les efforts de redistribution consentis par les Français n’empêchent pas la croissance des écarts de revenus entre les plus riches et les plus pauvres ; le chômage de longue durée est, à ce jour, structurel ; le contrat à durée indéterminée à temps plein ne constitue plus la norme d’embauche et le travail protège moins efficacement de la pauvreté que par le passé ; la famille nucléaire n’est plus la règle et l’isolement gagne chaque jour du terrain ; les quartiers urbains sensibles et les zones rurales en déclin n’ont pas été résorbés ; les inégalités persistantes d’accès aux soins sont directement liées aux conditions sociales ; près du quart des 18-25 ans vit sous le seuil de pauvreté ; c’est aussi le cas de plus du tiers des femmes vivant seules avec des enfants. Dans ces conditions, continuer à considérer les pauvres et les précaires comme une minorité marginale, peu ou prou responsable de sa situation, est un non-sens sociologique autant qu’une irresponsabilité politique. » [2]
. un principe de non-stigmatisation : « c’en est fini de la dénonciation de la paresse ou de la malhonnêteté des ménages modestes. Les personnes en situation de pauvreté ou de précarité veulent surmonter leurs difficultés. Elles veulent trouver ou retrouver un travail valorisant, des conditions de vie dignes, elles veulent une éducation de qualité pour leurs enfants, elles veulent pouvoir se considérer à nouveau comme des citoyens à part entière, légitimes dans l’exercice de leurs droits. Les populations en difficulté sociale ne sont pas fixes, les frontières de la pauvreté se déplacent à chaque instant, de ruptures en rebonds, chacun vivant en interdépendance avec le reste de la société » [3].
. un principe de participation des personnes en situation de pauvreté ou de précarité à l’élaboration et au suivi des politiques publiques : « sans se substituer à la représentation assurée par les associations et les partenaires sociaux, la parole des personnes directement concernées par les difficultés sociales (...) nourrit les propositions politiques, elle permet une confrontation systématique de ces propositions aux réalités quotidiennes de leurs bénéficiaires potentiels, et, bien sûr, elle permet à ces personnes – ainsi qu’à leurs pairs – de se reconstruire dans leur statut de citoyen à part entière » [4].
. un principe de juste droit : « il est urgent de s’attaquer au phénomène du non-recours aux droits sociaux, qui a pris des proportions inquiétantes. Pour des raisons diverses, comme l’absence d’information, la complexité administrative, la méfiance à l’égard de l’institution ou même la perte de la conviction d’avoir des droits, un grand nombre de personnes ne demandent rien et ne bénéficient pas des droits auxquels elles peuvent légitimement prétendre » [5].
. un principe de décloisonnement des politiques sociales : « Chaque action proposée dans le cadre de ce plan relèvera d’un chef de file ministériel, qui aura la responsabilité de la mener à bien. Autrement dit, la solidarité prend maintenant place dans chaque pan de l’action publique. Ce principe va de pair, sur le terrain, avec un changement des pratiques, dans le sens d’une meilleure coordination des acteurs, publics, associatifs et privés, autour de l’accompagnement des personnes jusqu’à leur insertion réussie, au-delà d’une stricte logique de dispositifs » [6].
La circulaire n° DGCS/SD1B/2014/14 du 16 janvier 2014 relative à la mise en place d’actions visant à améliorer l’accès aux droits sociaux rappelle explicitement trois de ces principes : le principe de du juste droit, le principe de participation et d’écoute des personnes en difficulté, le principe de décloisonnement des politiques sociales et de leur coordination locale.
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Le premier volet du premier axe du Plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale forme le thème de la circulaire n° DGCS/SD1B/2014/14 du 16 janvier 2014 relative à la mise en place d’actions visant à améliorer l’accès aux droits sociaux : "Accès aux droits : lutter contre le non-recours et sécuriser les aides".
Quelques éléments relatifs à cette question sont abordés dès l’introduction générale au Plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale [7]. C’est le phénomène du "non-recours aux droits sociaux", c’est-à-dire le renoncement des personnes "en situation de reste-pour-vivre nul ou négatif" à l’aide organisée pour elles, qui est particulièrement jugé préoccupant en matière d’application des politiques de solidarité sociale. Aussi, « l’amélioration de l’accès aux droits doit devenir un objectif politique à part entière » afin « de sortir du procès en assistanat des politiques de solidarité nationale ».
