Le 20 août 2018, par Geneviève Koubi,
Ce serait surtout, d’une part, par l’institution d’un « droit à l’erreur » (qui n’est qu’un « droit à régularisation en cas d’erreur »), d’autre part du fait de la généralisation de la pratique du rescrit administratif, que la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance impliquerait des changements de sens en droit administratif général. Nul doute toutefois que d’autres dispositions retiendront l’attention au-delà des problématiques liées à la dématérialisation. Peut-être aussi serait-il utile de se pencher sur la stratégie nationale de l’action publique située en « annexe » à la loi.
Pourtant, d’autres orientations esquissées par le projet de loi initial pouvaient retenir l’attention, notamment pour ce qui concerne le statut des circulaires administratives. [1]
Ainsi, l’étude d’impact du projet de loi pour un État au service d’une société de confiance [2] établie au 27 novembre 2017 notait : « Par le chapitre 2, l’administration s’engage à rendre son action plus lisible au travers des circulaires et des prises de position formelle qu’elle publie et les rend opposable aux citoyens. » En effet, comme le signifiait l’exposé des motifs du projet de loi enregistré à la même date devant l’Assemblée nationale, l’article 9 prévu avait « pour objet, d’une part, d’assurer sa pleine efficacité à l’obligation de publier les instructions et circulaires mentionnées à l’article L. 312-2 du code des relations entre le public et l’administration (CRPA), et d’autre part, de consacrer de manière générale leur opposabilité au profit des administrés lorsque ces actes administratifs émanent de l’État. »
Plus généralement, l’explicitation alors donnée de cet article annonçait qu’il s’agissait de compléter les dispositions de l’article L. 312-2 du CRPA relatives à la diffusion des instructions et des circulaires d’abord en ajoutant « une phrase au premier alinéa de cet article selon laquelle les instructions et circulaires émanant de toute administration sont réputées abrogées si elles n’ont pas été publiées. Il renvoie à un décret la fixation des conditions et modalités d’application de cette publication », ensuite en créant « un nouvel article L. 312-2-1 au sein du CRPA, [qui] consacre un droit à l’opposabilité, au profit des administrés, des documents administratifs mentionnés au premier alinéa de l’article L. 312-2 (instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles qui comportent une interprétation du droit positif ou une description des procédures administratives), lorsqu’ils émanent des administrations centrales de l’État et sont publiés sur un site internet dédié, sur le modèle du Bulletin officiel des finances publiques-Impôts (BOFiP-Impôts) de l’administration fiscale. »
L’intention était alors de permettre à toute personne de « se prévaloir de l’interprétation, même erronée, d’une règle, opérée par ces documents administratifs, pour son application à une situation qui n’affecte pas les tiers, aussi longtemps que cette interprétation n’aura pas été modifiée. » Une réserve était alors émise : « Ce droit à se prévaloir de la doctrine administrative ministérielle régulièrement publiée sera écarté dans le cas où il heurte l’application de règles destinées à assurer la sécurité des personnes et des biens, ainsi que la préservation de la santé et de l’environnement. »
, L’article 9 était alors ainsi rédigé : « I. – L’article L. 312-2 du code des relations entre le public et l’administration est ainsi modifié : / 1° Le premier alinéa est complété par la phrase suivante : « Les instructions et circulaires sont réputées abrogées si elles n’ont pas été publiées, dans des conditions et selon des modalités fixées par décret. » ; / 2° Au second alinéa, les mots : « les modalités d’application » sont remplacés par les mots : « les autres modalités d’application ». // II. – Après l’article L. 312-2 du même code, il est inséré un article L. 312-2-1 ainsi rédigé : « Art. L. 312-2-1. – Toute personne peut se prévaloir des documents administratifs mentionnés au premier alinéa de l’article L. 312-2, émanant des administrations centrales de l’État et publiés sur des sites internet désignés par décret. / Toute personne peut se prévaloir de l’interprétation, même erronée, d’une règle, opérée par les documents mentionnés au premier alinéa, pour son application à une situation qui n’affecte pas les tiers, tant que cette interprétation n’a pas été modifiée. / Les dispositions du présent article ne peuvent pas faire obstacle à l’application des dispositions législatives ou réglementaires visant à préserver la santé publique, la sécurité des personnes et des biens ou l’environnement. »
Le déroulement des débats parlementaires n’a pas suscité de modifications mais, subrepticement, il a fait en sorte que la perspective envisagée se transforme en une affirmation formelle. L’article 9 du projet de loi s’est trouvé retranscrit dans l’article 20 de la loi promulguée et publiée au Journal officiel du 11 août 2018.
