Le 1er novembre 2012, par Geneviève Koubi,
Les ordres nationaux passionnent les hommes (et femmes) de pouvoir. Ces ordres doivent-ils être objet des attentions présidentielles, gouvernementales ou ministérielles ?
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La liste est longue des lettres, instructions, circulaires, notes qui concernent les Ordres de la Légion d’honneuret de la médaille militaire [1] et du Mérite [2]. Peut-être est-ce parce que le Code de la légion d’honneur et de la médaille militaire ne comporte pas de partie législative et que ses dispositions sont de nature réglementaire, que ces textes divers viennent à l’appui d’une forme de communication destinée à offrir une certaine image des organes d’État. La force symbolique de ces ordres nationaux réside tout autant dans le prestige de ceux qui en attribuent les ors que dans la prestance de ceux qui les reçoivent [3].
A l’article R. 1 du Code de la légion d’honneur et de la médaille militaire, il est annoncé que : « La Légion d’honneur est la plus élevée des distinctions nationales. Elle est la récompense de mérites éminents acquis au service de la nation soit à titre civil, soit sous les armes. » De l’autre côté, l’article 2 du décret n° 63-1196 du 3 décembre 1963 portant création d’un ordre national du Mérite dispose : « L’ordre national du Mérite est destiné à récompenser les mérites distingués acquis soit dans une fonction publique, civile ou militaire, soit dans l’exercice d’une activité privée. »
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● Les rares lettres publiées au Journal officiel sont des lettres du Président de la République adressées au Premier ministre. En effet, le Président de la République est dès son intronisation investiture, grand maître de l’ordre national de la Légion d’honneur et du seul fait de sa position, grand maître de l’ordre du Mérite.
Il est possible de retenir deux lettres du Président de la République : la lettre en date du 5 février 1996 relative aux ordres nationaux et la lettre du 11 juillet 2008 relative aux ordres nationaux. Chacun(e) recherchera quel était à ces deux dates le titulaire de la fonction - serait-ce un indice quant à la stratégie de la distribution des honneurs en République ? La première phrase de ces lettres révèle des postures semblables quant à la mesure à accorder à l’attribution des décorations honorifiques. Cependant, les finalités doivent être différenciées. Le 5 février 1996, le Président de la République introduisait ses propos en relevant que « l’ordre national de la Légion d’honneur et l’ordre national du Mérite concourent au prestige et à la promotion de l’esprit de service dans notre pays ». Le 11 juillet 2008, il soulignait que ces ordres « sont la récompense de services rendus au pays dans tous les domaines de son activité ». Le décalage dans le temps ne suffit pas à expliquer la distanciation par rapport aux textes réglementaires ; il ne suffit pas non plus à comprendre la distorsion entre les perceptions de la distinction à attribuer selon la promotion de l’esprit de service et la récompense de services rendus.
● Les circulaires qui émanent des services du Premier ministre ne sont pas fréquentes en la matière. Le Premier ministre n’y intervient que par délégation du grand maître et pour certaines nominations. On retient pourtant la circulaire du 24 septembre 2008 relative aux ordres nationaux de la Légion d’honneur et du Mérite qui appuyait les préconisations de la lettre du Président de la République au Premier ministre du 11 juillet 2008 relative aux ordres nationaux (précitée).
● Plus nombreuses sont les instructions et circulaires ministérielles qui se préoccupent de la distribution de ces honneurs. Elles sont généralement émises pour une année donnée. Elles ne peuvent contrevenir aux règles édictées. Pour l’accès au statut de chevalier de la légion d’honneur, « il faut justifier de services publics ou d’activités professionnelles d’une durée minimum de vingt années, assortis dans l’un et l’autre cas de mérites éminents » ; pour l’attribution du premier grade de l’ordre du Mérite, « il faut justifier de dix ans au moins de services ou d’activités assortis de mérites distingués. »
La distinction entre mérites éminents et mérites distingués dépend évidemment de la densité attribuée au mot "mérite" et de la perception des services et activités pris en considération. La variabilité des mesures d’appréciation n’empêche pas que les conditions de nomination ou de promotion sont préfixées. Les méthodes de sélection des personnes à honorer sont ainsi quelque peu délimitées...
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Dès lors, quelle est l’utilité réelle des circulaires ministérielles qui s’en préoccupent ? Est-ce pour répondre à un jeu de transparence ou à un souci d’impartialité ? Serait-ce dans le but de défaire les teintes marchandes de la notion d’État exemplaire afin de lui accorder un sens moral - en valeur d’exemple ?
● Ces circulaires peuvent présenter des tableaux listant les critères d’attribution des rosettes et médailles comme la circulaire n° 5200/DEF/CAB/SDBC/DECO/A/B du 30 avril 2012 fixant les conditions de propositions pour la Légion d’honneur, la médaille militaire et l’ordre national du Mérite concernant les personnels n’appartenant pas à l’armée d’active ou la circulaire no 2001-52 du 9 juillet 2001 relative à l’établissement des propositions annuelles au titre de l’ordre national de la Légion d’honneur et de l’ordre national du Mérite au ministère de l’équipement. Elles peuvent aussi indiquer les principes retenus pour ces distributions comme le fit la circulaire du 7 août 2001 relative à la Légion d’honneur et à l’ordre national du Mérite - Principes généraux au ministère de l’intérieur [4]. Elles peuvent encore rendre compte des attentes des ministères à l’égard de leurs personnels, de leurs collaborateurs ou d’autres partenaires à l’exemple de la circulaire du 5 janvier 1998 relative à l’établissement des présentations en vue de l’attribution de distinctions honorifiques ou de témoignages de satisfaction du ministère de la justice.
