Le 6 janvier 2013, par Geneviève Koubi,
Dans une décision du 26 décembre 2012, CGT, (req. n° 353288), le Conseil d’État rappelle aux ministres quelles sont les ’bonnes pratiques’, ou plus exactement les ’bonnes’ procédures à suivre pour recueillir valablement - légalement - un avis sur un projet d’arrêté dès lors que la loi prévoit une telle consultation...
Le Conseil d’Etat ancre ainsi une règle notable concernant la formation de la décision administrative et mettant en jeu la ’participation’ à cette dernière [1].
En effet, un an auparavant, dans une décision d’assemblée du 23 décembre 2011, Danthony et autres, (req. n° 335033) [2], le Conseil d’État avait capturé les dispositions de l’article 70 de la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d’amélioration de la qualité du droit pour s’aménager les moyens d’une nouvelle lecture des ’vices de procédure’ - substantiels.
Cet article 70 (al. 1) de la loi du 17 mai 2011 dispose : « Lorsque l’autorité administrative, avant de prendre une décision, procède à la consultation d’un organisme, seules les irrégularités susceptibles d’avoir exercé une influence sur le sens de la décision prise au vu de l’avis rendu peuvent, le cas échéant, être invoquées à l’encontre de la décision ». Le Conseil d’État en déduit alors que « s’agissant des irrégularités commises lors de la consultation d’un organisme, une règle qui s’inspire du principe selon lequel, si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d’une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n’est de nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il ressort des pièces du dossier qu’il a été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie ; que l’application de ce principe n’est pas exclue en cas d’omission d’une procédure obligatoire, à condition qu’une telle omission n’ait pas pour effet d’affecter la compétence de l’auteur de l’acte ».
Fabrice Melleray, dans son commentaire sur cette décision [3] avait relevé que « l’objectif est désormais de ne procéder à une annulation que lorsque le vice porte non pas sur la violation d’une règle de procédure abstraitement, très "objectivement" substantielle, mais sur l’irrespect d’une règle de procédure concrètement, plus "subjectivement", susceptible d’avoir influencé la décision prise. Ce changement de logique, « qui place le juge en arbitre subjectif des intentions plutôt qu’en marqueur objectif des irrégularités » [4] ressort très clairement de l’énoncé du principe dégagé par le Conseil d’État, principe dont le champ d’application est étendu dès lors qu’il s’applique aussi bien aux consultations obligatoires qu’à celles recueillies à titre facultatif (...) et qu’il vaut pour toute forme d’irrégularité procédurale (allant ainsi au-delà des prescriptions du législateur). » [5].
Par la suite, il n’apparut plus nécessaire au juge administratif de faire référence au texte législatif, ce d’autant plus qu’il ne s’agit pour lui que d’affiner ses propres méthodes pour l’examen du respect des procédures administratives non contentieuses [6]. Tel est ainsi le cas dans sa décision du 26 décembre 2012, CGT, (req. n° 353288) : « considérant que si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d’une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n’est de nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il ressort des pièces du dossier qu’il a été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie ».
Si influence il y a eu, l’annulation du texte, décret ou arrêté, en découle...
Cette perspective referme les procédures contentieuses en matière de légalité externe, mais elle ouvre aussi sur des remaniements quant aux questions d’applicabilité des textes relatifs aux procédures administratives préalables - non contentieuses - pour toute requête [7].
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En l’espèce, l’arrêté en cause est celui du 11 août 2011 qui est relatif à la délivrance, sans opposition de la situation de l’emploi, des autorisations de travail aux étrangers non ressortissants d’un Etat membre de l’Union européenne, d’un autre État partie à l’Espace économique européen ou de la Confédération suisse [8].
Cet arrêté du 11 août 2011 donnait une liste de métiers dits "en tension"en réduisant le champ des métiers ouverts aux étrangers. [9] Il fut pris en application de l’article R. 5221-21 du code du travail : « Les éléments d’appréciation mentionnés au 1° de l’article R. 5221-20 ne sont pas opposables à une demande d’autorisation de travail présentée pour un étranger postulant à un emploi figurant sur l’une des listes mentionnant soit les métiers, soit les métiers et les zones géographiques caractérisés par des difficultés de recrutement respectivement établies en application de l’article L. 121-2 et du 1° de l’article L. 313-10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, par arrêté conjoint des ministres chargés de l’emploi et de l’immigration. / Ces éléments d’appréciation ne sont pas non plus opposables à une demande d’autorisation de travail présentée pour un étranger qui sollicite la carte de séjour temporaire portant la mention "salarié en mission", mentionnée au 5° de l’article L. 313-10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. »
Dans ses visas, cet arrêté présentait : le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, notamment son article L. 313-10 (1o), les articles L. 5221-2, L. 5221-3, L. 5221-11 et R. 5221-21 du code du travail, et la consultation en date du 6 juillet 2011 des organisations syndicales d’employeurs et de salariés représentatives. Ce sont les formes de cette consultation qui ont fait l’objet d’un examen particulier.
