Le 26 juillet 2010, par Geneviève Koubi,
La notion de "pays d’origine sûr" relève de la loi du 10 décembre 2003 modifiant la loi du 25 juillet 1952 relative au droit d’asile (art. 2). Un pays est considéré comme "sûr" « s’il veille au respect des principes de la liberté, de la démocratie et de l’état de droit, ainsi que des droits de l’homme et des libertés fondamentales. »
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C’est le conseil d’administration de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) qui fixe la liste des pays "d’origine" considérés comme "sûrs".
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Par un arrêt du 5 avril 2006, Gisti et autres, n° 284706, le Conseil d’Etat avait validé la fonction d’une liste de "pays d’origine sûrs". Il avait, pour construire son raisonnement, exclut la possibilité de se prévaloir des stipulations du « cinquième alinéa du préambule de la convention relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 qui, se bornant à exprimer "le voeu que tous les Etats, reconnaissant le caractère social et humanitaire du problème des réfugiés, fassent tout ce qui est en leur pouvoir pour éviter que ce problème ne devienne une cause de tension entre Etats", sont dépourvues d’effet direct ». Pourtant, l’article L. 741-4 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile dispose : « Sous réserve du respect des stipulations de l’article 33 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, l’admission en France d’un étranger qui demande à bénéficier de l’asile ne peut être refusée que si... » et suivent les raisons dont, au paragraphe 2° [1], celle se référant à cette notion de pays "sûrs".
Néanmoins, le Conseil d’Etat précisait alors, en vertu de ce même paragraphe, que « l’établissement d’une liste de pays d’origine sûrs a pour effet de permettre l’application d’une procédure prioritaire pour l’examen par l’Ofpra des demandes d’asile émanant des ressortissants desdits pays (et) qu’une telle disposition ne saurait exempter l’administration de procéder à l’examen individuel de chaque dossier »...
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La décision en date du 30 juin 2005 par laquelle le conseil d’administration de l’Ofpra a fixé la liste des pays d’origine sûrs est toujours d’actualité. C’est cette liste qui se trouve à chaque fois remaniée, par ajouts ou par soustraction.
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Par une décision du 16 mai 2006, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides avait, entre autres pays, glissé l’Albanie et la République du Niger dans la liste des pays considérés comme pays d’origine sûrs. Dans une décision du 13 février 2008, Forum des réfugiés, n° 295443, le Conseil d’Etat avait annulé cette décision justement en tant qu’elle complétait la liste en y inscrivant la République d’Albanie et la République du Niger.
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Par une décision du 20 novembre 2009, l’Ofpra avait procédé à une révision de la liste des pays considérés comme "sûrs" [2]. Le fait qu’y soient maintenus le Bénin, la Bosnie Herzégovine, le Cap-Vert, la Croatie, le Ghana, l’Inde, la République Malgache, le Mali, l’ancienne république yougoslave de Macédoine, l’Ile Maurice, la Mongolie, le Sénégal, la Tanzanie et l’Ukraine et qu’y soient ajoutées l’Arménie, la Serbie et la Turquie avait incité certaines associations à introduire un recours en référé-suspension. Le Conseil d’Etat avait, par une ordonnance du 26 février 2010 (Amnesty international, n° 336035) rejeté les requêtes [3]
Mais la question de la présence de certains Etats considérés "sûrs" pour un retour... restait toujours posée.
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Voici que, par un arrêt du 23 juillet 2010, Amnesty international France et autres, n° 336034, le Conseil d’Etat a annulé, non pas la liste de 17 pays d’origine sûrs établie en novembre 2009 par l’Ofpra — comme le laisserait penser une dépêche de l’AFP du 26 juillet 2010 —, mais quatre désignations [4] et, ce pas tout à fait "en raison de la présence d’Etats ne respectant pas les droits humains" [5].
Ces quatre pays sont l’Arménie, Madagascar, la Turquie et le Mali. Chacun fait l’objet d’une observation justifiant son retrait de la liste à la suite de la décision du Conseil d’Etat. Pour Madagascar, par exemple, il est ainsi relevé que, « compte tenu tant de la grande instabilité politique qui règne à Madagascar depuis 2009 que des violences et persécutions dont sont victimes les opposants au pouvoir dans ce pays, cet Etat ne présentait pas, à la date de la décision attaquée les caractéristiques justifiant son inscription sur la liste des pays d’origine sûrs ».
Comme le souligne le communiqué du 23 juillet 2010, émanant des huit associations à l’origine du recours, une distinction a été opérée entre les hommes et les femmes. France terre d’asile note que, pour la première fois, « le Conseil d’Etat introduit une notion de genre pour évaluer le caractère dit sûr des pays : le Mali et le Sénégal continuant d’être considérés comme sûrs pour les hommes ».
A lire la décision du Conseil d’Etat du 23 juillet 2010 [6], c’est surtout à propos du Mali que cette distinction a été mise en oeuvre. Le Mali est sûr pour les hommes et non pour les femmes : « ... compte tenu de la fréquence des pratiques d’excision dont sont victimes les ressortissantes maliennes, l’OFPRA ne pouvait, sans commettre d’erreur d’appréciation, tenir cet Etat pour un pays d’origine sûr dans l’examen des demandes présentées par ou au nom des ressortissantes de cet Etat ; en revanche, il a pu légalement maintenir son inscription pour l’examen des demandes d’asile présentées par ou au nom des ressortissants de sexe masculin de cet Etat ». Mais, un jour, le problème de la circoncision devra aussi être soulevé...
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Les associations demandent maintenant la suppression de la notion de "pays d’origine sûr".
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[1] « 2°. L’étranger qui demande à bénéficier de l’asile a la nationalité d’un pays pour lequel ont été mises en oeuvre les stipulations du 5 du C de l’article 1er de la convention de Genève susmentionnée ou d’un pays considéré comme un pays d’origine sûr. Un pays est considéré comme tel s’il veille au respect des principes de la liberté, de la démocratie et de l’état de droit, ainsi que des droits de l’homme et des libertés fondamentales. La prise en compte du caractère sûr du pays d’origine ne peut faire obstacle à l’examen individuel de chaque demande ».
[2] Une circulaire était rapidement intervenue pour enregistrer cette modification : v. Gk, « A propos des "pays d’origine sûrs" de l’OFPRA… ».
[3] V. S. Slama, Combats pour les droits de l’homme, Référé-suspension sur la liste des “pays d’origine sûrs” : rejet pour défaut d’urgence (CE, réf., 26 février 2010, Amnesty international France et a.).
[4] V. Communiqué commun : ACAT-France, Amnesty International France, Association des Avocats ELENA France, Dom’asile, Groupe d’information et de soutiens aux immigrés (GISTI), La Cimade, 23/07/2010 : « Droit d’asile : le Conseil d’Etat revoit la copie de l’OFPRA sur les pays d’origine "sûrs" ».
[5] Source : dépêche AFP-Le Figaro, 26/07/2010 : « Asile : le Conseil d’Etat corrige l’Ofpra ».
[6] En attente d’un article la commentant sur le site Combats pour les droits de l’homme. V. cependant, la présentation qui y est donnée des « Conclusions favorables à l’annulation de 4 POS et application sexuée pour le Mali ».