Le 19 novembre 2009, par Geneviève Koubi,
Dans une note de service n° 2009-162, en date du 5 novembre 2009 [1], le ministre de l’éducation nationale rappelle que le 20ème anniversaire de la Convention internationale des droits de l’enfant « doit être l’occasion pour les acteurs de la communauté éducative de mettre à jour leur connaissance des principes et des dispositions de cette convention ». De fait, ce ne sont pas les seuls acteurs de la communauté éducative qui se trouveraient concernés par cette démarche. Toutefois, la dynamique se comprend au risque d’une instrumentalisation politique et administrative de ce jour anniversaire [2] ; pourtant, objectivement, un même mouvement d’incitation à "une mise à jour" de cette connaissance pourrait être conduit à l’égard des pouvoirs publics, des intervenants économiques, des autorités administratives, des forces de police, des institutions juridictionnelles, etc.
La France rejoint la communauté internationale pour fêter le 20ème anniversaire de la Convention internationale des droits de l’enfant. Le 20 novembre 1989, les États signataires s’étaient engagés « à assurer la protection de l’enfant » et avaient affirmé « le reconnaître comme un sujet de droit ». Ces deux versants d’une démarche dont la fonction discursive se voudrait plus qu’incitative, exposent l’une des ambiguïtés d’un texte dont les lectures et les interprétations oscillent entre protection des intérêts de l’enfant et attribution de droits de plein exercice à l’enfant. Car, d’une certaine manière, « donner à l’enfant la connaissance de ses droits » suppose lui en laisser la jouissance. Mais, le texte de la Convention n’a pu effacer la qualité prégnante de “l’autorité”, quelle qu’en soit la source — du père, du guide ou du maître.
Certes, « la connaissance de la Convention internationale des droits de l’enfant participe de la construction progressive de la citoyenneté et d’une réflexion sur les valeurs communes ». Toutefois, derrière les thèses sous-jacentes que la formule emporte, pointe le risque d’une mobilisation politique de la Convention jusque dans l’enceinte des écoles, collèges et lycées. Tel est le cas lorsque la note de service du 5 novembre 2009 prétend faire du texte de la convention un élément constitutif du "socle commun". Ce socle commun fait l’objet de l’article L. 122-1-1 du Code de l’éducation ; les premiers alinéas de cet article disposent : « La scolarité obligatoire doit au moins garantir à chaque élève les moyens nécessaires à l’acquisition d’un socle commun constitué d’un ensemble de connaissances et de compétences qu’il est indispensable de maîtriser pour accomplir avec succès sa scolarité, poursuivre sa formation, construire son avenir personnel et professionnel et réussir sa vie en société. Ce socle comprend : /- la maîtrise de la langue française ; /- la maîtrise des principaux éléments de mathématiques ; /- une culture humaniste et scientifique permettant le libre exercice de la citoyenneté ; /- la pratique d’au moins une langue vivante étrangère ; /- la maîtrise des techniques usuelles de l’information et de la communication [3]. » Si la Convention, parce qu’elle reposerait sur "une culture humaniste", fait « partie du socle commun de connaissances et de compétences, qui doit être acquis par tous les élèves à la fin de la scolarité obligatoire », encore faudrait-il que sa lecture ne se trouve pas par avance recomposée autour de quelques thèses choisies par l’administration centrale. Il est encore précisé dans la note que « les programmes d’enseignement, en particulier d’éducation civique au collège, prévoient l’étude de certains articles de la convention. » La segmentation que suppose la sélection de certains articles et la dissociation sous-entendue d’avec la considération des droits de l’homme formeraient, en quelque sorte, les cadrages d’une (mé-)connaissance des droits de l’enfant...
Le 20 novembre, Journée internationale des droits de l’enfant, serait « progressivement devenu un moment privilégié de réflexion et d’éducation sur les valeurs portées par ce texte (de la Convention) » ; mais, lorsque, pour ces 20 ans, il est prétendu nécessaire de donner à la convention un relief particulier, se borner à inviter la communauté éducative à « s’associer aux différents événements commémoratifs organisés en France », revient implicitement à dénier au texte sa permanence et son actualité, et surtout son lien indéfectible avec les droits de l’homme et du citoyen. Signaler qu’une « page d’information sur les différentes actions et ressources éducatives proposées à l’occasion de cet anniversaire sera consultable sur le site www.education.gouv.fr » est de faible portée au regard de l’objectif qui est « de promouvoir une meilleure connaissance des droits et des conditions de vie des enfants dans le monde ». Quant aux remarques relatives au partenariat "ministère de l’Éducation nationale/UNICEF-France" suivant une convention du 21 février 2006, elles semblent être particulièrement construites autour du schème de "la protection de l’enfance" plus que de celui de la “reconnaissance des droits” [4].
