Le 19 avril 2017, par Geneviève Koubi,
Engagés depuis quelques années dans un processus de labellisation, les pouvoirs publics impulsent un mécanisme de distinction fait d’apparences dans le but d’illustrer « l’exemplarité » attendue des institutions publiques, des fonctionnaires et des agents publics par l’ensemble des citoyens. La circulaire du 3 avril 2017 relative à la mise en œuvre de la politique d’égalité, de lutte contre les discriminations et de promotion de la diversité dans la fonction publique répond pour une part à ce schéma en rappelant les qualités attachées aux labels « égalité » et « diversité ». Sa dernière phrase le confirme. Est sollicité de la part des administrateurs un indéfectible « engagement pour que la promotion de l’égalité, de la diversité et la lutte contre les discriminations se traduisent par des actions à la hauteur de l’ambition d’exemplarité de la fonction publique ».
En dépit du fait que, dans les espaces socio-professionnels, la notion de diversité retrace des problématiques instillées à l’origine par les entreprises privées [1], malgré les réserves qui avaient pu être émises à l’égard d’une juridicisation de cette notion [2], le Gouvernement s’en empare et consolide son insertion dans les fonctions publiques [3].
Mais, en cette occasion, il en retiendrait sa teneur sociale. S’il ne parvient pas tout à fait à contourner l’ethnicisation des phénomènes sociaux que la notion présuppose, au moins évite-t-il de qualifier cette diversité - laquelle est souhaitée « à l’image de la société » -, comme relevant d’emblée d’un cadrage essentialiste. Car, « l’idée n’est pas d’aller vers une fonction publique "représentative", qui devrait reproduire comme en miroir la société française, sur le modèle qui peut prévaloir ailleurs (...). Ce modèle de représentativité, du moins dans son volet "actif", se fonde sur un sous-jacent, selon lequel seul un fonctionnaire issu d’une communauté particulière serait en mesure de porter les intérêts de celle-ci. Tel n’est pas la façon dont on conçoit, en France, le rôle de la fonction publique, qui a vocation non pas à défendre des intérêts particuliers, mais de mettre en œuvre la politique du Gouvernement (...) et de poursuivre l’intérêt général » [4]. Cette prise de position écarte donc une application de la théorie de la bureaucratie représentative telle qu’elle a cours en d’autres États.
Le décret n° 2008-1344 du 17 décembre 2008 relatif à la création d’un label en matière de promotion de la diversité et de prévention des discriminations dans le cadre de la gestion des ressources humaines et à la mise en place d’une commission de labellisation, compacte le label diversité dans le cadre des « bonnes pratiques de recrutement, d’évolution professionnelle et de gestion des ressources humaines des entreprises ou des employeurs de droit public ou privé ». Pour sa délivrance, une circulaire n° IMIC0900058C du 27 février 2009 sur la promotion du label diversité avait invité les préfets à s’appuyer sur l’ensemble des modes de prévention des « discriminations reconnues par la loi telles l’origine des personnes, l’âge, le handicap, l’orientation sexuelle, la religion, l’engagement syndical et mutualiste, les opinions politiques, à l’exception du genre, déjà couvert par un label spécifique, le "label égalité" ».
En dépassant les questionnements récurrents quant aux origines, la problématique de la diversité reste indéniablement reliée au principe d’égalité [5]. Telle qu’elle est présentée par la circulaire du 3 avril 2017, elle est principalement déclinée dans les modélisations sociales des candidats à un emploi public comme des agents publics. La diversité se mesure ainsi à l’aune des parcours scolaires et universitaires, de la situation familiale et sociale, de la résidence dans des zones données. Or, la jonction effectuée avec les politiques de prévention des discriminations et de lutte contre les discriminations en ternit parfois les caractéristiques [6].
