Le 4 novembre 2010, par Geneviève Koubi,
Les circulaires administratives ne sont pas exclues du domaine du droit fiscal, même si, en la matière, les principales mesures dites constitutives d’une doctrine relèvent surtout d’instructions. En matière fiscale, circulaires et instructions ne disposent pas de la même attention par le juge ; elles n’ont pas la même fonction. Les circulaires interviennent le plus souvent sur des questions d’organisation générale des contrôles ou sur des modes d’application des normes législatives ; les instructions, la plupart du temps plus précises, se fondent sur des simulations, développent des hypothèses, évoquent des situations particulières directement liées aux différentes modalités attachées aux impôts ou taxes [1].
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Deux circulaires émanant du ministère du Budget, en date du 2 novembre 2010, ont été mises en ligne sur le site "circulaires.gouv.fr". La première est relative aux principes d’organisation du contrôle fiscal ; la seconde, qui se réfère à la première, concerne l’évocation des situations fiscales individuelles auprès du ministre du Budget. Ces deux circulaires prennent comme point d’appui les notions d’impartialité, d’objectivité, de neutralité, de transparence [2]. Toutefois, leur objectif est de rendre compte des formes que prendront désormais, dans la nouvelle structuration de l’administration des finances publiques, les contrôles fiscaux. L’enjeu serait de séparer la définition de la stratégie politique des contrôles des procédures d’examen des situations individuelles...
Mais le souci affiché du ministre pour asseoir cette distinction est nuancé. En effet, alors que la séparation entre la politique générale des contrôles, tant au niveau des objectifs que des moyens, et l’étude des situations fiscales particulières par les seuls services administratifs compétents est présentée comme le premier palier de la réorganisation du contrôle fiscal, objet de la circulaire du 2 novembre 2010 relative aux principes d’organisation du contrôle fiscal, un assemblage entre ces deux temps est effectué. Le ministre demande ainsi à être informé des « dossiers susceptibles d’avoir un retentissement médiatique » [3], même s’il assure qu’il s’abstiendra de toute intervention que ce soit dans le choix des contrôles, le cours des investigations ou les éventuelles décisions de poursuite pénale. » Par là, il se trouve conduit à reconnaître qu’en fin de compte, il lui sera parfois nécessaire de prendre de lui-même certaines décisions. Cette résolution est ensuite répétée dans la circulaire du 2 novembre 2010 relative à l’évocation des situations fiscales individuelles auprès du ministre du Budget, dont c’est d’ailleurs le principal enjeu.
La circulaire du 2 novembre 2010 relative aux principes d’organisation du contrôle fiscal comporte deux parties. La première met en musique le pouvoir d’organisation du contrôle par le ministre ; elle s’intitule : « Il m’appartient de fixer la stratégie globale de l’administration fiscale et de lui donner les moyens de la mettre en œuvre ». La seconde replace les cadres : « La direction générale des finances publiques met en œuvre, de façon opérationnelle, le contrôle fiscal ».
La définition des enjeux de « stratégie » en appelle à l’acte civique du paiement de la contribution publique : « l’exercice du contrôle fiscal est le garant du civisme fiscal et de l’égalité devant l’impôt » [4]. De ce fait, tout manquement à la loi fiscale – aussi inégalitaire soit-elle parfois – doit être sanctionné. Le ministre relève ainsi trois finalités du contrôle fiscal : une finalité dissuasive [5], une finalité budgétaire [6] et une finalité répressive pour corriger les fraudes et punir les fraudeurs…
La mise en œuvre du contrôle se comprend en deux espaces : un « contrôle de bureau » qui voudrait engager une analyse critique des déclarations des contribuables avec les recoupements d’informations diverses obtenues par d’autres voies [7] et un « contrôle sur place » pour opérer les vérifications et mesurer la sincérité des déclarations. Au bureau revient « la surveillance globale du système déclaratif » et la correction des erreurs des contribuables ; sur place s’implique la suspicion polie d’erreurs ou d’incorrections. La distinction entre particulier et entreprise n’a pas lieu d’être relevée.