En un paragraphe, la philosophie initiale de la Convention internationale des droits de l’enfant est remodelée : « Plusieurs articles de la Convention internationale des droits de l’enfant concernent le droit d’être protégé contre toutes les formes de violence. Lieu d’éducation, de prévention et de protection, l’institution scolaire joue dans ce domaine un rôle essentiel. L’École a en effet pour mission de sensibiliser les élèves à la prise en compte des risques qu’ils peuvent encourir dans la vie quotidienne et aux différentes formes de dangers auxquels ils peuvent être confrontés. Il lui appartient de faire connaître le dispositif de protection de l’enfance mis en place par la loi n° 2007-293 du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance. » Deux articles du Code de l’action sociale et des familles sont issus de cette loi ; l’article L. 112-3 dispose ainsi que : « La protection de l’enfance a pour but de prévenir les difficultés auxquelles les parents peuvent être confrontés dans l’exercice de leurs responsabilités éducatives, d’accompagner les familles et d’assurer, le cas échéant, selon des modalités adaptées à leurs besoins, une prise en charge partielle ou totale des mineurs. Elle comporte à cet effet un ensemble d’interventions en faveur de ceux-ci et de leurs parents. (...). La protection de l’enfance a également pour but de prévenir les difficultés que peuvent rencontrer les mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille et d’assurer leur prise en charge. ». L’article L. 112-4 indique que : « L’intérêt de l’enfant, la prise en compte de ses besoins fondamentaux, physiques, intellectuels, sociaux et affectifs ainsi que le respect de ses droits doivent guider toutes décisions le concernant. »
L’article 3 de la Convention peut constituer la base de cette orientation donnée par le ministre à cet anniversaire. Il est l’article vers lequel converge le regard ; il relève plus généralement la "protection des intérêts de l’enfant" : « 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. 2. Les États parties s’engagent à assurer à l’enfant la protection et les soins nécessaires à son bien-être, compte tenu des droits et des devoirs de ses parents, de ses tuteurs ou des autres personnes légalement responsables de lui, et ils prennent à cette fin toutes les mesures législatives et administratives appropriées. 3. Les États parties veillent à ce que le fonctionnement des institutions, services et établissements qui ont la charge des enfants et assurent leur protection soit conforme aux normes fixées par les autorités compétentes, particulièrement dans le domaine de la sécurité et de la santé et en ce qui concerne le nombre et la compétence de leur personnel ainsi que l’existence d’un contrôle approprié. » Mais, ce n’est pas fondamentalement sur ce point qu’insiste la note de service du 5 novembre 2009...
Confirmant la divergence d’appréciation entre droits de l’enfant et protection des intérêts de l’enfant, la note de service du 5 novembre 2009 retient surtout la problématique relevant de l’article 19 de la Convention : « Les États parties prennent toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l’enfant contre toutes formes de violence, d’atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, d’abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d’exploitation, y compris la violence sexuelle, pendant qu’il est sous la garde de ses parents ou de l’un d’eux, de son ou ses représentants légaux ou de toute autre personne à qui il est confié ». Elle revient ainsi à placer l’article L. 542-3 du Code de l’éducation en un article témoin : « Au moins une séance annuelle d’information et de sensibilisation sur l’enfance maltraitée est inscrite dans l’emploi du temps des élèves des écoles, des collèges et des lycées. / Ces séances, organisées à l’initiative des chefs d’établissement, associent les familles et l’ensemble des personnels, ainsi que les services publics de l’Etat, les collectivités locales et les associations intéressées à la protection de l’enfance. »
Qu’en est-il alors des "droits de l’enfant" ? Dans bien des rapports et études, certains de ces droits sont mis en exergue comme, par exemple, les libertés d’opinion, de conscience et d’expression [5] ; d’autres sont plus rarement signalés ou bien, les combinaisons normatives auxquels ils conduisent, sont décalées ou recadrées. Plusieurs exemples de dispositions écartées des dynamiques d’un anniversaire pourraient être donnés. Ainsi, selon l’article 7 de la Convention : « 1. L’enfant est enregistré aussitôt sa naissance et a dès celle-ci le droit à un nom, le droit d’acquérir une nationalité et, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et être élevé par eux ; 2. Les États parties veillent à mettre ces droits en œuvre conformément à leur législation nationale et aux obligations que leur imposent les instruments internationaux applicables en la matière, en particulier dans les cas où faute de cela l’enfant se trouverait apatride. ». Du fait de l’article 8 : « 1. Les États parties s’engagent à respecter le droit de l’enfant de préserver son identité, y compris sa nationalité, son nom et ses relations familiales, tels qu’ils sont reconnus par la loi, sans ingérence illégale. 