Le paragraphe consacré spécifiquement à cette question de l’amélioration de l’accès aux droits sociaux [8] reprend l’antienne de la ’fraude’, invitant les préfets déjà "investis de missions de coordination des actions de lutte contre la fraude", à « développer des liens entre les différents services accueillant des personnes en situation de précarité (CAF, CPAM, CCAS, services sociaux des conseils généraux, centres sociaux, points d’accès au droit, maison de la justice et du droit…) afin, notamment, d’organiser le repérage des personnes en difficulté et leur accompagnement vers l’ouverture de leurs droits, le ciblage des actions de communication sur les personnes faisant le moins valoir leurs droits ».
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Précédemment, une circulaire n° 1057/13/SG du Premier ministre en date du 7 juin 2013 relative à la mise en œuvre du plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale appelait « la mobilisation de tous - élus, administrations, collectivités publiques, partenaires sociaux, associations et citoyens - au plan national comme au plan territorial ».
Cette circulaire de 2013 qui exposait aussi les cinq grands principes devant assurer la démarche de la lutte contre la pauvreté, fixait comme objectif la réduction du non-recours aux droits en demandant à ce que les différents services concernés, des organismes de sécurité sociale à Pôle emploi comme aux associations qualifiées caritatives, ’d’organiser le repérage des personnes en difficulté’ afin de les orienter vers les services correspondants - et de les domicilier [9].
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Pour sa part, sans que l’orientation du discours gouvernemental ait fondamentalement changé, la circulaire du 16 janvier 2014 prend en considération l’expérimentation qui fut menée durant plus d’une année dans les départements de Loire-Atlantique et de Seine-et-Marne.
L’idée de "lutter contre le non-recours aux droits sociaux" et d’améliorer l’accès à ces droits n’est pas nouvelle. Seulement, d’autres méthodes, d’autres outils devraient être utilisés.
Ainsi, l’annexe 1 de la circulaire présente une "méthodologie sur l’amélioration de l’accès aux droits" ; cette annexe présentée comme un "document méthodologique" faciliterait la mise en œuvre de la démarche éprouvée dans les deux territoires d’expérimentation. « Ce document s’articule autour des 3 temps forts de la démarche : · Impulser une mobilisation locale ; · Mettre en œuvre les actions ; · Mesurer l’impact de ces mesures et les pérenniser ». Ainsi que le précise le ’résumé’ de la circulaire présenté sur le site ’circulaire....gouv.fr’, « le gouvernement souhaite ... poursuivre son engagement en accompagnant le déploiement de cette expérimentation sur l’ensemble des territoires, en tenant compte des spécificités propres à chacun d’entre eux et en favorisant la mobilisation de l’ensemble des acteurs concernés ».
Pour une fois, sont donc mentionnés dans un document administratif, à l’image de cette circulaire du 16 janvier 2014, les enseignements à tirer d’une expérimentation menée sur le terrain.
La présente circulaire ne fait pourtant pas directement état des procédés utilisés et des résultats obtenus. Il est seulement énoncé qu’à la suite d’un diagnostic de terrain composé "à partir des parcours d’usagers" avaient été identifiés les obstacles au recours de différents droits sociaux, ainsi « plusieurs solutions ont pu être travaillées et mises en œuvre : · actions d’information/détection comme l’envoi d’un courrier d’information sur le RSA socle aux demandeurs d’emploi ayant de faibles indemnités journalières ; · actions d’orientation comme la mise en place de rendez-vous des droits dans les CAF/CPAM ; · actions de simplification comme l’ouverture automatique du droit à l’ACS aux bénéficiaires d’un minimum vieillesse, sans demande de leur part ni exigence de pièces justificatives. » D’autres modalités sont également signalées : simplification des dossiers de demande d’aide ; proposition de rencontre en des rendez-vous personnalisé avec des agents des organismes concernés (CAF) [10].
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Toutefois, deux points font l’objet de précisions : L’adaptation aux spécificités locales ; les partenariats. Ces deux objets justifient la diffusion de la circulaire du 16 janvier 2014.
