Le 1er juillet 2009, par Geneviève Koubi,
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Si la lutte contre le plagiat est désormais fermement engagée dans la plupart des institutions universitaires, aussi bien à l’étranger qu’en France, celle-ci demeure trop souvent confinée dans le sens de la circulation de l’internet vers le papier du mémoire, dossier ou thèse remis à un enseignant, ou d’un livre ou article proposé à publication. Cette recherche des opérations de copier/coller dans le schéma « écrit/internet->écrit/papier » est facilitée par l’existence de logiciels de plus en plus affinés qui tendent, progressivement, à s’emparer des données proposées par les sites fédérateurs des ‘revues’ ou des revues elles-mêmes (non exclusivement électroniques) et par ceux réunissant des ouvrages numérisés.
Or le plagiat est plus difficilement détecté dans le sens inverse, lorsque, par exemple, s’affiche sur des pages web des passages recopiés d’articles de revue ou d’ouvrages n’ayant pas fait l’objet de numérisation spécifique, ce qui fait que si le circuit « écrit/papier->écrit/internet » restait à l’écart de la réflexion engagée, cela pourrait prêter à confusion. Lutter contre le plagiat à l’université demande donc à ce que soit prise en considération la multidimensionnalité du phénomène. Mais comment envisager l’inversion de la problématique classique de la lutte contre le plagiat ?
Ainsi que le professeur D. Truchet l’avait signifié dans sa note à l’adresse des doctorants "Prohibition et prévention du plagiat", « la lecture la plus attentive ne permet pas de déceler tous les emprunts frauduleux : la littérature juridique sous toutes ses formes (publiée sur “papier” ou par voie électronique, non publiée, française ou étrangère…) est bien trop foisonnante pour que cela soit possible. La découverte du plagiat - parfois après plusieurs années- est le plus souvent le fait des lecteurs : rapporteurs ou membres des jurys de thèse et d’agrégation ou du CNU, auteurs copiés ou autres lecteurs particulièrement attentifs… ».
Sans chercher à signaler s’il s’agit de plagiaires volontaires ou de ‘plagiaires de bonne foi’, l’interrogation sur le plagiat doit alors englober les observations émises à l’encontre des sites web qui proposent des analyses ‘pompées’ sur les écrits d’auteurs identifiés.
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Au commencement, la saisie de la question relevait de la diligence des maisons d’éditions et des comités de rédaction ou de lecture des revues scientifiques, qui, par l’application de règles éthiques et de déontologie professionnelle, se permettaient de signifier l’existence du plagiat, décidant de passer au pilon les ouvrages concernés ou d’insérer un encart dans un numéro suivant de la revue signifiant l’opprobre adressée à un article antérieur donné. Ces modalités n’étaient que de leur fait, sans intervention d’une médiation ou interférence d’un juge.
Par la suite, considération du droit d’auteur et protection de la propriété intellectuelle aidant, le traitement juridique de la contrefaçon s’est inscrit au rang des priorités économiques et sociales. Toutefois, la prolifération de la méthode du plagiat littéraire (ce, dans tous les espaces de littérature) a suscité une prise de conscience générale.
D’une part, sur un marché peu extensible, les éditeurs d’ouvrages et de revues, notamment de sciences humaines et sociales, ne pouvaient indéfiniment se positionner en censeur ou en juge sans mettre à mal leur statut et leur réputation. D’autre part, dans un univers empreint de conformisme et craintif face à l’originalité, si la répétition des thèmes analysés se comprend au vu de l’air des temps, la ‘copie’, assimilée à une contrefaçon, porte atteinte tant à la renommée de l’édition qu’aux droits de l’auteur ‘vrai’ . Elle ne peut donc être entérinée, encore moins validée, ne serait-ce que par la résignation ou le silence.
Mais le problème n’est pas de l’ordre économique, il n’est pas celui des produits manufacturés ou des marchandises que seraient devenus les livres ou les revues, il relève du champ de la pensée. Il concerne l’’idée’, sa communication et sa diffusion.
La notion d’originalité (re)devient alors substantielle. Elle est d’ailleurs, dans le cadre universitaire, une des marques principales de l’habilitation à diriger les recherches instituée dans un arrêté du 23 novembre 1988 (modifié) : « L’habilitation à diriger des recherches sanctionne la reconnaissance du haut niveau scientifique du candidat, du caractère original de sa démarche dans un domaine de la science, de son aptitude à maîtriser une stratégie de recherche dans un domaine scientifique ou technologique suffisamment large et de sa capacité à encadrer de jeunes chercheurs ».
Dans l’espace du savoir et de la transmission des connaissances, la fonction de l’originalité de la pensée ou de la démarche joue un rôle essentiel. Il en est de même dans les travaux exposés dans des ouvrages publiés. On retient ainsi une affaire qui a été relevée par M. Bergadàa, sur son site « dédié à tous les professeurs, assistants et étudiants qui refusent de fermer les yeux sur la fraude pratiquée via Internet et le plagiat des mémoires et des thèses ». Il s’agit là de s’attacher aux considérations de la Cour d’appel du 11 mai 2007, Mazoyer, Ass. Kubaba c/ Gonnet, n° 05/18173 : « si l’idée scientifique ne peut faire l’objet d’une protection par le droit d’auteur, il en va différemment des hypothèses, des explications et des analyses scientifiques originales, qui, portant l’empreinte de la personnalité de leurs auteurs sont susceptibles d’appropriation par un droit de propriété intellectuelle ».
C’est par l’application d’une méthode comparative, scrutative et minutieuse, entre les différents écrits que la signalisation des « emprunts » peut être réalisée. Des illustrations de cette méthode sont données dans la rubrique "inventaire" sur le site leplagiat.net. En l’espèce citée, la comparaison des écrits, paragraphe par paragraphe, révèle que l’un a “commis des actes de contrefaçon” parce qu’il s’appropriait les analyses originales de l’autre “sans citer son nom et la source”.