2. Si un enfant est illégalement privé des éléments constitutifs de son identité ou de certains d’entre eux, les États parties doivent lui accorder une assistance et une protection appropriées, pour que son identité soit rétablie aussi rapidement que possible. ». Relire l’article 9 en son intégralité ou ne serait-ce qu’en ses paragraphes 1. et 4. indique combien certaines décisions administratives peuvent constituer autant de manquements aux engagements pris en 1989 : « 1. Les États parties veillent à ce que l’enfant ne soit pas séparé de ses parents contre leur gré, à moins que les autorités compétentes ne décident, sous réserve de révision judiciaire et conformément aux lois et procédures applicables, que cette séparation est nécessaire dans l’intérêt supérieur de l’enfant. (...). » ; « 4. Lorsque la séparation résulte de mesures prises par un État partie, telles que la détention, l’emprisonnement, l’exil, l’expulsion ou la mort (y compris la mort, quelle qu’en soit la cause, survenue en cours de détention) des deux parents ou de l’un d’eux, ou de l’enfant, l’État partie donne sur demande aux parents, à l’enfant ou, s’il y a lieu, à un autre membre de la famille les renseignements essentiels sur le lieu où se trouvent le membre ou les membres de la famille, à moins que la divulgation de ces renseignements ne soit préjudiciable au bien-être de l’enfant. (...). » Par ailleurs, l’article 22 1. de la Convention stipule : « Les États parties prennent les mesures appropriées pour qu’un enfant qui cherche à obtenir le statut de réfugié ou qui est considéré comme réfugié en vertu des règles et procédures du droit international ou national applicable, qu’il soit seul ou accompagné de ses père et mère ou de toute autre personne, bénéficie de la protection et de l’assistance humanitaire voulues pour lui permettre de jouir des droits que lui reconnaissent la présente Convention et les autres instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme ou de caractère humanitaire auxquels lesdits États sont parties..... ». Etc.
La note de service du 5 novembre 2009 ne se préoccupe pas de ces questions ; pourtant comment oublier qu’une circulaire du ministère de l’Intérieur du 13 juin 2006 avait invité les parents sans papiers d’enfants scolarisés à constituer leur dossier pour une régularisation "à titre exceptionnel et humanitaire" [6] ? La note ne rend pas plus compte des priorités qui avaient été déterminées en trois thèmes au sein des organisations internationales (ONU ; HCDH) ; ces trois thèmes retraduisaient les ’défis’ que rencontrent, en bien des Etats, la mise en oeuvre des engagements et l’application de la Convention : dignité, développement et dialogue [7], chacun de ces défis concernant l’enfant, son épanouissement personnel, sa place dans un monde en ébullition constante, son intégration dans une société multipolaire. Mais faut-il croire qu’en France, les horizons sont limités ? La séance annuelle prévue à l’article L. 542-3 du Code de l’éducation, mise en œuvre à chaque niveau d’enseignement, a simplement pour objet d’asseoir la Journée internationale des droits de l’enfant ; elle n’offre pas de relief particulier au 20ème anniversaire de la Convention... Car, la perspective de la "protection de l’enfance" ne dépend pas principalement de la Convention internationale des droits de l’enfant de 1989 [8].
N’empêche ! Le ministre de l’éducation nationale annonce sans approfondir la réflexion sur le sens d’une Convention, la prochaine « campagne d’affichage du numéro "119-Allô enfance en danger", prévue dans toutes les écoles et établissements scolaires au mois de novembre 2009 »...
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Cette technique discursive oblige chacun à réfléchir sur les décompressions juridiques et sociales ainsi induites...
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[1] Publiée au BOEN n° 42 du 12 novembre 2009.
[2] V. par ex. : en ’actualité’ du 18 nov. 2009 : la présentation des premières mesures issues du rapport du groupe de travail sur les mineurs étrangers isolés par le ministre des 3iDs.
[3] Les alinéas suivants de cet article L. 122-1-1 sont : « Ces connaissances et compétences sont précisées par décret pris après avis du Haut Conseil de l’éducation. /L’acquisition du socle commun par les élèves fait l’objet d’une évaluation, qui est prise en compte dans la poursuite de la scolarité. »
[4] ... ce partenariat ne pourrait-il être aussi le thème d’un dossier ou d’un mémoire ?
[5] V. entre autres, les art. 12, 13, 14, 15, 16 de la Convention internationale des droits de l’enfant.
[6] Au vu de cinq critères... V. par ex., C. Vanneroy, "Comment est mise en oeuvre la circulaire du 13 juin 2006 relative aux sans-papiers ? L’exemple de Paris" » ?", TERRA-Ed., Coll. "Synthèses", oct. 2006.
[7] V. par exemple, les documents préparatoires pour la rencontre organisée en octobre 2009 pour ce 20ème anniversaire.
[8] Les questionnements relatifs à la maltraitance sont peut-être récents, mais il ne s’agit que de langage, l’origine des mesures prises pour la sauvegarde de l’enfance remontent au début du XIXème siècle ; v. par ex., Revue d’histoire de l’enfance "irrégulière", n° 2, 1999 : Cent ans de répressions des violences à enfants.