Le 23 février 2008, par Geneviève Koubi,
Une dépêche AFP du 22 février 2008 informait brièvement sur une prochaine réforme du concours d’entrée à l’Ecole nationale de la magistrature (ENM). L’annonce de cette réforme de l’ENM a été mise en ligne sur le site du ministère de la Justice. Cette réforme sera présentée le 25 mars 2008. La finalité principale des mesures proposées est l’élargissement des « profils » et le discernement des « capacités humaines » des futurs magistrats.
Le projet de réforme, encore en préparation mais déjà présenté par le ministre de la Justice, comporte plusieurs points qui allient la modernisation de la justice et la mise en place d’une véritable gestion des ressources humaines [1]. D’une façon ou d’une autre, en dépit de certains accents imprimés au discours du ministre du 22 février 2008, quelques aspects de cette réforme dévoilent une réticence à l’égard de la connaissance du droit, c’est-à-dire savoir et réflexion réunis, délivrée par les universités : « Nous ne recrutons pas seulement de bons juristes. Nous devons surtout recruter de futurs magistrats. Ce n’est pas pareil », dit le ministre.
La connaissance du droit n’est plus l’élément central du recrutement. Le but est sans doute estimable, il laisserait entrevoir une justice plus humaine, faite de bon sens commun et pétrie de pragmatisme, principalement conviée à se prononcer « rapidement » sur les faits reprochés à l’accusé et sur les actes qui lui sont imputés, – qu’il soit ou non conscient de la teneur de sa propre responsabilité si l’on tient compte des derniers textes adoptés en matière pénale. Le ministre de la Justice insiste sur ces points : « Les Français veulent une Justice plus efficace. C’est leur premier souhait. Ils veulent une justice plus rapide, plus simple et qui réponde mieux à leurs besoins. Les affaires traitées sont complexes. Les contentieux augmentent. Il faut travailler vite et bien ». Cette justice serait ainsi d’abord pensée pour les “victimes” : « Les Français veulent également une Justice plus humaine. Une Justice humaine, c’est une Justice à l’écoute. C’est une Justice qui respecte les victimes. C’est une justice qui veille à la présomption d’innocence » – mais, dans l’air des temps, elle serait essentiellement destinée à punir les éventuels et présumés délinquants.
Trêve d’ironie.
Vingt et une mesures sont proposées pour moderniser l’ENM. Quelques unes d’entre elles suscitent quelques interrogations et, en l’attente du projet finalisé, demanderaient à être éclaircies : « - Mettre en phase les épreuves des concours avec les objectifs de recrutement ; - Une période initiale de formation centrée sur l’acquisition des compétences fondamentales du magistrat ; - Une période de spécialisation plus poussée ; - Repenser l’évaluation des auditeurs de justice [2] ; - Une formation continue au service de la gestion des ressources humaines ; - Offrir un catalogue de formations longues de spécialisation ; - Assurer la qualité et la diversité du recrutement du corps enseignant ». Deux de ces mesures invitent à une réflexion plus approfondie ; l’une touche subrepticement au statut des magistrats : « Doter les magistrats délégués à la formation d’un véritable statut d’emploi » ; l’autre modifie la perception de l’ENM : « Une scolarité sanctionnée par un diplôme ». D’autres relèvent d’une rationalisation souhaitée de la formation dispensée à l’ENM : « - Assurer la maîtrise des langues étrangères ; - Assurer la maîtrise du droit communautaire et du droit international ; - Améliorer la connaissance des systèmes juridiques et judiciaires étrangers » ; il faut encore ajouter, bien qu’elles ne soient pas intégrées à la liste de ces 21 mesures, la proposition de formations spécifiques aux nouvelles technologies que le ministre de la Justice a évoquée dans son discours : « C’est nécessaire pour réussir notre plan ambitieux de dématérialisation des procédures judiciaires. C’est aussi primordial pour bien comprendre les affaires qui mettent en cause l’utilisation de l’informatique » [3].
Le premier temps de la réforme se décline en ces termes : « Modifier et diversifier la composition du jury » ; il concerne le concours d’entrée à l’ENM. Les différents cursus de préparation à ce concours organisés au sein des universités ou dans des établissements privés vont donc devoir eux aussi penser à diversifier le recrutement de leurs intervenants et revoir le contenu des enseignements.
En effet, il est d’abord envisagé de modifier la finalité des épreuves : « l’épreuve de culture générale sera transformée en une épreuve de “connaissance et compréhension du monde contemporain”. Elle permettra d’évaluer la vision que le candidat porte sur la société et d’apprécier sa maturité ; le grand oral deviendra un entretien destiné à appréhender les qualités humaines du candidat, ainsi que ses capacités à raisonner et à décider ; des tests de personnalité seront introduits pour repérer d’éventuelles fragilités chez les candidats ». Il est ensuite prévu de recomposer le jury du concours d’admission en « en y asseyant aux côtés des habituels magistrats et juristes un avocat, un sociologue et un psychologue, chargés de corriger les “tests de personnalité” destinés à “repérer d’éventuelles fragilités” » (dépêche AFP). A côté des personnalités du droit et de la société civile, il sera donc fait appel « à un avocat ainsi qu’à un psychologue expert, un sociologue ou un philosophe » (discours du ministre). Comment un candidat qui aurait passé avec succès diverses épreuves parfois générales, parfois techniques, réagira-t-il en apprenant que son échec est finalement dû à une “fragilité” qui n’aurait été décelée que par un psychologue, alors même que la psychologie n’est en rien une science exacte ? Certes, pour parer aux critiques, le ministre précise : « Nous recherchons l’efficacité. Il ne s’agit pas de déterminer des profils psychologiques. Il s’agit de détecter d’éventuelles difficultés ou fragilités psychologiques. C’est très différent ». A voir.
