Le 3 juin 2009, par Geneviève Koubi,
Le pli est pris depuis quelques années, les grandes réformes du système éducatif se réalisent pendant les grandes vacances, car quand les rues se désertifient, les manifestations se raréfient. Toutefois, parce que les ’éclats médiatiques’ semblent ne pas avoir d’échos en été, c’est à la veille de l’annonce de sa venue, en musique et en fanfare, que sortent les rapports qui préfigurent les réformes à venir. Mais, lorsque les modèles des sessions extraordinaires du Parlement s’épuisent, l’idée du passage en force d’une loi s’amenuise.
Une série de rapports pour la sortie des classes donc.
Les données d’une réflexion en droit de l’éducation se travaillent alors, non plus en lien avec les débats parlementaires, mais par le biais de différents types de rapports, officiels, rendus avant que ne sonne la sortie des classes [1].
En voici quelques exemples :
1. Assemblée nationale : Rapport d’information n° 1694, sur la réforme du lycée, Commission des Affaires culturelles, familiales et sociales, 27 mai 2009, présenté par le député B. Apparu.
Quelques points de ce rapport ont retenu l’attention. Par exemple, sur le site Fabula, les questions relevées concernent la réorganisation des cycles scolaires et, notamment, la création d’un nouveau cycle de la Première a la Licence. En effet, à la lecture de ce rapport, il semblerait que le schéma des "classes" au lycée devrait être réformé en l’articulant avec l’enseignement supérieur, ainsi l’année de Seconde devrait être clairement distinguée des deux années du cycle terminal et celui-ci devrait être adossé à l’enseignement supérieur : « - la Seconde doit constituer une année de sas, c’est-à-dire de transition, entre, d’une part, les années de scolarité du « socle commun de connaissances et de compétences », institué par la loi du 23 avril 2005 et constitué de l’ensemble des apprentissages qui doivent être acquis par 100 % d’une classe d’âge au cours de la scolarité obligatoire, qui commence à l’école élémentaire (cours préparatoire) et s’achève à la fin du collège et, d’autre part, les années d’un nouveau cycle qui prépare l’entrée dans l’enseignement supérieur - Le cycle terminal du lycée, soit les années de Première et de Terminale, et les trois années de la licence (le niveau L selon la terminologie européenne) ou les deux années de formation dispensée dans les instituts universitaires de technologie (IUT) et les sections de technicien supérieur (STS), doivent être conçus comme un nouveau cycle. Comprenant au total quatre ou cinq années d’études, celui-ci doit conduire 50 % d’une classe d’âge à un diplôme de l’enseignement supérieur » [2].
2. R. Descoings, Chargé de mission sur la réforme du lycée : Préconisations sur la réforme du lycée. La remise de ce rapport, le 2 juin 2009, a permis aux pouvoirs publics d’affirmer que « le statu quo ne saurait être la solution : le lycée français doit évoluer, pour permettre à tous les élèves de réussir » [3].
Dès lors, il est rappelé que la réforme du lycée, déjà sur le métier, bien que contestée pour bien de ses dispositifs, et les mesures encore à venir qui s’appuieraient sur ce rapport, s’appliqueront dès la rentrée 2010...
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Une ’orientation active’ déterminée et déterminante.
Ces deux rapports, en insistant sur les mécanismes de l’orientation des élèves, celle-ci devant alors être réalisée de plus en plus tôt, sembleraient progressivement vouloir faire des lycées des annexes du Pôle emploi. Les ouvertures qu’offrent les universités ne sont plus fondées que sur les aptitudes ’préévaluées’, ne serait-ce qu’en référence à la précédente circulaire n° 2009-1002 du 26 janvier 2009 relative à l’orientation des futurs bacheliers vers l’enseignement supérieur en vue de la rentrée 2009.
La circulaire du 26 janvier 2009 introduit une forme de mise en oeuvre de la notion d’orientation active", laquelle serait destinée à « conduire 50 % des jeunes vers un diplôme de l’enseignement supérieur et (à) leur donner des formations qualifiantes qui leur assurent un avenir professionnel... ». La définition de l’orientation active est ainsi présentée dans la circulaire : « L’orientation active est une démarche globale de quatre séquences : l’information, la préinscription, le conseil et l’admission. Une cinquième séquence peut éventuellement y être ajoutée, la réorientation ». Dès lors, « la démarche d’orientation active (sera) rendue obligatoire pour la rentrée 2010 pour tout élève de classe de terminale qui souhaite poursuivre ses études à l’université en première année de licence, (et) s’effectuera à l’aide de la seule application Admission-post-bac ». Ce dispositif répond plus ou moins à un souci de ’canalisation normalisée des lycéens :« Il importe que l’accueil des nouveaux bacheliers dans l’enseignement supérieur soit préparé par une action déterminée d’information, de conseil et d’orientation menée de façon concertée par les établissements d’enseignement supérieur et les lycées ».
