Le 19 juin 2009, par Geneviève Koubi,
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Le champ lexical de la simplification du droit [1], balisé qu’il est maintenant par les discours institutionnels, ceux prononcés par les différentes autorités publiques, se construit par petites touches. Au commencement d’une réflexion..., serait-il possible d’envisager que ce champ se constitue au fil des rapports rendus par les commissions parlementaires ou par les comités consultatifs, par les chargés de mission ou d’étude ou autres conseils ? Certains des termes alors employés, aussi courants auraient-ils pu être auparavant dans les sphères politiques et/ou administratives, se diffusent dans la lettre des lois, se répandent dans les textes juridiques, se greffent à la pensée du droit. Ils acquièrent ainsi une tonalité particulière qui les instituent progressivement d’analogies en métaphores, en "point de repère" pour tout un ensemble d’actions ou d’interventions publiques.
Les études linguistiques ou sociologiques sur les mots du discours politique ne se préoccupent pas toujours de leur dissémination dans les discours de/du droit [2]. Cependant, au delà des analyses relatives aux langages totalitaires et des ouvrages consacrés aux discours de certains hommes de pouvoir, la question de l’impregnation du vocabulaire juridique par les verbes croisés des personnalités politiques et des rapports qui leur sont remis ou qui sont rendus publics mériterait-elle un temps d’arrêt ?
● En tant que ‘le droit est un discours de pouvoir’ [3], une recherche l’insinuosité des mots du politique dans les discours juridiques paraîtrait de peu d’intérêt [4]. Les interprétations du droit délivrées par les juges semblent en effet ramener le sens des termes saisis au sein d’une logique systématisée par la continuité sous l’impulsion de la notion de ’stabilité juridique’, plus que de ’sécurité juridique’. Or, quand la dynamique du droit s’affiche en phase avec les discours de la réforme ou en rapport avec les discours ’experts’ [5], cette proposition interprétative connaît quelques turbulences [6].
Démagogie aidant, derrière la force de la voix volontariste et sous les feux croisés des paroles assenées en boucle par l’effet de répétition par plusieurs acteurs, se confirment à la fois la mercantilisation et la paupérisation progressives du vocabulaire juridique. Cet amoindrissement de la terminologie, outre qu’il révèle une certaine méfiance à l’égard de la connaissance et de la culture, conduit donc à une absorption des morphèmes commercialistes et à une multiplication des emprunts au lexique des termes économiques.
● Instillés avant l’heure de la rupture et confirmant l’entrée dans l’ère de l’ultra-libéralisme, les mots qui la signent en érigeant la révision générale des politiques publiques en principe de base de l’action publique [7], ne sont pas stabilisés.
La transformation du discours du droit dont la qualité ’pacifiante’ se décompose sous la rhétorique comptabilisante et, dans une constante normalisante, accentue les perspectives répressives ; elle induit l’usage de diverses expressions qui ne peuvent encore être immobilisées en illustrations du changement de paradigme. En dépit de ces incertitudes issues de la versatilité de tout discours aux accents populistes, et malgré leur variabilité intrinsèque, quelques termes peuvent être relevés, à titre d’exemple, comme des révélateurs des réajustements entre discours politique et discours juridique.
Dans cette marche vers un ordre capitalistique dépourvu de sensibilité sociale, par-delà les discours prophétiques, signifiant une continuité dans le temps par étapes, de bilans en bilans, sous les auspices de la réforme, peuvent être d’ores et déjà reconduits les termes et expressions de gouvernance, de résultat et d’ objectif ; ces deux derniers mots remplacent celui d’efficacité et mettent à distance celui de compétence.
● Dans ces cadrages linguistiques qui assurent la jonction entre les différents stades de la vie politique française depuis 1945, la correction des effets que ces expressions suscitent au sein de la société civile fait, ponctuellement, ressurgir la notion de confiance dont la restauration semble à chaque fois nécessaire et que les affirmations, non vérifiées mais soigneusement dispensées, de prétendues instances de dialogues voudraient imposer [8].