D’abord circonscrite au domaine de l’édition, cette question, notamment soulignée par H. Maurel-Indart par le biais de son site leplagiat.net et dont la rubrique “jurisprudence” renseigne largement sur l’expansion du phénomène et sur les quelques sanctions auxquelles s’exposent les plagiaires, a été ensuite étendue aux mémoires rendus et aux thèses soutenues dans les universités.
Doivent être alors retenues les perceptions du ’plagiat’ délivrées par le Conseil d’Etat dans sa décision du 23 février 2009, req. 310277. Car, relative aux thèses soutenues pour un diplôme de doctorat délivré par une université, cette décision permet de repérer une des formes de sanction contre les ‘docteurs’ plagiaires.
Menée sur des sujets semblables ou proches pour une recherche engagée, il n’y a pas “plagiat” quand l’examen du thème comporte de mêmes problématiques, quand le traitement du sujet « se prête à des développements marqués de similitudes naturelles » et, puisque « les auteurs, s’appuyant sur les mêmes éléments du droit positif, (ils sont) nécessairement conduits à les expliciter en ayant recours à des formulations voisines ». Cette similarité retenue, c’est par un recours implicite à la fonction de l’originalité que la qualité d’une étude dépasse ce qui fait le fond commun documentaire de plusieurs sujets établis à propos d’un même problème. Il en va autrement lorsque le travail « reprend dans plusieurs de ses parties la même structure formelle, rend compte dans des termes très semblables des objectifs recherchés par la réglementation et la jurisprudence et de leur évolution et comprend de nombreux et importants paragraphes exposant les propres réflexions de l’auteur qui sont rédigés dans le même ordre et avec les mêmes termes que ceux contenus dans » une autre thèse, ce « sans faire apparaître qu’il s’agit de citations ». Dans cette configuration, il y a inévitablement ’plagiat’, lequel est désormais considéré dans ce champ comme « une fraude consistant à présenter des travaux qui étaient en réalité pour partie ceux d’un autre chercheur ».
De ’contrefaçon’ dans le cadre de l’édition, le plagiat devient ‘fraude’ dans celui des universités, au moins pour l’obtention du diplôme et du grade de docteur.
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Entre ces deux modèles, comment situer le plagiat d’un ouvrage ou d’un article publié sur papier par un texte, billet, document, article, posté sur un site web ? Comment appréhender la reproduction aménagée (parfois à peine) de cet ouvrage ou article et effectuée sans le consentement de l’auteur, ni de l’éditeur ?
En illustration particulière ou circonstanciée, un lien pourrait, parmi d’autres, être relevé (notant que la signalisation de ce lien par Droit cri-TIC s’appuie sur la recherche menée par Gilles J. Guglielmi) ; il a été repéré par l’auteur/les auteurs plagié/s. Ce lien est interne au site csjur.free.fr qui s’affiche en une formule : Service public : une expérience, une réflexion, un partage…. Il s’intitule : Du service public (français) au service universel (communautaire) ; il renvoie donc à un document en pdf de 138 pages. Il se connecte à partir d’un texte plus général donné dans la présentation du site : Du service public au service universel tout aussi révélateur d’emprunts à d’autres analyses. Le sous-titre de l’étude présentée en pdf est : Essai de bilan de la notion de service public en droit français et en droit communautaire.
L’ouvrage, dit ici ‘manuel’, de Droit du service public (publié aux éditions Montchrestien, EJA, collection Domat, 2ème éd. 2007) en constitue la source principale. Cette source n’a pas été citée. De fait, une grande partie de l’ouvrage a été reproduite ! Elle l’a été jusque dans sa forme !
Pour preuves, suivant la méthode comparative illustrative utilisée par les juridictions, entre autres paragraphes, on remarque que - sur le fond les concepts travaillés et les analyses exposées à propos de l’habilitation, en droit français, à gérer le service public (p. 19 et suiv.) et - sur la forme la disposition de la section relative aux principes dits « classiques » de fonctionnement du service public (p. 31 et suiv.) ont été captés sans aucune nuance. Les paragraphes en cause correspondent les premiers à un approfondissement d’autres études originales auparavant diffusées (dans un autre ouvrage de Gilles J Guglielmi : Introduction au droit du service public, LGDJ, coll. Systèmes, ed. 1994) et la seconde reprenant les observations insolites, écrites dans un style linguistique et grammatical reconnaissable, suivant le formatage de l’ouvrage... tel que publié dans la collection Domat.
S’agit-il de contrefaçon ou de fraude ? Certains répondront de contrefaçon !
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Signaler le cas est une chose, le faire savoir par le biais d’un site internet, celui-ci Droit cri-TIC ou un autre Drôle d’en-Droit, en est une autre, en aviser les éditions concernées complètera le tableau. Mais, puisque plagiat il y a, une forme de rétorsion peut-elle être envisagée ? ou quelle sanction pourrait-elle être proposée ? C’est peut-être là une des limites de la lutte contre le plagiat telle qu’elle est aujourd’hui engagée par ou dans les circuits universitaires…
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13/07/2009.
Les liens relevés ne sont plus actifs. Le site en cause a retiré les pages concernées... soit du fait d’une intervention du fournisseur auquel nous avions signifié l’existence d’un contenu illicite, soit du fait d’une intervention de l’éditeur que nous avions averti dès le plagiat découvert...
Le signalement du plagiat par renvoi au site en cause n’a plus lieu d’être.
Cependant, parce qu’il était réalisé à l’attention des doctorants et ne concernait qu’en son dernier paragraphe cette ’inversion’, le présent article est maintenu...
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