Ces précisions permettent au ministre de rappeler les priorités. Parmi celles-ci, est mise en valeur la lutte contre la fraude fiscale, « de la fraude la plus banalisée à la plus sophistiquée, de la fraude individuelle à celle en bande organisée » (sic). Tous les outils doivent être mobilisés, tous les services doivent être mis à contribution. Mais encore, pour une « amélioration de la couverture du tissu fiscal », les fonctions de ciblage de certaines activités, entreprises ou situations doivent être rationalisées.
Le caractère “intrusif et répressif” du contrôle fiscal ¬– qui exige rigueur et probité –, permet alors au ministre de rappeler à l’administration fiscale ou, plus justement, à la Direction générale des finances publiques, la nécessité de respecter les procédures légales… notamment lorsqu’il s’agit de procéder à un « contrôle fiscal individuel ». Toutefois, en ce domaine qui concerne la mise en œuvre opérationnelle du contrôle, la répartition des tâches entre les différents services paraît substantielle [8].
Les opérations de contrôle fiscal individuel forment le cœur du propos. Il s’agit pour le ministre de justifier les prochains redressements. Les enjeux sont à la mesure du résultat à atteindre : faire entrer de l’argent frais dans les caisses de l’Etat, quitte à pressurer les salariés et à léser les classes moyennes. Les services locaux sont invités à entrer dans la danse pour chasser le fraudeur en analysant ses comportements, en croisant les informations, en lançant des enquêtes, en discernant les incidents, etc. Tout ceci, bien sûr, en respectant les droits du contribuable… car la saisine du juge pénal ne se comprend que pour les fraudes fiscales “graves”, — l’intention d’éluder l’impôt en relevant, civisme fiscal oblige !
La circulaire du 2 novembre 2010 relative à l’évocation des situations fiscales individuelles auprès du ministre du Budget complète donc logiquement la présentation des principes d’organisation du contrôle fiscal.
Le ministre rappelle que l’administration fiscale est seule compétente pour gérer les relations ’au quotidien’ avec les contribuables. Il confirme que (désormais ?) il s’abstiendra « de toute intervention dans le cours des procédures individuelles de contrôle » et se bornera à veiller à ce que ces procédures soient mises en œuvre « avec l’efficacité, la compétence et le souci déontologique » qui forment la culture des services concernés [9]. Néanmoins, se référant à certaines dispositions juridiques et à des décisions juridictionnelles non précisées, le ministre relève qu’en certain cas, la décision doit émaner de lui-même… notamment lors de recours hiérarchiques. Mais il en est de même pour les décisions de remise ou de transaction qui atteignent un certain montant. De la même manière, si un contrôle devait donner lieu à une reconsidération de la doctrine fiscale jusqu’alors reconnue, il semblerait nécessaire d’en référer au ministre.
S’il signale que les délégations de signature peuvent être utilisées, le ministre se réserve toutefois les affaires qui supposeraient des répercussions politiques. En effet, « certaines décisions peuvent avoir un impact ou un retentissement justifiant qu’elles soient prises par l’autorité politique », remarque-t-il. Mais, désormais assurée à partir des avis et études transmises par les services administratifs, de telles décisions ne dépendront plus de la cellule fiscale du cabinet… qui, dès lors, disparait. Telle est la finalité principale de cette deuxième circulaire.
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[1] Diverses études ont été réalisées à ce propos. Une recherche bibliographique pourrait être l’occasion de présenter de nouveaux éclairages quant au sens à donner à cette distinction entre circulaire et instruction en matière fiscale depuis ces dernières années. Ce thème pourrait être alors celui d’un mémoire ou d’un dossier...
[2] Aucune allusion ne doit être faite ici à certaines affaires...
[3] Là encore, il ne faudrait pas y voir d’allusions spécifiques à certaines affaires…
[4] Aucune allusion ne doit être faite aux diverses offres de bouquets…
[5] … « pour ne pas laisser se créer des zones de non-droit » dit-il.
[6] Ce, afin que les recettes prévues soient effectives.
[7] Les signes extérieurs de richesse seront désormais traqués. La notion de « bonne foi » risque de connaître des restrictions en dépit d’une attention portée aux usagers à travers les principes énumérés dans la « charte du (bon) contribuable ». Etc.
[8] Néanmoins, la distinction entre « contrôle de bureau » et « contrôle sur place » conserve son utilité.
[9] L’expression de “service public” n’est nulle part exposée…