Sur le site du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, le dispositif est explicité en rapport avec les formalités de "préinscription" [4], chargeant alors les services universitaires d’une mission d’orientation des ’candidats’, mission qui, pourtant, devrait être dévolue aux lycées, plus à même de saisir leurs rêves et leurs capacités : « L’orientation active est une démarche de conseil et d’accompagnement engagée par les universités en direction des futurs bacheliers. Objectif : leur permettre de faire des choix d’orientation réfléchis et les aider à intégrer des filières qui leur correspondent et où ils pourront réussir ». Ce sont donc les universités qui émettront un avis quant à l’orientation choisie par le bachelier, « avis qu’il n’est pas contraint de suivre » mais dont on devine l’impact psychologique qu’il pourrait avoir sur certains [5].
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Il est à noter que contrairement à ce que suggère implicitement la note d’information du site du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, par l’emploi du qualificatif "légal", la notion proprement dite d’orientation active n’est pas instituée par la loi n° 2007-1199 du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités (loi LRU). Certes, la loi LRU range au titre des missions du service public de l’enseignement supérieur l’orientation et l’insertion professionnelle ; certes, elle remanie l’article L. 712-6 du code de l’éducation en obligeant la consultation du Conseil des études et de la vie universitaire (CEVU) « sur les mesures de nature à permettre la mise en oeuvre de l’orientation des étudiants et de la validation des acquis, à faciliter leur entrée dans la vie active et à favoriser les activités culturelles, sportives, sociales ou associatives offertes aux étudiants et sur les mesures de nature à améliorer les conditions de vie et de travail, notamment sur les mesures relatives aux activités de soutien, aux oeuvres universitaires et scolaires, aux services médicaux et sociaux, aux bibliothèques et aux centres de documentation » ; mais, il n’est pas spécifié dans la loi LRU de mécanismes d’orientation active.
On trouve cependant l’expression d’orientation active dans le rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2008-728 du 24 juillet 2008 portant adaptation des dispositions du code de l’éducation relatives à l’enseignement supérieur dans les îles Wallis et Futuna [6], ce curieusement par référence à la loi LRU alors même qu’il s’agit de mettre en suspends la procédure de préinscription pour les étudiants qui ont suivi l’enseignement du second degré dans les îles Wallis et Futuna [7].
En fait, bien que le texte soit postérieur à l’émergence de la notion, cette notion se retrouve plus sûrement dans un arrêté du 16 mars 2009 modifiant l’arrêté du 17 mai 2006 fixant l’organisation de l’administration centrale du ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Cette mécanique conforte les observations déjà émises par de nombreux chercheurs en science juridique, selon lesquelles la force des mots en politique est telle que les discours répétitifs et répétés font croire qu’une notion ou un concept détient une valeur juridique avant même qu’elle/il ne soit exposé dans le cadre juridique, dans un texte législatif ou reglementaire. Les commentateurs relèvent alors les risques d’une forme de manipulation de la pensée du droit par le jeu du verbe [8]...
Cet arrêté du 16 mars 2009 insère une réécriture de l’article 15 de l’arrêté du 17 mai 2006 en ces termes : « La sous-direction de l’égalité des chances et de la vie étudiante définit, prépare et met en œuvre les politiques d’égalité des chances et d’amélioration de la vie étudiante. / Elle veille à l’amélioration de l’égalité des chances dans l’enseignement supérieur, notamment au travers du système de bourses d’Etat et des dispositifs d’information et d’orientation active des étudiants. / Elle veille à l’amélioration des conditions de vie étudiante, notamment dans les domaines de la santé, de la restauration, de la mobilité internationale et du logement en liaison avec la mission des grands projets immobiliers. / Elle accompagne les établissements dans les démarches qu’ils mettent en œuvre pour favoriser l’insertion des étudiants dans la vie universitaire, notamment au travers de la vie associative et sportive et en veillant aux conditions particulières des étudiants étrangers. / ... » [9].
