Le 7 juin 2017, par Geneviève Koubi,
Une circulaire du 11 mai 2017 relative aux critères de compétence territoriale, enregistrée sur le site www….circulaires.gouv.fr au 6 juin 2017, propose de hiérarchiser les critères posés à l’article 43 du code de procédure pénale quant à la détermination de la compétence territoriale des procureurs de la République. Cet article 43 du CPP désigne compétent le procureur de la République - 1/ du lieu de l’infraction, - 2/ de la résidence de l’une des personnes soupçonnées d’avoir participé à l’infraction, - 3/ du lieu d’arrestation d’une de ces personnes, - 4/ du lieu de détention d’une de ces personnes.
Dans la circulaire JUSD1714338C du 11 mai 2017 relative aux critères de compétence territoriale, il est alors signalé que « ces quatre grands critères de compétence ne font l’objet d’aucune hiérarchisation par la loi, de sorte qu’ils sont susceptibles de conduire à des conflits de compétence dans le cadre du traitement quotidien de l’action publique par les parquets » [1].
Cette remarque doit cependant s’entendre comme d’un reproche adressé aux parquets. En effet, ces conflits de compétence naîtraient des défauts de communication entre les parquets. Le ministre de la justice - ou plus exactement, le signataire précis de la circulaire qui est la directrice des affaires criminelles et des grâces par intérim - en vient à regretter qu’« aucune saisine pour arbitrage du parquet général » n’ait eu lieu et à noter que les différentes transmissions de procédures entre les parquets ont eu pour effet de ralentir le traitement des affaires, de freiner les investigations nécessaires à la « manifestation de la vérité ». Ainsi, il lui apparaît utile de « définir des règles communes de mise en œuvre des dispositions de l’article 43 du code de procédure pénale », particulièrement en établissant une « hiérarchisation » des critères de compétence « par grandes catégories d’infractions », ce, « pour une justice pénale efficace et lisible » [2].
On aurait pu penser que la hiérarchisation des critères relevés, si tant elle était indispensable, découlerait logiquement de la présentation réalisée à l’article 43, le « lieu de l’infraction » étant le premier critère posé. Celui de « la résidence de l’auteur de l’infraction » n’est pourtant pas systématiquement dissocié de ce lieu, la résidence n’étant pas le domicile.
Comme le rappelle la circulaire, « le critère du lieu de résidence doit s’entendre de la résidence de l’auteur au jour de la poursuite et non celle où il habitait au moment de la commission de l’infraction ». La circulaire du 11 mai 2017 [3] choisit donc jouer sur des « articulations » entre ces critères.
La plupart du temps, le choix de retenir l’un ou l’autre des deux premiers critères exposés à l’article 43 CPP relève d’appréciations locales. Certains ressorts connaissent des difficultés à traiter en temps utile, dans un délai raisonnable, des affaires qui interviennent. Le choix du critère « lieu de l’infraction » peut susciter une augmentation considérable des affaires à suivre soit à cause de la topographie, soit du fait des qualités touristiques ou festives de l’espace considéré, soit encore à raison de « périodes spécifiques, estivales ou hivernales ». Aussi, la tentation est-elle grande de préférer le critère « lieu de résidence de l’auteur des faits » - si celui-ci peut être connu - afin de « ne pas voir l’activité de [la] juridiction évoluer conjoncturellement de façon exponentielle en raison d’une délinquance de passage ». C’est à l’encontre de cette tendance que s’aligne la circulaire du 11 mai 2017 relative à la compétence territoriale des procureurs de la République
Le ministre estime que cette pratique du choix entre le « lieu des faits » et la « résidence de l’auteur des faits » est envisageable « lorsqu’elle concerne des faits commis par des personnes de passage et sans aucune attache avec le lieu des faits, notamment dans des territoires insulaires ou très éloignés de leur résidence ». Dans d’autres cas, elle serait plutôt source d’obstacles non à toute investigation réfléchie mais à une vision de la justice « efficace » - pour ne pas dire « rapide » [4]. De plus, selon le ministre, à cause des ou grâce aux « fonctionnalités de Cassiopée » des recherches sur les antécédents non inscrits au casier judiciaire sont possibles voire même conseillées.