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Pour décider de l’annulation de l’arrêté du 11 août 2011, le Conseil d’État, dans cette décision du 26 décembre 2012, s’est donc surtout intéressé aux méthodes employées par le ministre pour recueillir l’avis prévu à l’article L. 313-10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : « La carte de séjour temporaire autorisant l’exercice d’une activité professionnelle est délivrée : / A l’étranger titulaire d’un contrat de travail visé conformément aux dispositions de l’article L. 5221-2 du code du travail. / Pour l’exercice d’une activité professionnelle salariée dans un métier et une zone géographique caractérisée par des difficultés de recrutement et figurant sur une liste établie au plan national par l’autorité administrative, après consultation des organisations syndicales d’employeurs et de salariés représentatives, l’étranger se voit délivrer cette carte sans que lui soit opposable la situation de l’emploi sur le fondement du même article L. 5221-2 (...) ».
Quelle est la forme d’une "consultation régulière des organisations syndicales d’employeurs et de salariés représentatives" ? Elle se déduit ’a contrario’ des indications signalées dans l’arrêt du Conseil d’État du 26 décembre 2012. Aussi condensés soient-ils, ces renseignements semblent montrer clairement le mépris dans lequel étaient alors tenus les syndicats par le/s titulaire/s de la/des fonctions de ministre (en 2011) ; ils retraduisent aussi la difficulté que ressentai/en/t ce/s titulaire/s à devoir consulter non pas des personnes ’choisies’ mais des organismes qui assurent collégialement et collectivement la défense des intérêts de tous les travailleurs.
La lecture du déroulement de la consultation réalisée est à ce titre édifiante : « il ressort des pièces du dossier que le ministre du travail, de l’emploi et de la santé a adressé, le 6 juillet 2011, un courrier soumettant pour avis un projet d’arrêté, dans le cadre de la révision de la liste des métiers en tension fixée jusqu’alors par l’arrêté du 18 janvier 2008 ; que, toutefois, il ne résulte pas des pièces du dossier que ces courriers aient été adressés à des personnes occupant des fonctions de responsabilité au sein des organisations syndicales retenues par l’administration ; que, par ailleurs, les courriers en cause ne précisaient pas que l’avis sollicité devait être émis au nom de l’organisation syndicale, mais semblaient requérir l’avis personnel du destinataire ; que, dans ces conditions, et alors que l’administration n’a mis en œuvre aucune autre modalité de consultation des organisations syndicales représentatives d’employeurs et de salariés, telle que la convocation d’une réunion des organisations représentatives pour discuter du texte, comme ce fut le cas pour l’adoption du précédent arrêté du 18 janvier 2008, la consultation à laquelle il a été procédé a été irrégulière ; que ces irrégularités ont été, dans les circonstances de l’espèce, susceptibles d’exercer une influence sur le sens de la décision prise ; que, par suite, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens invoqués, la Confédération générale du travail est fondée à soutenir que l’arrêté attaqué est intervenu selon une procédure irrégulière et à en demander, pour ce motif, l’annulation ».
C’est dit.
[1] V. J.-M. Sauvé, « Consulter autrement, participer effectivement ». V. pour un développement envisageable en droit de l’environnement, A. Gossement, « Principe de participation : l’urgence d’une intervention du législateur ».
[2] RFDA 2012. 284, concl. G. Dumortier.
[3] « Précisions sur la neutralisation de certains vices de procédure », Droit Adm., 2012, n° 3, comm. 22.
[4] citant : CE, Rapp. public 2011. Consulter autrement. Participer effectivement, La Doc. fr. 2011, p. 126.
[5] V. aussi, C. Broyelle, « L’impact du vice de procédure sur la légalité de l’acte administratif », JCP A 2012, n° 2089. V. par ailleurs, pour une application de cette jurisprudence : CE, 29 juin 2012, Association Promouvoir, req. n°335771 : AJDA 2012, p. 1957, note B. Pacteau, « Danthony au cinéma » ; sur fallaitpasfairedu droit.fr : « L’application de la jurisprudence Danthony à la police du cinéma (CE, 29/06/2012, Ass. Promouvoir) ». V. en sus, « Fonction publique : De l’application de la jurisprudence Danthony à l’avis d’un conseil de discipline » - à propos de TA Cergy Pontoise, Ville de Puteaux c/ Mme S., 25 juin 2012, n°1110455 :
[6] Ex. : CE, 17 févr. 2012, Sté Chiesi SA, req. n° 332509 ; v. sur juripublica.fr : La jurisprudence Danthony précisée par le Conseil d’Etat.
[7] V. sur la revue alyoda.univ-lyon3.fr, E. Untermaier, « L’avis médical en vue de la délivrance d’un titre de séjour des étrangers malades. Une nouvelle application de la jurisprudence Danthony en cas de modification des règles applicables à une procédure en cours » - à propos de C.A.A. Lyon, 5ème Chambre, n° 11LY02230, Mme X,12 avril 2012.
[8] JO, 12 août 2011.
[9] V. sur Les médias, le droit et la société font-ils bon ménage ?, « Nouvelle liste des métiers en tension (au 12/08/2011). - avec mes remerciements pour m’avoir signalé cet arrêt.