Car, pour « conduire une politique de diversité [qui] relève également d’un besoin interne pour la fonction publique, celui d’améliorer encore son organisation, son fonctionnement et l’efficacité de son action », étant donné que « ni l’objectif de rentabilité financière, ni l’approche fortement ethnicisée de la diversité » ne sauraient être retenus, il ne pourrait être projeté de développer « davantage de diversité, notamment en termes d’équilibre hommes-femmes et de représentation ethnique » [7]. L’amélioration des processus décisionnels et opérationnels des administrations dépend principalement des vertus et des talents, de la compétence de ses personnels... d’où la question lancinante des modalités mises en œuvre pour le recrutement des agents publics.
Cette circulaire du 3 avril 2017, dont l’une des assises est le chapitre III de la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté [8], s’inspire des mesures envisagées lors d’une réunion interministérielle du 6 mars 2017 sur « Égalité et citoyenneté : la République en actes ». Elle s’appuie aussi sur des rapports de mission remis par la suite, tels le rapport de Yannick L’Horty sur « les discriminations dans l’accès à l’emploi public » [9] et le rapport d’Olivier Rousselle sur « Les écoles de service public et la diversité » [10].
C’est en captant certaines des analyses insérées dans ces rapports que la ministre de la Fonction publique renvoie aux dispositions de la loi du 27 janvier 2017 relatives aux conditions d’accès à la fonction publique pensées comme devant favoriser l’ouverture de la fonction publique à la diversité des talents, citant l’élargissement des modes d’accès à la fonction publique, notamment à l’attention des personnes en situation de chômage de longue durée, des résidents des quartiers prioritaires de la politique de la ville ou des zones de revitalisation rurale, des bénéficiaires de l’allocation de parent isolé dans les départements et collectivités d’outre-mer..., et le développement des 3èmes concours [11].
En même temps, l’objectif est de « renforcer la dynamique et accroître la cohérence des actions menées par les écoles de service public en vue de diversifier les viviers de recrutement » à l’aide de « programmes d’ouverture à la diversité » [12].
/ Le premier volet de la circulaire du 3 avril 2017 relative à la mise en œuvre de la politique d’égalité, de lutte contre les discriminations et de promotion de la diversité dans la fonction publique insiste sur l’information sur les métiers de la fonction publique à l’attention d’éventuels candidats. Estimant que l’accès à cette information est un « vecteur d’égalité et de diversité pour les candidats à l’emploi public », Or, aucune interrogation sur le déficit d’attractivité de ces métiers n’est exposée, lequel est surtout perceptible en termes de rémunération.
Les publics visés sont, bien évidemment, les jeunes ... scolarisés ou universitarisés. Si les administrations sont incitées à les accueillir en stagiaire ou en apprenti, ce qui préoccupe les pouvoirs publics sont les informations relatives aux « concours » et, par là, à l’aide de référentiels [13], « l’adéquation entre les profils et la stratégie de recrutement » [14]. Ainsi, est-il envisagé une exploitation des bases de données sur les concours « riches d’informations permettant, en l’état actuel du droit, de travailler sur les risques de certaines discriminations. La loi relative à l’égalité et à la citoyenneté prévoit une harmonisation des informations recueillies dans le cadre de l’inscription aux concours, qui permettra d’améliorer la connaissance sur les parcours et les résultats des concours ».
/ Plus porteur aurait donc pu être le deuxième aspect développé par la circulaire en ce qu’il concerne la « professionnalisation des recrutements » augurée comme un moyen de lutte contre toute forme de discrimination.
Dans ce cadre, le premier temps abordé est celui de la diversification de la composition des « jurys » notamment par « appel à candidatures », et par la constitution d’un « vivier » de membre de jury sur deux ou trois années [15]... Proposant une formation sur la prévention des discriminations à l’attention des recruteurs, la circulaire du 3 avril 2017 demande à ce que « chaque recruteur potentiel [ait] conscience du risque induit par ses préjugés, que le recrutement s’effectue par concours ou par une autre voie ». Elle précise encore que « ce point est d’ailleurs considéré comme un critère essentiel dans le processus d’obtention du label diversité ».