Mais, sur le plan de la formation, dans la mesure où des psychologues sont présents dans le jury, ne faudrait-il pas prévoir une initiation plus approfondie à la psychologie pour tous les impétrants ? On ne s’étonne plus de la prégnance des théories comportementalistes qui, importées d’outre-atlantique, font croire à un prédéterminisme de la personnalité de chacun du seul fait d’une combinaison physicaliste et fonctionnaliste. On ne compte plus le nombre de discours proférés par diverses personnalités politiques qui font référence à des modèles, préfabriqués autour d’un conformisme souterrain, de comportements estimés normaux (ou anormaux), corrects ou (incorrects), décents (ou indécents), obéissants (ou désobéissants), disciplinés (ou indisciplinés), fidèles (ou infidèles).
Toutefois, entre le discours prononcé et l’éventail des mesures envisagées, un certain décalage peut être relevé. Ainsi, parmi ces 21 mesures, celle qui consiste à « instaurer un système de tutorat des magistrats affectés dans leurs nouveaux postes » paraît être la plus à même de répondre à la question suscitée par ‘l’affaire d’Outreau’. Si l’on peut admettre que connaissances techniques et capacités humaines doivent être associées, surtout après les péripéties d’un lourd procès qui a conduit à l’affaire d’Outreau, il semble illusoire de croire, comme le ministre de la Justice feint le penser que « la justice sera mieux comprise si la magistrature reflète davantage la diversité de notre société ». Ce mot de diversité fait frémir par tout ce qu’il recouvre d’incertain et laisse perplexe si l’on retient que le principe même du concours empêche toute considération portée sur la personne candidate pour ne retenir que le résultat obtenu à l’issue de l’ensemble des épreuves. En final, ce n’est que si la réforme ainsi proposée tend à rendre effectif l’accès à l’ENM à des personnes qui rencontrent des difficultés économiques et sociales pour espérer préparer sereinement le concours, qu’elle revêtirait un intérêt substantiel... Mais comment insérer cette préoccupation dans un temps qui joue l’air de la gestion managériale des personnels [4] ?
Compléments au 24 mai 2008 :
L’arrêté du 22 mai 2008 relatif à l’organisation de la classe préparatoire au premier concours d’accès à l’Ecole nationale de la magistrature (JO 24 mai 2008) dispose en son article premier : « Pour encourager et diversifier l’accès au corps de la magistrature, l’Ecole nationale de la magistrature assure l’organisation d’une classe préparatoire qui a pour mission de préparer des étudiants au premier concours d’accès à ladite école ». L’article 4 précise que « la sélection des candidats tient compte de leur motivation, du déroulement de leurs études, de leur origine géographique, de leurs ressources et de celles de leurs parents ». Cette curieuse perception du principe d’égalité laisse supposer des sélections fondées sur des critères prétendument objectifs par une commission dont la composition offre au ministre de la Justice certaines libertés quant à la désignation de trois de ses membres. Ces dispositifs doivent se lire en rapport avec l’article 11 : « Les élèves de la classe préparatoire s’engagent à s’inscrire et à participer aux épreuves du premier concours d’accès à l’Ecole nationale de la magistrature l’année de sa préparation. /Le bénéfice de la classe préparatoire est non renouvelable ». Et sur le concours lui-même, d’autres textes sont déjà dans les tiroirs...
Compléments au 24 juin 2008
Pour suivre l’actualité de cette réforme, voir les indications sur le site de l’ENM, par exemple le Conseil d’administration de l’Ecole Nationale de la Magistrature s’est tenu le 17 juin à Bordeaux et à l’ordre du jour était inscrite l’adoption du projet de réforme des concours d’accès à l’ENM. Les nouvelles épreuves du concours sont censées permettre de mieux évaluer la personne des candidats quant à leur aptitude à acquérir les compétences fondamentales attendues du magistrat...
Ceci constitue le dernier ajout.
[1] Compléments au 24 mai 2008, la réforme a commencé... : v. D. n° 2008-483 du 22 mai 2008 modifiant le décret n° 72-355 du 4 mai 1972 relatif à l’Ecole nationale de la magistrature et le décret n° 94-199 du 9 mars 1994 relatif au Conseil supérieur de la magistrature,JO du 24 mai 2008.
[2] suivant le discours du ministre : « Les auditeurs doivent apprendre à juger. Ils doivent apprendre à bien juger. Ce n’est pas parce que l’on est un bon étudiant en droit que l’on est apte à le faire. Il est également essentiel que les auditeurs sachent tenir une audience, formaliser une décision claire et compréhensible, travailler en équipe. Ils doivent non seulement connaître les règles éthiques et déontologiques : ils doivent se les approprier. »
[3] Compléments au 24 mai 2008 : Pour une présentation des programmes et des épreuves du concours avant la réforme annoncée, v. par ex. du côté des universités, ENM épreuves du côté des organismes privés qui peuvent en assurer la préparation, Concours d’entrée à l’École Nationale de la Magistrature.
[4] Compléments au 24 mai 2008 : Un arrêté du 23 avril 2008 a fixé le nombre de postes offerts au concours de l’ENM pour 2008 à 105 places pour l’ensemble des trois concours...