Cela a pour conséquence de minorer l’importance du critère de la « résidence de l’auteur des faits ». Ce renvoi au fichier si peu accessible Cassiopée [5] justifie alors la primeur à accorder au critère du « lieu des faits » : « Il convient en conséquence de retenir prioritairement et par principe le critère du lieu des faits » [6].
Ce principe vaudrait pour toutes les infractions, « y compris s’il s’agit d’un contentieux de masse permettant une décision standardisée », le ministre considérant que « la compétence du parquet du lieu des faits (permet) de favoriser la rapidité et l’efficacité de la réponse pénale ». Une nuance est toutefois évoquée puisque, « dès lors que sera envisagée une alternative aux poursuites impliquant la participation active de l’auteur des faits, le parquet du lieu des faits, tout en restant saisi, pourra confier la mise en œuvre de la mesure alternative au parquet du lieu de résidence afin de favoriser la réussite de la mesure. »
Le critère du « lieu de résidence de l’auteur des faits » s’en trouve considérablement amoindri. Le critère du « lieu de l’interpellation » est encore moins établi [7]. Et le critère du « lieu de détention de l’auteur des faits » se présente ensuite comme « exceptionnel » - alors qu’il devrait être « occasionnel ».
Le ministre affirme donc que « le critère du lieu de détention doit rester un critère subsidiaire. Il a été conçu pour des raisons de sécurité et dans le souci d’éviter la multiplication des extractions. » Puisque la connectivité imprègne désormais la vie publique, il est fait état dans la circulaire du 11 mai 2017 du « développement de la visioconférence », lequel est pensé « de nature à favoriser l’évolution des pratiques actuelles de dessaisissement parfois systématique auprès du parquet du lieu de détention. »
De ce fait, plutôt qu’une hiérarchisation des critères de compétence territoriale, il s’agit d’une « priorisation » d’un critère, celui du « lieu des faits », quitte à déconsidérer les autres critères exposés à l’article 43 CPP. Il n’en demeure pas moins qu’une certaine hiérarchisation interfère sur un tout autre plan. Elle concerne les infractions et se comprend à partir d’une idée de « dessaisissement pertinent ».
Car, en un second temps, la circulaire du 11 mai 2017 évoque « les critères de compétence par catégorie d’infractions ». Si, à leur propos, elle use du terme de « priorisation », l’objectif est d’insister sur les mesures déjà établies et énoncées en quelques domaines ciblés : la lutte contre la délinquance routière (le dessaisissement en faveur du parquet du lieu de résidence pouvant être retenu) ; la délinquance juvénile (le critère de la résidence devant là prévaloir) ; le contentieux du droit pénal de la famille (nécessitant l’application du critère du lieu de résidence) ; le contentieux du droit du travail (pour lequel devrait être retenu prioritairement le critère du siège social de l’entreprise, sauf s’agissant des accidents du travail, le critère du lieu des faits devant alors être privilégié).
[1] En clin d’oeil : On pourrait s’inquiéter de la récurrence de l’emploi de l’expression « action publique », l’obligation d’en signifier à chaque fois le contexte devrait en contenir les risques d’expansion...
[2] Les éléments de langage, devenus usuels dans la sphère politique, pénètrent de plus en plus les formulations administratives.
[3] Dont on notera attentivement la date… à la veille d’une passation de pouvoir.
[4] … ni expéditive.
[5] V. Sur le site de la CNIL, « CASSIOPEE : Chaîne Applicative Supportant le Système d’Information Oriente Procédure pénale Et Enfants ».
[6] Ce qui est d’ailleurs clairement rappelé par la suite : « le critère prioritaire de compétence doit être celui du lieu des faits ».
[7] Sauf, comme le signifie par la suite la circulaire du 11 mai 2017, quand il s’agit d’« infractions commises dans les véhicules affectés au transport collectif de voyageurs » : « Compte tenu de la difficulté, voire de l’impossibilité, à déterminer le lieu de faits à bord d’un moyen de transport collectif, en particulier dans un train, le critère du lieu d’interpellation de l’auteur des faits doit être privilégié ».