Ce n’est donc qu’en deuxième lieu qu’est envisagé l’élargissement des « viviers de candidats ». Sont listées la plupart des mesures prises durant les deux quinquennats précédents, depuis les classes préparatoires intégrées [16] jusqu’aux modèles du parcours d’accès à la fonction publique territoriale, hospitalière et d’État (PACTE).
/ Il n’en demeure pas moins que, dans la rhétorique managériale actuelle, la perspective s’inscrit dans une programmation itérative. Le troisième temps de la circulaire s’avère plus parlant en matière de diversité. Il invite les employeurs publics et les écoles de service public à « structurer [leur] action par des plans en faveur de la diversité et pour prévenir toute forme de discrimination », ceci étant compris comme un « facteur majeur d’un processus de labellisation réussi et inscrit dans la durée ».
La Charte pour la promotion de l’égalité et la lutte contre les discriminations dans la fonction publique, signée par le Défenseur des droits et la ministre de la Réforme de l’État, de la Décentralisation et de la Fonction publique le 17 décembre 2013, avait fait l’objet d’un bilan à deux voix, l’une émanant de la Direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGFAP), l’autre du Défenseur des droits, le 21 octobre 2015. Mais plutôt que s’y référer en ce qui concerne les observations du Défenseur des droits qui y sont insérées, la circulaire choisit citer les statistiques intégrées dans le Rapport annuel du Défenseur des droits pour 2015. Si ces mesures sont identiques dans ces deux documents, la réflexion corrélative au défaut d’exemplarité des employeurs publics n’est pas particulièrement relevée : « dans un certain nombre de dossiers, faible mais significatif, les réponses apportées, en général par les services de ressources humaines, ne reflètent ni la volonté d’exemplarité affichée et attendue, ni celle de transparence indispensable au traitement des réclamations dans des conditions pleinement satisfaisantes. Il est ainsi parfois regrettable que l’administration mise en cause se borne à transmettre le dossier administratif du réclamant sans fournir la moindre observation, estimant, par exemple, que les décisions discrétionnaires n’ont pas à être motivées ou se réfugiant derrière une conception extensive et abusive de l’intérêt du service. » [17]
C’est aussi à l’occasion de ce bilan que fut évoqué un rapprochement entre les deux labels existants, le "label égalité" [18] et le "label diversité" [19], essentiellement par la détermination d’un tronc commun afin que chaque label conserve sa spécificité. Cette option semble être quelque peu remise en cause par la circulaire du 3 avril 2017. Car, dans le modèle proposé par la circulaire, les critères des deux labels "égalité" et "diversité" se trouvent associés [20], l’un des enjeux complémentaires étant d’impliquer en sus les organisations syndicales puisque, comme le présente la circulaire du 3 avril 2017, « les politiques de prévention des discriminations et de diversité doivent être déclinées dans des accords négociés avec les partenaires sociaux et, en tout état de cause, prendre une place importante dans le dialogue social ». Mais c’est aux directions des ressources humaines de s’atteler à la tâche en ce qu’elles « doivent réinterroger les processus de gestion individuelle et collective des agents au regard des risques de discrimination ».
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Une lacune peut être alors relevée dans cette circulaire en ce qu’elle ne fait nullement état de l’utilisation du numérique dans les procédures de recrutement. Qu’il s’agisse des téléprocédures préalables pour l’inscription aux concours ou pour le dépôt d’une candidature à un emploi public donné, ou de la tendance des recruteurs à user des réseaux sociaux ou d’internet pour cibler un profil donné de « bon candidat », l’exploitation des informations glanées par les outils numériques ne peut être réalisée sans discriminer…
[1] V. C. Bébéar, Des entreprises aux couleurs de la France. Minorités visibles : relever le défi de l’accès à l’emploi et de l’intégration dans l’entreprise, Rapport, La Doc. fr., 2004. Sous l’égide de l’Institut Montaigne, a ainsi été élaborée une Charte de la Diversité (suivie sur un [site web-http://www.charte-diversite.com/]) ; v. S. Point, « La charte de la diversité. Regards sur le discours des entreprises signataires », Management & Avenir, 2006/2, p. 61.