Se jouant des formes médiatiques d’un quotidien catastrophiste, en surfant sur les vagues de l’émotion instantanée et non absorbée sur le terrain collectif [9], ce qui revient à s’accaparer des faits divers qui forment maintenant l’essentiel des réseaux audiovisuels, l’instrumentalisation des informations délivrées par le canal des télévisions accuse l’intensité de la réponse politique aux actes criminels ou délictueux ainsi mis en lumière. Cette perspective déforme les circuits de l’élaboration du droit en accumulant les projets et propositions de loi qui, malgré la ‘déclaration d’urgence’ qui peut les accompagner, restent indéfiniment sur le métier, dans les tiroirs des assemblées parlementaires.
Le phénomène, analysé sous la bannière de la ‘victimisation’, transforme les citoyens en des plaignants jusqu’à vouloir les transformer en auxiliaires de la police judiciaire par la récompense des dénonciations... Cette tendance générale à la mise en exergue des incidents et accidents réduit peu à peu l’étendue des espaces publics dans lesquels l’expression civique pouvait encore se faire entendre. Les citoyens, redevenus administrés, ne reçoivent considération qu’en tant qu’ils se situent comme des victimes ou comme des consommateurs.
Au niveau des discours aux accents d’intimation ou d’intimidation tant le verbe devoir est conjugué dans tous les temps, la distanciation n’est plus de mise. Au rythme des paroles, les mots du politique voudraient alors, avant l’heure, composer les mots de la loi. Pourtant, non encore élaborée, pas encore écrite, certainement pas votée au jour du discours prononcé, comment admettre que par la magie de la verve politique, cette loi faite de salive et de vent serait être déjà rédigée et promulguée ? Comment composer la loi dans l’enceinte du Parlement sur l’air d’une chanson en solo si les paroles sont, de suite, diffusées sur les ondes médiatiques et mises en musique par des circulaires administratives ?
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● Par delà ces quelques marques d’une emprise du discours politique sur le dit juridique, quelques termes, recomposés en leur sens ou en leur propriétés sémantiques, pourraient être relevés comme les prémisses d’une recomposition du champ lexical.
Il ne s’agit pas là d’en proposer des définitions ou d’en dessiner les contours. L’énumération n’est pas argumentation. La liste des premiers termes relevés, et ici proposée, est inévitablement inachevée, provisoire ; gansée par les réitérations dérogatoires des mesures prises ‘à titre expérimental’, elle serait toujours en dé- et en re-composition : . exemplarité ; . labellisation ; . préconisation ; . réussite ; . excellence ; . préfiguration ; . relance ; . mutualisation ; . pilotage ; . mobilité … …
Cette saisie s’inscrit sans doute dans le ‘discours de la méthode’ de la RGPP entre territorialité et déterritorialisation. Une analyse plus approfondie de ces langages pourrait-elle être engagée ?
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[1] L’illustration exposée en logo de cette proposition d’étude est composée à partir des mots les plus utilisés dans la blogosphère juridique de Wikio Labs - captée en passant par là.
[2] V. cependant, certains des dossiers de la Revue Mots. Les langages du politique qui, sans aborder directement la question, l’effleurent au détour de certains articles.
[3] V. D. Lochak, « Le droit, discours de pouvoir », dans Itinéraire, Études en l’honneur de L. Hamon, Economica 1992, p. 429.
[4] Toutefois, on notera le titre des Mélanges en l’honneur du professeur J.-P. Colson : Environnements - Les mots du droit et les incertitudes de la modernité (PUG, 2004), incitant à penser que cette translation n’est pas absente des préoccupations des chercheurs en science juridique.
[5] V. par ex. Mots, Les langages du politique, nov. 2008 n° 88, dossier : « Discours politique, discours expert ».
[6] V. par ex. ce souci exposé en droit médical : dossier du n° spécial de la Revue Générale de Droit Médical, 2008, Etudes hospitalières : « Le sens des mots » — en droit des personnes et en droit de la santé.
[7] ... pour en réduire les champs et en contrôler les usages.
[8] De nombreuses études ont déjà été réalisées sur ce thème, encore que, sur le terrain du droit, elles sont souvent agencées sous le chapeau de la ’science administrative’.
[9] D’où la nécessité de faire là abstraction des évènements fortement partagés et générateurs d’une solidarité revivifiée : v. par ex. J.-P. Esquénazi, « Vers la citoyenneté : l’étape de l’émotion », Revue Mots, 2004, n° 75, 47.