, Cet article 20 dispose : « I.-L’article L. 312-2 du code des relations entre le public et l’administration est ainsi modifié : / 1° Le premier alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée : « Les instructions et circulaires sont réputées abrogées si elles n’ont pas été publiées, dans des conditions et selon des modalités fixées par décret. » ; / 2° Au second alinéa, après le mot : « les », il est inséré le mot : « autres ». //II.-Après l’article L. 312-2 du code des relations entre le public et l’administration, il est inséré un article L. 312-3 ainsi rédigé : « Art. L. 312-3.-Toute personne peut se prévaloir des documents administratifs mentionnés au premier alinéa de l’article L. 312-2, émanant des administrations centrales et déconcentrées de l’État et publiés sur des sites internet désignés par décret. / Toute personne peut se prévaloir de l’interprétation d’une règle, même erronée, opérée par ces documents pour son application à une situation qui n’affecte pas des tiers, tant que cette interprétation n’a pas été modifiée. / Les dispositions du présent article ne peuvent pas faire obstacle à l’application des dispositions législatives ou réglementaires préservant directement la santé publique, la sécurité des personnes et des biens ou l’environnement. »
, L’article L. 312-2 du Code des relations entre le public et l’administration dispose donc désormais : « Font l’objet d’une publication les instructions, les circulaires ainsi que les notes et réponses ministérielles qui comportent une interprétation du droit positif ou une description des procédures administratives. Les instructions et circulaires sont réputées abrogées si elles n’ont pas été publiées, dans des conditions et selon des modalités fixées par décret. / Un décret en Conseil d’État pris après avis de la commission mentionnée au titre IV précise les autres modalités d’application du présent article. » Les changements intervenus en cet article paraissent dérisoires. En effet, l’obligation de publier les instructions et circulaires était déjà déterminée. Simplement le statut de cette obligation n’est plus d’ordre réglementaire mais acquiert une qualité législative. Dès lors, la formule inscrite à l’article L. 312-1 du CRPA doit être lue différemment. Car si « les administrations mentionnées à l’article L. 300-2 peuvent rendre publics les documents administratifs qu’elles produisent ou reçoivent », elles doivent désormais rendre publiques ces circulaires et instructions. Encore faudrait-il alors que soit donnée une définition légale de ces textes qui, en dépit de bien des tentatives doctrinales, restent confinés dans une nébuleuse documentaire…
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Un questionnement particulier doit alors être souligné.
Avaient été créés d’abord un site internet du Premier ministre du fait du décret n° 2008-1281 du 8 décembre 2008 relatif aux conditions de publication des instructions et circulaires [3], labellisé « circulaires.gouv.fr », et ensuite, par un arrêté du 10 septembre 2012 relatif à la mise à disposition des instructions et circulaires publiées au Bulletin officiel des finances publiques, un site spécifique pour prendre en considération le nombre important de données requérant un besoin régulier de mise à jour : « A compter du 12 septembre 2012, la mise à disposition des circulaires et instructions sur le site internet "BOFiP-Impôts" (http://bofip.impots.gouv.fr) produit, pour l’application du décret n° 2008-1281 susvisé, les mêmes effets qu’une mise à disposition sur le site du Premier ministre mentionné à l’article 1er de ce décret. »
Or, de par la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance, l’article L. 212-3 évoque « des documents administratifs (...) publiés sur des sites internet désignés par décret ». La formule sur des sites internet désignés par décret doit être retenue. Le pluriel ici utilisé nécessiterait des éclaircissements…
En attendant donc le et les décrets qui désigneront ces sites, quelques suppositions pourraient être avancées. Est-ce que seraient concernés les sites internet des ministères, les bulletins officiels électroniques, les sites des établissements publics, les sites des organismes publics, etc. ? Si une multiplication des sites officiels devait avoir lieu, en dépit du fait que le site "...circulaires.gouv.fr" n’est pas des plus aisé à consulter [4], l’idée qui avait été énoncée en 2008 pour « faciliter » l’accès aux textes administratifs perdrait alors quelque peu de son sens...
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[1] V. cependant, P. Combeau, « Le CRPA et ’linfra-acte administratif" », in G. Koubi, L. Cluzel-Métayer, W. Tamzini, Lectures critiques du Code des relations entre le public et l’administration, LGDJ, 2018, p. 111.
[2] NOR : CPAX1730519L/Bleue-2.
[3] Art. 1 : « Les circulaires et instructions adressées par les ministres aux services et établissements de l’État sont tenues à la disposition du public sur un site internet relevant du Premier ministre. Elles sont classées et répertoriées de manière à faciliter leur consultation. / Une circulaire ou une instruction qui ne figure pas sur le site mentionné au précédent alinéa n’est pas applicable. Les services ne peuvent en aucun cas s’en prévaloir à l’égard des administrés. /Cette publicité se fait sans préjudice des autres formes de publication éventuellement applicables à ces actes. »
[4] V. G. Koubi, « Des circulaires sur site internet... Suite et FIN », Droit cri-TIC 28 mai 2012.