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Des établissements d’enseignement supérieur ont mis en place les procédures d’orientation active, comme par exemple l’Université de Lyon III qui les détaille en insistant sur les avis donnés sur chacun des voeux émis, l’Université de Cergy-Pontoise qui, évoquant l’orientation pour les lycéens a ouvert un service de ’conseil personnalisé’ pour aider à la formulation des voeux, l’Université de Pau qui invite les lycéens à être « acteurs » de leur orientation et à préciser leur « projet d’études », tandis que « pour l’Université de Paris 8, la procédure d’orientation active s’inscrit dans les actions d’aide à la réussite et les dispositifs d’accueil, d’information et d’orientation déjà en vigueur dans notre université (salons, forums, information dans les lycées, journées portes ouvertes, mini-stages de découverte de l’université…) et non comme une modalité de sélection » [10]. Etc.
Certaines universités ont cherché à repenser les dispositifs pour éviter les formulations catégoriques et les invitations à des parcours réglementés. Par exemple, l’Université de Paris III - Sorbonne nouvelle s’adresse aux futurs étudiants et aux étudiants dans un article intitulé Du lycée à la fac : votre orientation ACTIVE : « C’est à VOUS de réfléchir à votre projet personnel et à votre envie de vous engager dans des études universitaires » ou « Déterminez par VOUS-MEME votre envie de poursuivre vos études à la Sorbonne Nouvelle ». Un avertissement clôt l’information sur les dates des Journées Portes ouvertes (en 2009), sur les possibilités d’assister à un cours de Licence, sur les moyens de rencontrer des enseignants : « Ce dossier est un dossier d’ORIENTATION et non pas un dossier d’INSCRIPTION à l’université ». De même, l’Université de Paris XII, resitue la procédure d’orientation active en « procédure d’aide à l’orientation universitaire » et la présente en termes de "droit offert aux lycéens", tout en rappelant qu’elle n’est pas obligatoire.
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Car, si le système éducatif se transforme en modalités d’orientation professionnelle, la notion d’éducation se délite et la fonction d’enseignement devient celle d’un conseiller en placement... et l’université une annexe du Pôle emploi.
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[1] Ne sont donc pas ici évoqués les rapports "non officiels" ; par ex., pour l’un d’entre eux, v. le texte remis le 8 avril 2009 au chargé de mission sur la réforme du lycée par le collectif "De l’ambition pour la réforme des lycées" : Oser le changement.
[2] V. Fabula, Réforme du Lycée.
[3] V. Site du Premier ministre, Communiqué du 2 juin 2009.
[4] La préinscription est obligatoire : art. L. 612-3 du code de l’éducation.
[5] V. Site du MESR, L’orientation, une démarche de conseil pour favoriser la réussite à l’université ; v. aussi sur le site qui y est lié : le Portail étudiant->->http://www.etudiant.gouv.fr], Orientation active ; ce qui est répété sur le site parallèle Nouvelle Université->http://www.nouvelleuniversite.gouv.fr] pour un "question-réponse" dans le cadre du plan Réussite en Licence : Orientation active et Admission Post-Bac.
[6] Au JO 25 juill. 2008 : rapport relatif à l’ordonnance n° 2008-728 du 24 juillet 2008.
[7] « Il est ajouté un second alinéa à l’article L. 681-1 prévoyant que l’obligation de préinscription dans les universités prévue à l’article L. 612-3 (ne leur est) pas opposable ». La dérogation est explicitée par « l’éloignement des îles Wallis et Futuna des centres universitaires », et en ce qu’elle viserait « à permettre à ces étudiants de bénéficier du dispositif d’orientation active même en l’absence de préinscription ».
[8] La question est toujours prégnante au fil des discours qui s’enchaînent en matière d’éducation, d’immigration et de ’sécurité’.
[9] V. aussi, l’avis de vacance d’un emploi de sous-directeur au JO du 20 mars 2009 : « Dans le cadre de la réorganisation des services centraux du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, un emploi de sous-directeur est vacant à l’administration centrale. Cet emploi est affecté à la direction générale pour l’enseignement supérieur et l’insertion professionnelle. Le titulaire du poste exercera les fonctions de sous-directeur de l’égalité des chances et de la vie étudiante. La sous-direction de l’égalité des chances et de la vie étudiante définit, prépare et met en œuvre les politiques d’égalité des chances et d’amélioration de la vie étudiante. Elle veille à l’amélioration de l’égalité des chances dans l’enseignement supérieur, notamment au travers du système de bourses d’Etat et des dispositifs d’information et d’orientation active des étudiants.... ».
[10] Site Université de Paris 8, L’orientation active à l’université de Paris 8. Rentrée 2009.