Le 27 septembre 2008, par Geneviève Koubi,
Sur le site du du ministère du Budget, des comptes publics et de la fonction publique, un communiqué de presse du 24 septembre 2008 annonce une concertation pour une future réforme de l’École nationale d’administration. Sans trop s’attacher à ce que recouvre le terme de concertation, ce mot étant souvent employé à tort et à travers, c’est sur la réforme de l’ENA, ou plus justement du concours d’entrée et des modalités de sortie, qu’il serait nécessaire de se pencher — même si cela paraît prématuré.
Après l’ENM, c’est au tour de l’ENA, l’Ecole nationale d’administration, de faire l’objet des attentions ministérielles pour une réforme, les deux versants de celle-ci, l’une relevant de demandes réitérées des élèves et anciens élèves, l’autre émanant du gouvernement et répondant à un souci de rentabilisation et de privatisation des formations, ne se rejoignant pas nécessairement.
Comme l’esprit du service public n’est plus la pierre de touche du système administratif généré par les reformes successives que connaît la France, la formation des fonctionnaires n’a pas à s’en préoccuper. Le vent du management s’engouffre dans la brèche ouverte par les contestations diverses que l’ENA connaît depuis quelques années.
Dès lors, on peut penser que le site de l’ENA devra être recomposé, réécrit, notamment pour la rubrique « l’ENA se présente ». En effet, dans cette rubrique, l’ENA se présente comme une « école de service public ». Il y est précisé que « sa mission principale est de recruter et de former les hommes et les femmes qui feront vivre et évoluer les administrations – aujourd’hui en perpétuel changement -, tout en leur transmettant l’éthique du service public, fondée sur des valeurs de responsabilité, de neutralité et de désintéressement ». Or, ce ne sont sans doute plus des valeurs sollicitées des fonctionnaires.
Le ministre du Budget, des comptes publics et de la fonction publique et le secrétaire d’État chargé de la Fonction publique ont ainsi présenté, le 24 septembre 2008, devant des fonctionnaires stagiaires issus des promotions Willy Brandt et Emile Zola, les premiers éléments d’un projet de réforme qui reprend les vœux du Président de la République [1].
Ce projet n’est pas encore finalisé mais il est déjà en phase d’application [2]. Quelques orientations se dessinent [3] : le classement de sortie de l’ENA devrait être supprimé ; la durée de formation serait réduite ; le stage en entreprise serait doté de la même considération que les stages en administration ; les stages en administration comporteraient des « mises en situation concrètes » (telles les réponses à des situations de crise ou les modules de management et de communication) ; un système de formation continue à destination des cadres du privé serait mis en place, en tant qu’ils auraient vocation à intégrer la haute fonction publique… etc.
L’objectif est de permettre un renversement du principe du rang, du classement, qui préside à tout concours : ce n’est plus le classement qui déterminera l’affectation des fonctionnaires. Est-ce là une des applications du principe d’impartialité de l’Etat ?
En quelque sorte, les lauréats, quelles que soient la forme de leurs compétences et l’étendue de leurs connaissances, ne seront plus maîtres de leur carrière [4]. Le souhait de l’employeur prévaudra : l’employeur déterminera le profil et les compétences dont il a besoin et à partir de ces données, les devenus énarques – nécessairement fonctionnaires mais peut-être pas pour longtemps – pourront rejoindre l’administration qui aura offert un poste en adéquation avec leurs expériences évaluées à partir d’un « dossier d’aptitudes » dont les composants seront à affiner. Plus prosaïquement, ils seront amenés à rencontrer ces employeurs, administrations (ou entreprises privées ?), pour des entretiens d’embauche quelque peu déguisés puisque, comme l’avait exprimé le Président de la République : « Cela doit être à l’administration, comme tout employeur, comme dans le secteur privé, de choisir parmi les élèves celles et ceux qui correspondent le mieux à ses besoins ». Ce sera donc l’employeur qui choisira le candidat [5]. Ce renversement de perspectives n’est pas sans incidences, – et après l’ENA, ce sera sans doute au tour de tous les autres concours qui font du rang dans le classement le la de l’affectation des lauréats [6]…
La méritocratie sociale n’était déjà plus depuis longtemps la marque de fabrique de l’ENA. Néanmoins, le discours actuel étant de ceux qui se voudraient sensibles aux demandes émanant de toutes les catégories sociales, les conditions d’admission à concourir seront allégées, notamment pour ce qui concerne celles relatives à l’âge ; de même, si l’obtention de certains diplômes demeurera, à terme, ces diplômes seront peut-être réévalués en fonction de la teneur des différents stages en entreprise effectués au cours de la scolarité secondaire et supérieure. Mais, cela signifie aussi que le concours deviendrait moins académique et, à l’instar de la réforme du concours d’entrée à l’ENM, outre les appréciations relatives aux compétences et à l’expérience, seraient envisagés des modes de discernement des profils psychologiques et de décodages de la personnalité des candidats.
Un renforcement de la professionnalisation de la formation dispensée en découlerait : les futurs énarques devront ainsi apprendre à savoir « piloter l’action publique dans les environnements complexes ». Est déjà évoquée en filigrane, l’idée d’une « spécialisation » ; et, bien sûr, le projet suppose, dès à présent, « un contrat d’objectifs et de performance »…
En définitive, notant que la loi relative à la moibilité dans les parcours professionnels des fonctionnaires n’est pas encore votée, la recomposition du recrutement dans la fonction publique de l’Etat ne tend-elle pas à remettre en cause les principes fondamentaux du concours ?
[1] V. sur le site Droitpublic.net, ENA : la mutation (fin du classement de sortie).
[2] V. Arr. 25 septembre 2008 portant répartition des emplois offerts aux élèves de l’Ecole nationale d’administration achevant leur scolarité en 2009, JO 27 septembre 2008.
[3] v. « Les détails de la réforme de l’ENA » in challenge.fr.
[4] v. « Réforme de l’ENA : vers la suppression du classement de sortie » in La Gazette des communes.
[5] Ce qui n’est pas sans susciter certaines réserves, comme celles de l’actuel président de l’association des anciens élèves de l’École nationale d’administration : « On nous annonce aujourd’hui la suppression du classement et son remplacement par un système qui permettra aux corps et aux administrations de recruter comme de véritables “entreprises”, selon une logique “managériale”. Dont acte. Nous verrons si le dispositif proposé, offre des garanties comparables, tout en améliorant réellement la professionnalisation des carrières. Nous verrons s’il ne ramène pas en force dans ses fourgons, repeints aux couleurs de la modernité, le clientélisme politique, le corporatisme professionnel, la reproduction sociale, ces vieilles connaissances… » in lefigaro.fr.
[6] V. Des concours calculés à partir des souhaits des employeurs.