Les circulaires ou instructions suivantes ont alors pour objectif de remanier les critères retenus comme le fit la circulaire du 14 octobre 2003 relative à la promotion dans les ordres nationaux ajoutant quelques éléments à la précédente du 7 août 2001 (précitée). Mais, le plus souvent, en opérant une refonte des circulaires précédentes, les nouvelles circulaires en viennent à les abroger, - il en fut ainsi de la circulaire du 13 février 1992 relative à la Légion d’honneur et à l’ordre national du Mérite, abrogée par la circulaire du 7 août 2001.
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La circulaire interministérielle du 19 septembre 2012 relative aux Ordres nationaux de la Légion d’honneur et du Mérite a pour objet, ainsi que son résumé l’indique, de rappeler « les conditions d’attribution des Ordres nationaux de la Légion d’honneur et du Mérite ainsi que les procédures de proposition et de transmission des candidatures dans ces ordres nationaux. » La raison de sa divulgation - plus que de sa diffusion -, se trouve peut-être dans les quelques médisances qui avaient été auparavant émises à propos des choix et des décisions de nomination dans ces ordres ; ainsi l’établissement des critères de choix aurait indirectement pour objectif d’éteindre par avance toute nouvelle polémique. Cependant, couvrant plusieurs ministères, cette circulaire permet aussi d’éviter les empiètements et superpositions. Elle rationalise la procédure.
Cette circulaire répercute alors les principes développés dans les textes réglementaires de référence. Elle comporte aussi plusieurs pièces annexes d’une part, faisant état des conditions d’ancienneté requises et des promotions du travail et du bénévolat associatif et d’autre part, présentant les bordereaux récapitulatifs pour l’ordre national de la Légion d’honneur comme pour l’ordre national du Mérite.
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A vrai dire, peu nous importent ces données.
● Ce qui retient particulièrement notre attention, c’est le format de la circulaire, sa présentation matérielle. Ce qui ne concerne en rien la question des décorations à distribuer suivant des mérites éminents ou distingués.
Le modèle de document - en tableau - comporte plusieurs cellules. Une ligne qui contient trois cases à cocher, concerne la publication des circulaires : - .... BO /.... - Site.circulaire.legifrance.gouv.fr .... / - ....non publiée .... .
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● De ce tableau, on déduit que - des circulaires peuvent ne pas être publiées ; - que certaines circulaires peuvent être publiées seulement au Bulletin officiel d’un ministère ou seulement sur le site internet relatif aux circulaires ; - que d’autres peuvent l’être sur deux supports.
Sans revenir sur une idée (trompeuse) d’obligation de publication des circulaires, rappelant toutefois que cette prétendue obligation ne s’évalue qu’à partir de la portée relationnelle (et quasi-juridique) attribuée au texte dont la circulaire constitue le lieu de connaissance, la décision de publication ou de non-publication revient au ministre producteur (plus qu’auteur) de la circulaire. Elle repose sur divers motifs. Cette décision peut aussi relever du Premier ministre ou de ses services. Mais, la simplicité n’est qu’apparente. Comment une telle décision est-elle prise dans le schéma d’un acte conjoint comme l’est un texte administratif interministériel ? L’interministérialité, ici affichée, doit inévitablement être prise en considération. De quelle manière ?
● De plus, si l’on retient le schéma donné par la modification du décret n° 2008-1281 du 8 décembre 2008 relatif aux conditions de publication des instructions et circulaires par le décret n° 2012-1025 du 6 septembre 2012, en attendant les arrêtés qui préciseraient quels sont les domaines concernés, ne manque-t-il pas une case qui, cette fois-ci ne serait pas "à cocher" mais "à remplir" - obligatoirement si la publication est envisagée ?
Les dernières cellules du tableau pourraient ainsi être remaniées en ajoutant donc une case "autre site (lequel)" :
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● Quoiqu’il en soit, le dispositif de cette circulaire, émise dans le champ d’un seul ministère (celui de l’égalité des territoires et du logement), renseigne un peu plus sur les modes de communication internes des administrations...
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[1] D. n° 62-1472 du 28 nov. 1962 portant code de la Légion d’honneur. L’article 2 de ce décret donne la liste des textes antérieurs relatifs à cet ordre et désormais abrogés - du fait de leur codification.
[2] D. n° 63-1196 du 3 déc. 1963 portant création d’un ordre national du Mérite - étant retenu que l’ordre du Mérite avait pour objet de comprimer en un seul cadre les ordres spécifiques à certains secteurs d’activité.
[3] V. entre autres, O. Ihl, « La République des titres et des honneurs », Communications, n° 69, 2000, p. 115.
[4] BOMI n° 2001/3, p. 259.