[2] V. par ex., le rapport du Comité de réflexion sur le Préambule de la Constitution : Redécouvrir le Préambule de la Constitution, La Doc. fr., 2009.
[3] Effaçant d’un coup les critiques qui avaient accompagné son élévation dans ce cadre, dès le début des années 2000. V. par ailleurs, sur Droit cri-TIC, GK, « La notion de "diversité" en application pour une entrée dans la fonction publique… », 2 juill. 2012.
[4] Rapport coord. par O. Rousselle, Les écoles de service public et la diversité (févr. 2017).
[5] Cf. Circ. du 23 août 2012 relative à la mise en œuvre de la politique interministérielle en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes, JO 24 août 2012.
[6] V. M.-T. Lanquetin, « Égalité, diversité et... discriminations multiples », Travail, genre et sociétés 2009/1, p. 91.
[7] Rapport coord. par O. Rousselle, Les écoles de service public et la diversité, févr. 2017.
[8] JO 28 janv. 2017 ; l’art. 158 qui ouvre ce chapitre fait référence à « la prise en compte de la diversité de la société française dans la fonction publique de l’État, la fonction publique territoriale et la fonction publique hospitalière. »
[9] Juin 2016.
[10] Précité.
[11] Cf. modifications de l’art. 19 de la loi n° 84-16 du 11 janv. 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’État, de l’art. 36 de la loi n° 84-53 du 26 janv. 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale et de l’art. 29 de la loi n° 86-33 du 9 janv. 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière.
[12] La question de la diversité avait été un des thèmes privilégiés aux débuts de ce site Droit cri-TIC, v. par ex., G. Koubi : « La belle diversité, LABEL diversité ! », 19 déc. 2008 ; « Label "diversité". La promotion de la discrimination active », 4 mars 2009 ; « La promotion de la diversité au rapport… » 8 mai 2009 ; « Le label "diversité" existe toujours… », 8 oct. 2011 ; « La notion de "diversité" en application pour une entrée dans la fonction publique… », 2 juill. 2012.
[13] Ex. Référentiels de formation sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans la fonction publique. Cf. aussi, circ. 17 oct. 2016 relative aux priorités interministérielles fixées à la formation professionnelle tout au long de la vie des agents de l’État pour l’année 2017.
[14] Renvoi est fait au portail SCORE.
[15] Si l’utilisation de ce terme de vivier est désormais entrée dans les mœurs administratives, sa résonance reste encore dérangeante concernant des personnes.
[16] Cf. circ. du 8 mars 2016 relative au renforcement du dispositif des classes préparatoires intégrées aux écoles de service public. V. toutefois, sur Droit cri-TIC, GK, Classes préparatoires "intégrées" ? "instrumentalisées"…, 25 févr. 2009.
[17] Bilan du déploiement de la Charte pour la promotion de l’égalité et la lutte contre les discriminations dans la fonction publique, p. 81.
[18] Pour ce qui concerne les entreprises privées, reposant sur des articles abrogés du Code du travail : Arr. du 2 sept. 2004 relatif à la commission de labellisation de l’égalité professionnelle, JO 22 sept. 2004.
[19] D. n° 2008-1344 du 17 déc. 2008 relatif à la création d’un label en matière de promotion de la diversité et de prévention des discriminations dans le cadre de la gestion des ressources humaines…, précité ; D. n° 2014-335 du 14 mars 2014 relatif à la commission de labellisation du label diversité.
[20] V. Bureau de la communication de la DGFAP, Le Label Diversité dans la fonction publique. Dispositif d’alliance entre le Label Diversité et le Label Égalité, juin 2016.