Le 23 septembre 2011, par Geneviève Koubi,
Au titre des actions éducatives, le ministère de l’éducation nationale présente une circulaire n° 2011-155 en date du 21 septembre 2011 relative au chant choral à l’école, au collège et au lycée. Le texte adressé aux recteurs d’académie, aux inspecteurs d’académie et directeurs des services départementaux de l’éducation nationale s’intéresse aux activités collectives des élèves, voulant ainsi renforcer les processus de socialisation à travers les mouvements de jeunesse, par l’institution du « groupe » et mettant ainsi en valeur des formes d’éducation reconcentrées sur la discipline collective.
Plutôt que d’aider à l’approfondissement des connaissances musicales de tous les élèves, plutôt qu’enseigner les classiques et donner à entendre les plus beaux airs d’opéra, la circulaire du 21 septembre relative au chant choral à l’école, au collège et au lycée s’attache à renforcer la tonalité martiale des discours politiques actuels [1].
Dans cette circulaire, les propositions énoncées comme contribuant « à structurer la personnalité de l’élève » voudraient masquer cette dimension particulière. La circulaire du 21 septembre 2011 décrit la « pratique vocale collective » comme permettant à chacun de « développ(er) la sensibilité au service d’une production musicale maîtrisée », d’« apport(er) une expérience physiologique et psychologique particulière », de « propos(er) une relation originale à l’espace et au temps [2], de « développ(er) le travail de la respiration et, plus généralement, celui du geste vocal , d’« apport(er) l’expérience de l’émotion et de sa maîtrise » et, surtout, de « développ(er) l’esprit d’équipe et de collaboration »...
L’accent mis sur le projet artistique de l’établissement a pour but de rappeler que « la participation active à un concert de chant choral » permet à l’élève de manifester de ses compétences : « Autonomie, initiative, sociabilité et civisme sont ainsi des compétences immédiatement mobilisées et développées par le chant choral ». Les mots sont mécaniquement agencés pour faire croire que le chant choral, activité collective par nature, assurerait d’une concrétisation « l’autonomie de l’élève et son regard critique sur le travail réalisé », notamment si, au bout du compte, un « spectacle » doit être organisé...
Les contradictions s’enchaînent... La chorale « prolonge l’éducation musicale » mais elle est « ouverte sans exigence de pré-requis à tous les élèves ». Elle « réunit tous les niveaux scolaires » mais elle est aussi un « élément structurant de la dimension artistique du projet d’école ou d’établissement ».
À lire la circulaire, ce qui importe ce n’est pas l’épanouissement personnel de l’élève mais la convergence des actions pédagogiques réalisées autour de l’éducation musicale. Ainsi, à l’école élémentaire, le chant choral est considéré comme « le prolongement de la pratique quotidienne du chant en classe » tandis que, pour les collégiens, les chorales inter-degré sont présentées comme « un facteur de cohésion des équipes pédagogiques ». Ce n’est qu’incidemment que ces méthodes « marquent pour les enfants et leurs familles la continuité du parcours scolaire en rythmant la vie de la communauté éducative, lui donnant ainsi une existence visible ».
Au collège donc, il s’agit d’un enseignement complémentaire « placé sous la responsabilité des professeurs d’éducation musicale et de chant choral ». Ces derniers se voient désormais astreints à intégrer dans leurs emplois du temps respectifs des « séances de travail (répétitions) hebdomadaires (...) organisées sur une plage horaire permettant au plus grand nombre d’élèves, quelle que soit leur classe, d’y participer. » [3] Le cas échéant, ils devront aussi impliquer d’autres élèves répondant à des dispositifs mis en œuvre dans d’autres établissements : « ensembles instrumentaux et orchestres, ateliers artistiques, classes à horaires aménagés ». Les questions de responsabilité devraient alors être précisées...
Ces dernières ne le sont en fait que lorsque la chorale s’inscrit concrètement dans des accords de partenariat (avec des acteurs professionnels de la musique [4]).