Sur le premier point, il est signifié que la démarche réalisée ne constitue pas un mode d’emploi. Il reviendra aux acteurs impliqués dans la lutte contre la pauvreté et les exclusions sociales "de l’adapter et de la dimensionner selon chaque territoire" : « En effet, il est essentiel que chaque territoire détermine les priorités dans les actions à réaliser, identifie de manière concertée les acteurs porteurs de chacune des actions et s’assure du suivi et de l’évaluation de ces actions (...) L’objectif est d’apporter des réponses adaptées à chaque territoire aux difficultés d’accès aux droits sociaux qui auront été identifiées ».
Pour ce qui concerne les partenariats, comme les « actions d’information/détection et d’orientation requier(en)t une mobilisation et une coordination de l’ensemble des acteurs dans le cadre d’une dynamique partenariale », devrait être constitué un groupe de travail, ou bien cette thématique devrait être ajoutée à une instance préexistante : « il s’agira de rassembler les services de l’État compétents, les collectivités territoriales (Conseil général, communes), les différents organismes de sécurité sociale (CAF, CPAM, CARSAT, MSA…), Pôle emploi, Cap emploi, les associations caritatives, les partenaires sociaux, mais aussi des bénéficiaires qui doivent prendre toute leur part dans la mise en œuvre et le suivi des actions ».
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Dès lors, parce que les échanges et les retours d’expérience sont indispensables, « un extranet sera mis à disposition des territoires. Il s’agira · de mettre à disposition des supports méthodologiques plus précis (méthode de diagnostic approfondi, évaluation et bilan) ; · de fournir l’information disponible et de répondre à l’ensemble des questions ; · de mettre à disposition l’ensemble des expériences menées dans les différents départements afin que les services puissent échanger sur les bonnes pratiques ».
Mais, même si la question territoriale est pensée comme substantielle, « deux instances nationales permettront d’échanger sur les différentes initiatives prises au niveau local : - Le groupe de "référents accès aux droits" issus des caisses de sécurité sociale, du Pôle emploi, du fonds CMU et des administrations (direction générale de la cohésion sociale, direction de la sécurité sociale, secrétariat général à la modernisation de l’action publique) ; - Le club des expérimentateurs issus de l’évaluation des politiques publiques sur la gouvernance territoriale des politiques de lutte contre l’exclusion ». Ce peut être un moyen de conserver les lignes initialement présentées dans le plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale du 21 janvier 2013. Ce peut être aussi un moyen de freiner certaines initiatives locales, de les réguler, de les enserrer suivant un objectif comptable et quantitatif : réduire les demandes d’aide qui pourraient être infondées, susciter les demandes d’aide correspondant à des données vitales. Ce peut être encore un moyen de contrôler les personnes pauvres ou démunies sans remédier aux situations comme aux faits qui les y ont conduits [11].
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Dès lors, dans cette circulaire au beau libellé qui voudrait faire penser à une réelle amélioration de l ’accès aux droits sociaux, l’attention est nécessairement portée sur les mécanismes de gouvernance territoriale, elle ne se tourne pas vers la situation des personnes en difficulté qui n’ont pu, pour des raisons diverses, faire valoir leurs droits...
[1] Ainsi que cela est mentionné dans l’annexe 1 de la circulaire n° DGCS/SD1B/2014/14 du 16 janvier 2014 relative à la mise en place d’actions visant à améliorer l’accès aux droits sociaux.
[2] Plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, p. 4.
[3] id. p. 4-5.
[4] id. p. 5.
[5] id. p. 5. V. par ailleurs, D. Roman (dir.), Dossier thématique RevDH n° 2 : La justiciabilité des droits sociaux.
[6] id. p. 5.
[7] Plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale , p. 5 et suiv.
[8] id. p. 11 et suiv.
[9] V. en attendant la réforme de la domiciliation, D. n° 2007-893 du 15 mai 2007 relatif à la domiciliation des personnes sans domicile stable.
[10] Ce qui pourrait démontrer à quel point les téléprocédures et les téléservices ne sont pas nécessairement adaptés au domaine des droits sociaux : v. G. Koubi, « Services en ligne et droits sociaux », Informations sociales, n° 178, 2013/4, p. 44 : Gérer les droits sociaux.
[11] Et le principe de non-stigmatisation exposé dans le plan interministériel se trouverait décomposé...