Toutefois, s’il s’agit de chanter, le raccord des projets et des répertoires reste sous contrôle. En effet, il est prévu que « chaque année, les corps d’inspection élaborent un état analytique des chorales dans l’académie et ses départements. Ce travail (…) s’appuie sur plusieurs critères complémentaires ». Ces derniers sont énumérés dans la circulaire : « - nombre d’élèves participant à la chorale rapporté à l’effectif de l’établissement et répartition par niveaux ; - adéquation du répertoire choisi et niveau d’exigence vocale ; - ambition artistique du projet ; - rayonnement de la chorale au sein de l’établissement et en dehors ; - association à d’autres actions d’éducation et de formation mises en œuvre dans l’établissement (théâtre, cinéma, danse, etc.) ; - nombre, qualité et lieux des spectacles réalisés ; - association de la chorale de l’établissement à d’autres unités d’enseignement, notamment liaison école-collège ; - collaboration avec des partenaires professionnels ».
Aucune allusion n’est faite à la « fête de la musique » au jour de l’été ; aucune suggestion n’est ouverte vers les journées du patrimoine ; aucune proposition n’est glissée pour une prise considération des différentes dates des commémorations ou actions civiles, par exemple celles de l’abolition de l’esclavage ou le 8 mars ; etc.
Aussi diversifiés pourraient être les répertoires [5], autant ils doivent répondre à des attentes spécifiques. Car, en tout état de cause, l’objectif de la constitution d’une chorale est aussi d’inviter ces petits chanteurs de la langue de bois à participer à des cérémonies officielles. La circulaire n° 2011-155 du 21 septembre 2011 relative au chant choral à l’école, au collège et au lycée précise que cette participation consiste « à interpréter, notamment, l’hymne national et l’hymne européen ». Et lors de « commémorations, inaugurations ou cérémonies liées à des compétitions sportives », ces chants aux accents patriotiques devront être maîtrisés. Pour cela, la circulaire rappelle que « les documents destinés à accompagner l’apprentissage de la Marseillaise sont disponibles sur : http://media.eduscol.education.fr/file/Marseillaise/88/8/marseillaise_depliant_web_175888.pdf. »
Il apparaît donc que, durant de telles célébrations, chanter les chants porteurs d’un ‛regard critique’, tels « Le déserteur » de Boris Vian ou « Hexagone » de Renaud, n’aurait évidemment pas l’heur de plaire.
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« Est-ce ainsi que les hommes vivent ? » [6] Resterait-il donc à célébrer « Le temps des cerises » ?
[1] V. par ex., sur L’express.fr, « Défense : l’UMP veut un serment d’allégeance pour les jeunes ; sur Marianne2.fr, « L’UMP réclame des Français prêts à mourir pour la patrie ! ; sur LDH-Toulon, « Une idée de Copé : un serment d’allégeance aux marchands de canons ».
[2] V. la précision donnée entre parenthèses : gestion anticipée des événements, réminiscences, mémoire.
[3] V. le § de la circulaire du 21 septembre 2011 concernant l’affectation des moyens horaires dans le second degré – notant : « La quotité horaire de référence pour la prise en charge d’une chorale en collège ou lycée reste de deux heures/semaine. La spécificité du travail nécessaire, la fréquente multiplication des répétitions à l’approche de la fin d’année, l’organisation d’un ou plusieurs concerts publics dans un lieu professionnel extérieur et la concertation avec les professionnels associés justifient cette référence. Elle peut cependant être modulée en fonction des constats effectués chaque année et de l’évaluation portée par le corps d’inspection. »
[4] « Établissements d’enseignement spécialisé, musiciens et professionnels du spectacle vivant, associations et institutions culturelles peuvent enrichir de leurs compétences les projets envisagés. Le soutien de la délégation académique à l’action culturelle comme celui de la direction régionale des affaires culturelles et des collectivités territoriales concernées par le niveau d’enseignement sont alors indispensables. »
[5] Chansons, comédies musicales, opéras,...
[6] Aragon.